La controverse en matière de publication des articles scientifiques

Publié par Mathilde Chasseriaud, le 27 août 2016   18k

Ce sujet a été remis sur le devant de la scène avec la récente victoire de l’éditeur Elsevier contre le site internet SciHub lancé par Alexandra Elbakyan. Pour préparer ce dossier, j’ai interrogé une dizaine d’étudiants et tout autant d’enseignants-chercheurs sur la question de la gratuité ou non des articles scientifiques. A partir de leurs réponses ainsi que d’articles de Courrier International et du Monde, j’ai essayé de comprendre les arguments en faveur du oui et du non en ce qui concerne la gratuité des articles scientifiques et c’est donc ce travail de recherche que je vais présenter à travers cet article.

L’origine du scandale

En 2011, une jeune étudiante en neurosciences, Alexandra Elbakyan, met au point le site internet SciHub, qui donne librement accès à plus de 47 millions d'articles de recherche. La jeune femme a justifié sa démarche lors du procès intenté par Elsevier pour violation de droits d'auteur en prenant comme exemple sa propre expérience. Durant ses études au Kazakhstan, elle ne pouvait avoir accès a aucun article scientifique. Or, lorsque l’on doit réaliser un projet de recherche, la première étape est une recherche bibliographique.

Il faut en effet se documenter sur le sujet que l’on prépare, ce qui a déjà été fait dans ce domaine, ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas marché, pourquoi dans les deux cas et cela nous donne alors une idée de l’état actuel de la recherche dans ce domaine. Or, un travail de recherche passe par la consultation (de par mon expérience personnelle) d’au moins 5 articles et encore, au grand minimum. Sauf qu’à un coût moyen d’environ 30€ par article, l’addition se retrouve vite salée. La volonté d’Alexandra Elbakyan est donc claire et évidente ; il s'agit de lutter contre l'inégalité d'accès à la connaissance dans le monde, afin que quiconque désirant s'informer sur les recherches scientifiques puisse le faire.

Si le droit d'auteur était la véritable raison de cette affaire, celle-ci aurait dû vite se résoudre. Or, c'est plutôt l'aspect patrimonial du droit d'auteur (qui confère un monopole d'exploitation économique aux sociétés d'édition) qui est le cœur du problème. En effet, il faut savoir que pour qu'un article soit publié, il doit passer par plusieurs étapes de contrôle, et pas forcément les plus arrangeantes pour leurs auteurs.

Le cycle des articles

Lorsqu'une équipe de recherche termine un rapport, le meilleur moyen pour qu'il soit visible par un grand nombre de personnes de la communauté scientifique est qu'il soit publié dans un journal connu (comme Nature ou Science).

Cela passe tout d'abord par l'examen de l'article par un comité éditorial composé par des pairs (des chercheurs) désignés et accrédités par la revue, gratuitement (les chercheurs relisant les articles ne sont pas rémunérés).

Si l'article est accepté par ce comité, il a donc sa place au sein de la revue moyennant un montant allant de 800 à 1000€ (frais de publication) qui doit être réglé par l'équipe de recherche pour la maison d’édition, qui récupère également au passage le copyright de l’article en question, donc du travail de l’équipe de recherche. A ce moment-là, le lien entre l'équipe et son article est alors rompu.

Une fois publié dans une revue, l'article est « accessible » à la communauté scientifique. Officiellement, c’est bien le cas. En pratique, cela diffère allègrement de la théorie. Près de 70% des articles figurant dans des bases de données ne sont pas accessibles gratuitement. Pour y avoir accès, il faut soit contracter un abonnement auprès de la maison d'édition ou alors payer l'article. Et chose ironique, les chercheurs ayant participé à la relecture ou à l'écriture même de l'article doivent eux-aussi s'abonner pour avoir accès à leur propre article ou à un article qu’ils ont corrigé.

