Les acteurs politiques locaux peuvent-ils faire bon ménage avec l’économie collaborative ?

Publié par Sharin'Grenoble Conférence sur l'économie collaborative, le 14 mars 2016   3.4k

Dans le cadre de la conférence Sharin' Grenoble, un événement Grenoble Ville de Demain, qui aura lieu le 22 mars 2016, nous vous proposons une série d'articles sur l'économie du partage et son impact. Vincent Pasquier, chercheur à Grenoble Ecole de Management, réfléchit ici à la relation de l'économie collaborative avec les politiques locaux. Pour plus d'informations sur la conférence traitant de l'économie du partage dans la ville de Grenoble, consultez le site : www.sharingrenoble.com

Alliés incontournables ou partenaires un peu gênants dont on ne sait trop que faire, les acteurs politiques locaux ne disposent pas encore d’un rôle bien stabilisé dans le paysage de l’économie collaborative. Au vu des succès emblématiques des velov et autres vélib, les acteurs politiques locaux semblent de prime abord tout à fait légitimes pour orchestrer et dynamiser des systèmes de partage collaboratifs. Certains (1) les considèrent même comme les acteurs clefs du développement de cette nouvelle économie du partage. Néanmoins, les premiers retours d’expérience appellent d’ores et déjà à nuancer ce point de vue.

En effet, à trop vouloir s’immiscer dans l’économie collaborative, les pouvoirs politiques ne pourraient-ils en freiner le bourgeonnement? Ne risque-t-on pas également d’assister à un choc des cultures stérile entre d’une part des institutions politiques locales – souvent bureaucratiques et parfois instrumentalisatrices - et d’autre part un écosystème collaboratif davantage entrepreneuriale et généralement pragmatique ? Au final, quelle « juste » place le pouvoir politique local doit-il prendre dans cette nouvelle économie : orchestrateur, facilitateur et / ou régulateur ?

Nous proposons ici un rapide tour d’horizon des différents rôles que peuvent endosser les acteurs politiques locaux dans l’économie du partage et tâchons de décrypter les enjeux qui y sont associés.

Les acteurs politiques comme orchestrateur de biens et services publics partagés

A l’instar de M. Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les acteurs politiques locaux s’adonnent depuis fort longtemps à l’économie du partage. Nos chères bibliothèques municipales ne sont effet rien d’autre qu’un système de partage de livres entre citoyens sous l’égide de la municipalité. Plus récemment, des vélos, voitures et autres biens liés à la mobilité sont également devenues des ressources partagées par les citoyens par l’intermédiation des mairies et agglomérations. Poussant encore plus loin leur implication dans l’économie du partage, certaines municipalités commencent également à créer des lieux publics dédiés aux pratiques collaboratives, à l’instar des Fablab mis sur pied par la mairie de Barcelone. Les horizons d’une économie du partage pilotée par les acteurs politiques locaux semblent donc s’élargir chaque jour… Est-il pour autant souhaitable de démultiplier le partage de biens et de services sous l’égide de pouvoirs politiques locaux ? N’est-il au contraire pas plus conforme à l’esprit de l’économie du partage de laisser l’initiative aux citoyens, collectifs, associations et start-ups ?

Les acteurs politiques comme co-constructeur d’un environnement favorable

Outre le rôle d’orchestrateur direct de l’économie de partage, les acteurs politiques locaux peuvent également endosser le costume de « facilitateur ». L’objectif devient alors de créer un environnement favorable à l’émergence de pratiques collaboratives. Dans cette optique, la fondation « la fabrique écologique » a récemment émis un certain nombre de préconisations pour aider les municipalités à devenir des villes du partage (2), en favorisant l’émergence de l’écosystème collaboratif.

Mais entre facilitateur et gêneur, les différences sont parfois ténues. Les travaux de Blanc et Ferraton (3) illustrent ainsi comment l’intrusion des pouvoirs publics dans les systèmes de monnaie locale a eu tendance à instrumentaliser ces actions citoyennes et à enrayer leur bonne dynamique. Et si le rôle des pouvoirs politiques locaux devait se cantonner à leur mission régalienne ?

Les acteurs politiques comme force de régulation

Troisièmement, le rôle des acteurs politiques locaux peut également être celui de régulateur. Leur fonction consiste alors à fixer les règles du jeu d’une économie collaborative souvent très foisonnante… Au point d’être parfois envahissante. Des municipalités ont ainsi engagé des actions auprès des nouveaux géants de l’économie collaborative afin de préserver les équilibres socio-économiques locaux, comme San Francisco avec Air B&B ou encore Boston avec Uber. En parallèle de ce rôle classique de législateur, l’arrivée des technologies « big data » permet également d’envisager de nouvelles modalités de régulation citoyenne qui seraient davantage collaboratives, au travers notamment de la mise en place de bases de données ouvertes et transparentes.

Entre orchestrateur, facilitateur ou régulateur, le rôle des acteurs politiques locaux dans l’économie collaborative reste donc à imaginer. Mais quelles que soient les orientations prises, cette nouvelle donne économique pourrait appeler à un changement de paradigme de l’action politique. D’acteur « surplombant », le rôle des pouvoirs politiques locaux pourrait ainsi s’orienter vers celui d’accompagnateur et de connecteur. Tout l’enjeu consistera alors à trouver sa juste place : légitime sans être étouffant, catalyseur sans être marginal.

Vincent Pasquier, professeur et doctorant à Grenoble Ecole de Management


>> Notes :

  1. Fondation One Earth, Rapport "Local Governments And The Sharing Economy", octobre 2015
  2. La fabrique écologique, rapport « Villes et Territoires en Partage », avril 2015
  3. Blanc, J., & Ferraton, C. (2005). Une monnaie sociale? Systèmes d'Échange Local (SEL) et économie solidaire. L'économie sociale en perspective, 83-98.