Les jeux immersifs : médiation d’avenir pour la CST ?

Publié par Camille Cocaud, le 29 juillet 2013   3.8k

“Alpha ne répond plus”, vous en avez peut-être entendu parlé si vous avez participé à la Fête de la Science à Grenoble. Il s’agit d’un jeu immersif déployé sur plusieurs supports complémentaires, revenons sur ce type de narration et sur les possibilités qu’il offre en terme de médiation.

A l’occasion de la dernière Fête de la Science, le CCSTI La Casemate et le CNRS Alpes ont travaillé ensemble sur une expérimentation de médiation numérique : le jeu Alpha ne répond plus. Cette initiative est qualifiée par les professionnels du milieu d’ARG transmédia. Pour faire simple, un ARG (“alternate reality game” ou jeu en réalité alternée) est comparable à un jeux vidéo classique, à la différence près que dans ce dernier, le joueur incarne un avatar pour évoluer dans un univers fictif, alors qu’un ARG s’immisce directement dans la vie réelle du joueur. Le terme transmédia qualifie quant à lui tout dispositif de storytelling (de narration) développant une histoire simultanément sur plusieurs supports. La petite vidéo suivante vous explique en 60 secondes ce concept simple mais encore peu connu.

Les initiatives de ce genre dans le milieu culturel se comptent sur les doigts d’une main (voir notamment Miss Troll Média du Centre Georges Pompidou ou Cherche Tom dans la nuit pour la Nuit des Musées 2011) et nous avons donc assez peu de recul sur l’impact de ce genre d’initiatives de médiation sur les publics. Cependant, les quelques résultats collectés jusqu’à présent nous laissent entrevoir les possibilités offertes par ces dispositifs.

L’histoire et le dispositif transmédia

Retour sur le jeu grenoblois Alpha ne répond plus. Derrière le titre se cache avant tout une histoire, un univers de jeu tournant autour d’une mission d’espionnage scientifique, qui venait s'incruster dans la vie des joueurs. D’abord plongé dans un tumblr(1) énigmatique retraçant une mission avortée et compilant des informations sur des laboratoires grenoblois du CNRS, le joueur était amené à accepter une mission secrète afin d’aider un certain Echo à retrouver un espion nommé Alpha en échange d’une récompense(2). Développée sur un site web en responsive design(3), la plateforme de jeu permettait de dérouler de façon linéaire l’histoire imaginée, le personnage d’Echo faisant office de maître du jeu. Afin d’aider ce dernier et de terminer la mission inachevée d’Alpha, le joueur était poussé à se rendre sur le campus de Saint-Martin-d’Hères où il devait trouver des QR codes(4) apposés sur les murs de six laboratoires du CNRS. En les scannant avec son téléphone portable, il atteignait un questionnaire à choix multiples auquel il devait répondre. Pour ce faire, il pouvait s’aider du tumblr précédemment évoqué, où toutes les informations nécessaires avait été compilées auparavant pour lui. Pour compléter ces deux sites, les joueurs pouvaient discuter en direct avec Echo sur Twitter (@alphanerepplus), étaient invités à appeler une chercheuse sur un numéro de téléphone, ont reçu des mails d’Echo, et même une lettre personnalisée !

Les résultats

Quelques semaines après la fin du jeu, quel bilan pouvons-nous tirer de cette expérimentation ? Malgré le peu de temps de développement qui nous était alloué (2 mois) et l’équipe très restreinte mobilisée pour l’occasion(5), les résultats sont plutôt positifs. Les joueurs sont en majorité situés dans la tranche d’âge 20-30 ans (l’objectif était de toucher les 15-25 ans). Malgré les 40 inscrits - un nombre encore faible - les joueurs et les internautes ont démontré un réel intérêt pour l’initiative et même pour le contenu scientifique proposé(6). En effet, le classement des pages vues(7) et le temps de lecture par page du tumblr(8), corollés aux retours des joueurs(9), semblent nous indiquer que l’opération de médiation sur les recherches menées par le CNRS à Grenoble a trouvé son public.

Le storytelling transmédia...une idée à exploiter ?

Le fait d’opter pour une médiation imbriquée dans une narration transmédiatique a-t-il participé à ces résultats encourageants ? Il est peut-être un peu tôt pour apporter une réponse définitive à cette question, d’autant plus que le public français n’est encore pas habitué à ce genre de storytelling. Seules deux opérations d’envergure de ce type ont eu lieu en France : In Memoriam et Alt-Minds (le second étant en cours en ce moment). Cependant, il existe bien un public pour ce genre de médiation nouvelle à mon sens : les jeunes entre 20 et 30 ans, ayant grandi en même temps qu’Internet et les nouvelles technologies, un peu geeks, pas forcément férus de culture scientifique mais démontrant un intérêt certain pour ce genre de jeux émergeant.

Les jeux immersifs, ou ARG transmédia, ne sont donc pas la solution unique pour toucher les “jeunes”. En revanche, ils font partie selon moi de la panoplie d’actions qu’il faut développer à l’avenir afin de toucher certains jeunes. Le défi reste alors de savoir doser nos efforts en terme d’investissements humains et financiers, car il est évident que ce type d’initiatives ne peut s’adresser qu’à un public bien défini. La multiplicité des dispositifs et des types de médiation mis en place est la clef de ce défi de taille.

>> Notes :

  1. Site web de type blog, adaptable aux écrans de smartphones
  2. Trois récompenses étaient proposées : un iPad 2, une carte d’accès aux machines du Fablab de Grenoble d’une valeur de 90€ et un chèque cadeau de 50€ pour des achats à Grand’Place (centre commercial de Grenoble)
  3. Langage de code permettant de développer des sites web qui s’adaptent en fonction de la taille d’écran de votre ordinateur, portable ou tablette, pour un rendu optimal sur n’importe quel support
  4. Sorte de barre-code en 2D qui permettent notamment d’envoyer des internautes sur des pages web lorsqu’ils sont scannés avec un téléphone mobile (voir la photo de l’article)
  5. Equivalent d’un temps plein, plus l’aide des scientifiques du CNRS
  6. Un storify des échanges sur ayant eu lieu sur Twitter est d’ailleurs en ligne ici.
  7. Les pages rassemblant des informations sur les recherches des laboratoires du jeu correspondent a plus de 20% des pages consultées
  8. Le temps de lecture par page est de plus de 3 minutes (la moyenne pour un site tourne en général autour de 1m30)
  9. En présentiel, par Twitter, et également suite au questionnaire envoyé en fin de jeu (50% de réponses). De plus, 46% des joueurs véritables (ayant réellement commencé le jeu) ont poussé l’expérience jusqu’à assister à l’évènement final du jeu.

>> Crédits photos : EchoSciences Grenoble (Flickr, CC)