Il faut en effet savoir que les articles ne sont pas comme des livres ou des morceaux de musique : pour ces derniers produits, plus la vente est élevée, plus l’auteur/le chanteur est rémunéré. Or, pour un article, si celui-ci est beaucoup téléchargé ou cité, cela ne rapportera aucun argent à l’équipe de recherche. En revanche, si l’article est souvent cité et téléchargé, cela va influer sur un score que l’on nomme le SIGAPS. Plus ce score est élevé et plus l’équipe a de chances d’obtenir des financements élevés pour poursuivre des recherches.

Au sein des universités comme Paul Sabatier à Toulouse, nous pouvons jouir d'un accès à des centaines de revues et d'articles. Cela est permis grâce à l'Université qui paye un abonnement pour avoir accès à tous ces articles. D’après un responsable de la bibliothèque des sciences sur le campus, ce montant s’élève cette année à environ 1 700 000€. Un chiffre encore plus impressionnant est le budget de l'Université de Harvard, qui ne dépense pas moins de 3,75 millions de dollars pour les abonnements aux contenus des éditeurs. De plus, cette université dispose du plus gros budget en la matière mais peine à faire face à cette dépense. Cela met bien en évidence qu'un point critique a été atteint dans le domaine de la publication scientifique.

Des alternatives possibles ?

La majorité des professeurs et enseignants-chercheurs que j'ai interrogés sont en faveur d'une totale accessibilité des articles. Certains m'ont même soumis l'idée de journaux à but non lucratif, c’est-à-dire avec un coût de publication réduit et un accès libre aux articles, comme notamment Plos (Public Library of Science) qui est un projet américain de publication scientifique à accès ouvert.

Les enseignants qui n'étaient pas en faveur de la gratuité de l'accès aux revues ont expliqué leur point de vue en se positionnant par rapport à ces revues « en Open Access ». Les seuls financements de ces revues sont les frais de publication des articles (couleur, agencement, images…) et ceux-ci s'élèveraient entre 1000 et 3000 € selon les revues (soit 3 fois plus que chez un éditeur de revues non gratuites). Le coût pour les équipes de recherche est donc plus élevé avec ce genre de revue.

Ils ont également pointé du doigt la politique d'acceptation/rejet des articles par ces revues ; pour continuer à exister et à être rentables, il faut que ces revues Open Access publient beaucoup d'articles et la principale critique est qu'elles seraient donc moins sélectives envers les articles qu'elles décident de publier.

On en arrive à présent à l'argument phare brandi par les maisons d'édition, à savoir que la qualité en matière d'articles scientifiques a un coût et pas seulement pour les lecteurs : la production, la mise en page et l'archivage monteraient à 4400 €/article aux éditeurs.

Mais à ce stade, comment ne pas percevoir les maisons d'édition comme de véritables entreprises de services ? Surtout lorsque l'on apprend que le chiffre global des éditeurs de revues scientifiques s'élève à plus de 10 milliards de dollars par an ? Tout le vocabulaire d'une entreprise de business est présent : le coût, le bilan financier, le prix de la qualité des produits proposés, le chiffre d'affaire...

Le site web SciHub d’Alexandra Elbakyan n’a fait que remettre en avant le problème de l’accès au savoir scientifique. Mais une seconde polémique s’est glissée dans cette affaire et le titre d’un article du Monde en est assez révélateur : « SciHub, le Pirate Bay de la recherche Scientifique ». Autant SciHub est présenté par la jeune scientifique et Kate Murphy (The New York Times) comme un moyen d’avoir librement accès au savoir et à la connaissance, autant ce site est présenté comme une plateforme de piratage du savoir. C’est notamment l’avis de H. Frederick Dylla (Physics Today), qui déplore le fait de « voir de l’héroïsme à travers cette illégalité ». Il reconnaît que, certes, n’importe qui aimerait avoir son journal gratuit mais met aussi en avant le fait que tout produit travaillé à un coût (révision de l’article, correction, diffusion, publication, archivage, indexion). C’est un appel à la modération en matière d’utilisation de ce genre de site internet.

