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Depression : agir sur le comportement, les idées suivront

Publié par Laurent Vercueil, le 15 octobre 2016   8k

Voilà une publication récente (1) dans la revue prestigieuse The Lancet qui remet la théorie des émotions de William James au premier plan. Et qui plus est, concernant un fléau des temps modernes : la dépression.

La théorie des émotions de James en 1884 ? Rien de plus simple : ce n'est pas parce qu'on a peur, que le coeur bat la chamade, que la respiration devient courte, hâchée, que l'on tremble et sue, et que nous nous mettons à courir. C'est parce qu'on court, déjà, que le coeur s'agite dans la poitrine, que le souffle manque et que nous sommes secoués de tremblements, inondé de sueurs, que nous avons peur. D'abord le corps qui vit, puis les idées qui se forment. Les sentiments sont le reflet dans le miroir et non ce qui s'y mire. L'histoire que nous raconte la petite voix dans la tête est une mise en forme au terme de la recherche d'une cohérence : "si je suis ainsi, c'est bien que je pense ça..".

Bien que contestée, la théorie Jamesienne des émotions avait déjà trouvé, dans certains travaux de psychologie, des éléments de confirmation. Par exemple, le fait d'adopter, de façon artificielle, des mimiques émotionnelles (rapprocher deux pastilles placées au dessus des yeux conduit à "froncer les sourcils" comme si l'on était l'objet d'une contrariété), influence les jugements portés sur la valeur comique de vignettes ("cartoons").

Ainsi, le sujet qui rapproche volontairement les pastilles a tendance à juger moins drôles les images que la jeune femme qui ouvre la bouche en tenant entre les dents un stylo. L'expression du visage, même fabriquée, accompagne une tonalité émotionnelle qui va colorer les perceptions et les inclinations...

Le cerveau, en retard sur les expériences que fait le corps...

Et voici donc qu'une étude médico-économique, menée dans trois centres de psychiatrie en Angleterre parait à la fin du mois d'août, dans la revue Lancet.


Dans cette étude randomisée et contrôlée de non-infériorité, trois centres de soins primaires de psychiatrie à Devon, Durham et Leeds, ont enrôlé 440 adultes présentant une dépression majeure (sur la base des critères du manuel DSM IV) dans deux groupes, qui recevaient, pour l'un, une thérapie cognitivo-comportementale (TCC) et pour l'autre, un programme d'activation comportementale (Behavioural Activation, BA). La plupart (près de 80%) des patients suivaient également un traitement antidépresseur (dans la même proportion pour chaque groupe, comparable sur l'ensemble des paramètres étudiés par ailleurs).

L'une des différences évidente entre les deux approches réside dans la qualification des personnes qui interviennent : dans le cas de la TCC, des spécialistes sont requis, qui appliquent des procédures rigoureuses, éprouvées, qui visent à identifier les représentations mentales négatives, pour les remplacer par des positives (je schématise, bien sûr). Pour la BA ("activation comportementale"), il s'agit de "juniors" du domaine de la santé (auxiliaires de santé, ou agents sanitaires si on peut traduire ainsi "health-care workers"(2)). L'activation comportementale consiste à inciter les personnes à pratiquer des activités, programmer celles-ci dans un calendrier, vérifier leur réalisation, en assurer un suivi régulier, etc. En somme, conduire les personnes à faire des expériences avec leur corps, à "vivre des choses" et voir ce qui se passe.

Les résultats sont sans équivoques. L'activation du comportement (BA) fait jeu égal en terme de résultat sur les scores de dépression avec la TCC. A un prix bien moindre. Dans l'une des figures de l'article, reproduite ci-dessous, la position de deux paramètres pour chaque sujet étudié est représentée : l'efficacité (si la BA est plus efficace que la TCC, le point se situe sur la droite de l'axe vertical) et le coût (si la BA est moins coûteuse que la TCC, le point se situe sous l'axe horizontal).

La prudence doit être de mise. La dépression est une affection grave, fréquente, aux conséquences souvent dramatiques. Les tenants du "yaka" feraient une grave erreur en tirant des conclusions trop rapides. Les sujets de l'étude recevaient par ailleurs un traitement antidépresseur, et il n'existe pas de groupe témoin qui n'aurait été exposé ni à la BA, ni à la TCC.

Toutefois, cette étude suggère bien que de "faire des choses" (d'avoir des expériences avec le corps), peut contribuer à changer favorablement les idées que l'on a sur ces choses (la vie). Une incitation à exister. C'est à dire à éprouver l'existence avec le corps vivant.

Et à nous souvenir que l'existentialisme est un neurohumanisme.


>> Notes

  1. Richards DA et al. Lancet 2016; 388:871-880 (article disponible en ligne)
  2. Ces "juniors" sont décrits comme "Graduates trained to deliver guided self-help interventions, but with neither professional mental health qualifications nor formal training in psychological therapies". On comprend qu'ils sont "naifs" pour ce qui est de la prise en charge psychologique.

*Les deux premières illustrations proviennent d'un diaporama présenté par l'auteur aux journées du congrès annuel de Psychomotricité (18/10/2014, Grenoble WTC) intitulé "les loupés de l'embodiment" et portant sur l'"encorporation", ou "incarnation", qui étudie comment les états physiques corporels influencent la cognition.