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Quand DYT1 était le gène de l'intelligence

Publié par Laurent Vercueil, le 8 août 2016   4.7k

La recherche d’un gène pouvant coder l’intelligence est une vieille lune. Elle nécessite de pouvoir définir ce qui est entendu par « intelligence » et repose sur l’illusion qu’un gène isolé puisse déterminer une faculté aussi complexe. Si l’on réduit l’intelligence au résultat d’une mesure de QI (ce qui est contestable sauf à adopter un raisonnement circulaire : « l’intelligence est ce qui est mesuré par le QI »), certains ont tenté d’établir la contribution de gènes spécifiques au score final. Une histoire exemplaire est celle du gène de la dystonia musculorum deformans, ou dystonie généralisée idiopathique.

La dystonie généralisée idiopathique est une maladie neurologique qui s’exprime au cours de l’enfance par des mouvements anormaux involontaires envahissant progressivement la plupart, sinon l’ensemble, des possibilités motrices du sujet. Très invalidante, et pouvant conduire à des complications générales graves, elle a suscité de nombreuses tentatives pour juguler les mouvements anormaux, dont, au cours des dernières années et avec un certain succès, le traitement par stimulation cérébrale profonde.

Dans les années 60, un neurochirurgien américain, Irving S. Cooper (1), pionnier de la neurochirurgie fonctionnelle, développait une approche lui permettant de détruire des structures en profondeur dans le cerveau de ces patients. Il rapportait alors des effets favorables qui feront le lit du développement de la stimulation cérébrale profonde, trente ans plus tard.

Dans le même temps, il s'étonne de constater, chez des personnes sévèrement affectées, des facultés intellectuelles remarquablement préservées, voire sensiblement "au-dessus de la normale". Il le signale à ses collègues généticiens et une étude rétrospective est décidée.

En 1970, l'étude complétée, l'équipe américaine attribue à la présence de deux copies du gène de la dystonie généralisée, un gain d’environ 10 points dans l’échelle du QI (2). Pour parvenir à cette conclusion, ils ont comparé les résultats de jeunes patients affectés par la maladie, à ceux de la fratrie, ainsi que de sujets témoins appariés, de la même communauté (juifs ashkénazes) et du même environnement scolaire. Dans une maladie de transmission récessive, il est nécessaire d’être porteur de deux copies du gène pathologique, hérité de chacun des parents, pour la maladie apparaisse. Les frères et sœurs qui ne sont pas affectés n’ont, quant à eux, soit qu’une seule copie du gène, soit aucune.

Or, les moyennes des QI étaient de 111 et 112 pour les deux populations de témoin, 119 pour les frères et sœurs, et 121 pour les malades. Seule la différence entre les sujets dystoniques et la population témoin était statistiquement significative. Les populations étudiées étaient toutefois en nombre très limité, et, honnêtement, à la lecture du détail des résultats, on se dit que la seule chance pouvait très bien expliquer cette distribution des résultats et que les données obtenues dans la fratrie sont carrément superposables à celles des patients... mais cela ne découragera pas les auteurs de leur conclusion.

Problème : le gène ne sera véritablement connu que 25 ans plus tard, et il ne s’agit pas d’un gène récessif mais dominant, qui recevra le petit nom de DYT1, en tant que premier gène identifié dans la dystonie (3). Une maladie dominante est liée à une mutation ne portant que sur une copie, donc susceptible d’être transmise à chaque génération. Ainsi, et de façon schématique, on peut dire que les gènes pathologiques récessifs sont fréquents dans la population générale, mais nécessitent que deux porteurs asymptomatiques (c’est-à-dire « qui s’ignorent ») se rencontrent et qu'ils aient des enfants ensemble pour qu’un malade apparaisse (un enfant sur 4), tandis que les gènes sont dominants mais souvent présents à chaque génération, avec un risque de transmission à un enfant sur deux. Dans le cas de DYT1, le mode de transmission qui avait été observé semblait plus évocateur d’un gène récessif parce que la maladie semblait survenir dans des familles auparavant indemnes. Or le gène DYT1 est un gène à pénétrance réduite, ce qui signifie qu’il existe des porteurs de la mutation chez qui la maladie ne se déclare pas.

Or voici qui fait s’écrouler l’hypothèse d’un gène de l’ « intelligence supérieure » : le classement des enfants en fonction de la présence des signes de la maladie n’est pas superposable à celle du gène muté. Si un lien existait, il faudrait pouvoir déterminer si la mesure du QI est corrélée à la présence du gène ou à celle de la maladie, ainsi qu’éventuellement, aux soins reçus, à l’attitude de l’entourage, aux capacités d’adaptation des sujets, etc. On se souvient, il y a plus de 20 ans, de la polémique suscité par l’ouvrage de Charles Murray qui prétendait fonder les différences sociales, et les mesures de QI, sur des bases biologiques. Il y a tant d'enjeux idéologiques que la quête n'est probablement pas terminée... hélas.


>> Notes :

  1. Irving Cooper était novateur par bien des aspects, dont le moindre n'était pas sa façon de documenter avec précision, à l'aide de documents cinématographiques, les patients qui lui étaient confiés pour la chirurgie (les photographies et dessins illustrant cet article sont tirés de son livre "Involuntary Movement Disorders", paru en 1969, chez Hoeber, NY. Critiqué par ses pairs pour son usage décomplexé de la publicité, prématurément disparu, il a laissé un récit passionnant de sa carrière dans un ouvrage non traduit "The Vital Probe". On peut lire ici, un article écrit par mes soins sur le sujet
  2. Eldridge, R. et al.,(1970). Superior Intelligence in Recessively Inherited Torsion Dystonia. The Lancet. 295 (7637): 65–67
  3. DYT1 code pour une proteine, la Torsin A, dont la fonction n’est pas encore bien comprise. Cette maladie est toujours à la recherche d’un traitement spécifique