Frederick Dylla propose ensuite dans son article des alternatives à ce site web comme envoyer un mail aux auteurs afin que ceux-ci envoient en retour leur article (pour avoir moi-même essayé durant l'année universitaire, ce fut un franc échec) et signale aussi que certains éditeurs permettent aux auteurs de mettre en ligne gratuitement leurs articles sur des sites personnels ou institutionnels (ce qui est le cas, pour l’avoir vérifié involontairement lors de recherches bibliographiques antérieures à la rédaction de cet article, par exemple avec un article de Miguel Nicholelis « A Brain-to-Brain Interface for Real-Time Sharing of Sensorimotor Information » qui est disponible entièrement et gratuitement sur son site internet.

Le journaliste mentionne également l’existence de services de location d’articles à bas coût (comme DeepDyve), qui permet d’avoir accès à plus d’une centaine des principaux éditeurs pour « des sommes modiques, ne dépassant pas le prix d’une tasse de café ». Je suis allée vérifier ; le site DeepDyve propose un essai gratuit d’une quinzaine de jours et ensuite 2 types d’offres. Nous avons le choix entre un abonnement mensuel (40$/mois) et un abonnement annuel (30$/mois mais facturé à l’année). Le premier permet, entre autres, une lecture illimitée d’articles, d’imprimer 20 pages par mois (en sachant tout de même que certains articles font généralement plus de 10 pages). Le second permet « pour le prix de 10 articles dans l’année, d’avoir un accès illimité à des articles pendant un an » (offre similaire à la première, en plus de comporter de nombreux autres avantages). Ce service semble donc plutôt rentable et serait un bon moyen de consulter un grand nombre d’articles sans se ruiner.

Enfin, Frederick Dylla met en avant le fait que 30% des 28 000 revues de recherches existantes font appel à l’accès libre. Il est cependant fait état que le modèle de l’accès ouvert finira sans doute par s’imposer dans de nombreux secteurs de la recherche, suite aux grandes actions menées par les chercheurs et universités du monde entier pour le libre accès aux publications. Reste donc à ce qu’une transition vers un esprit de collaboration et de coopération se mette en place au niveau du partage de la connaissance scientifique.

Des actions et combats pour l'ouverture de l'accès aux données

De nombreuses institutions et personnalités se sont lancées dans cette lutte pour le libre accès au savoir scientifique. Il y avait notamment Aaron Swartz, mal à l’aise avec la culture de l’argent, qui s’est grandement inspiré de la politique du créateur de World Wide Web (Tim Berners-Lee) qui avait laissé sa création « libre et gratuite afin qu’elle puisse bénéficier à tous ».

Le jeune homme s’est impliqué dans de nombreux combats pour les libertés numériques : accès aux données publiques, prise de position contre contre la loi Sopa aux Etats-Unis (Stop Online Piracy Act) qui envisageait d’empêcher les navigateurs de présenter dans leurs résultats de recherche tout site internet reconnu comme portant atteinte au droit d’auteur.

Il coécrira également un manifeste pour l'ouverture de l'accès aux données, participera à des dizaines de manifestations et passera régulièrement sur les plateaux de télévision pour expliquer sa lutte et son combat.

Aaron Swartz est cependant arrêté en octobre 2010 pour avoir caché un ordinateur au sein du MIT en vue de télécharger l'intégralité d’une base de données de publications scientifiques dont l'accès était payant en dehors du campus. Son arrestation a conduit à un procès mais également au suicide du jeune homme à seulement 26 ans. C’est ainsi qu’Aaron est devenu un symbole pour le libre accès à l’information. Fait ironique : un documentaire consacré au combat d’Aaron a été réalisé « The Internet’s Own Boy » mais sa diffusion n’est limitée qu’au territoire américain. Pour le visionner, il faut le télécharger « sur les réseaux peer-to-peer ou utiliser un VPN si l’on souhaite soutenir financièrement le film » : un système très singulier pour un film traitant d’un des plus grands défenseurs des libertés numériques.

Conclusion

Voilà donc où nous en sommes actuellement : la volonté de partager les connaissances et les découvertes en sciences se retrouve face à une véritable bulle spéculative du monde de l'édition.

Comme l’eu dit Aristote : « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous ». Il ne faut donc pas se méprendre : le savoir n'est rien s'il n'est pas partagé et la science ne peut progresser sans la diffusion des résultats de recherches.


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