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Le syndrome du "dépassement d'entier" de Schiaparelli à Ariane V, en passant par chacun de nous

Publié par Laurent Vercueil, le 2 décembre 2016   3.5k

Schiaparelli s'est écrasé pour n'avoir plus été en mesure d'apprécier la position que lui décrivaient ses capteurs. Comme Ariane V, le 4 juin 1996, qui ne parvenait plus à estimer sa situation. Chaque fois, un bug dans les calculs informatiques. Une valeur non prévue par le système. Un "dépassement d'entier" *.

Le dépassement d'entier correspond à la production, à l'issue d'un calcul, d'une valeur non représentable par le système. Par exemple, une donnée supérieure à la valeur la plus élevée disponible. L'absence de possibilité de représenter et donc, d'utiliser la valeur produite conduit à la suspension des fonctions attachées au traitement de cette valeur. Le bug. Aux conséquences immédiates.

Une valeur non représentable est nécessairement un problème dans tout système. Le système nerveux n'échappe pas à cette règle. Si je ne suis pas en mesure de me représenter quelque chose, il n'y a aucune raison que cette chose existe pour moi, même si, de fait, elle existe réellement.

Le dépassement d'entier est quantitatif. Il est assez facile de comprendre comment il peut s'appliquer, chez l'humain, aux valeurs numériques. Nos capacités à nous représenter les chiffres élevés sont assez rapidement mises hors de portée.

Si je vous dis : "je vois trois arbres dans ce paysage". La donnée numérique est aisément représentable. Trois unités constituent une donnée spatialisée, représentable et manipulable facilement.

Si je vous dis : "c'est un bosquet d'une dizaine d'arbuste", le volume peut être estimé approximativement avec peu de chance de se tromper.

Si je vous dis : "cette forêt contient plusieurs centaines d'arbre", ça devient plus compliqué à se représenter. On va avoir tendance à passer par une représentation symbolique (un chiffre).

Prenons à présent l'exemple des 86 milliards de neurones : comment se représenter cette masse ? impossible, car cela excède largement nos possibilités de représentation des nombres. Pour autant, pas de bug cérébral à l'horizon (nous continuons de fonctionner normalement). Dans ces situations, le cerveau contourne le problème à l'aide de l'analogie : 86 milliards, c'est beaucoup. C'est comme la population humaine qui habiterait sur 10 Terres équivalentes... Nous avons le symbole et l'analogie pour nous en sortir.

Il est évident que, pour l'être humain, le dépassement d'entier est résolu (assez tôt dans la suite numérique) par l'analogie ou le symbolique. Les robots pourraient en prendre de la graine...

Cependant.

Le désormais classique gorille de Simons et Chabris n'est-il pas le produit d'un "dépassement d'entier" ?

Dans cette expérience célèbre, les observateurs ne détectent pas la présence du gorille, parce que son incongruité dans la scène (personne ne s'attend à ce qu'un gorille apparaisse) et la compétition de la tâche à réaliser (et ses exigences énergétiques) conduit à ce que sa "représentabilité" dans le cerveau devienne impossible. Le gorille est en quelque sorte un "dépassement d'entier". Et pas à moitié.


>> Note

* Le problème du "dépassement d'entier" est un cas d'école classique dans la formation des ingénieurs. L'histoire du crash d'Ariane V fait l'objet d'une exégèse méticuleuse. Gageons que ce soit prochainement le cas aussi de Schiaparelli