Les Grands Moulins de Villancourt : hier, aujourd'hui, demain ...

Publié par Laurent Ageron, le 30 août 2016   3.5k

Crédit photo : Mme Abric - archive municipale.


Retrouvez tous les mois un épisode relatant la vie de ceux qui ont façonné ce site emblématique de l'agglomération grenobloise. Réalisation : service des archives municipales de la ville de Pont de Claix.


Chapitre 13 : A la guerre comme à la guerre


Alors que la biscuiterie, qui est devenue la plus grande d'Europe et une des plus importantes au monde, traverse la guerre entre collaboration active de sa patronne et des faits de résistance qui prennent appui sur le personnel (1), à Villancourt, la basse-cour et les jardins permettent de tenir face aux restrictions, et le moulin brûle ...


Angel Jimenez a donc trente ans en 1940, lorsqu'il entre au moulin de Villancourt ; lorsqu'il le quitte, 26 ans plus tard, Il est représentatif de ces personnels qui ont appris le métier de la meunerie sur le tas. D'abord dans la cour (par opposition au moulin) à la sacherie, où il récupère la farine dans des sacs de 100 kg, les charge sur le dos – une glissière ne sera installée qu'en 1969 – les « gerbe », c'est à dire les attache, les empile, charge enfin le camion qui les transporte à Saint-Martin-d'Hères, à la biscuiterie qui pendant toutes les années qui précèdent la Libération sera le seul client de Villancourt. « J’en ai vu rentrer sept ou huit ici, des gosses, ils devaient avoir dans les 15 ans, témoigne-t-il, on déchargeait les camions sur le dos, des sacs de 105 kg. Seulement tout le monde a pas résisté. Moi, ça a duré vingt-six ans, ça m’a pas tué. Mais j’ai vu des plus costauds partir au bout d'un jour ou deux, le dos en sang ». Excellent touche-à-tout il va s'occuper de l'entretien du moulin et des cylindres qui ont remplacé les meules : « 1 semaine de nuit et 2 de jour, puis après ça se répétait. Toutes les semaines, on changeait de faction. Le plus terrible, c’était la nuit parce qu’on était que 2 ; dans la journée, bon, on se secouait, on allait voir les autres, et puis quand le moulin y marchait bien … on peut s'en aller à la place Grenette quand ça marche bien ! Mais quand ça marche pas, hé ben on n’a même pas le temps de casser la croûte… ». Les « factions » s'organisent de 20h-4h, 4h-midi, et midi 20h, le moulin fonctionne six jours sur sept, ceux de la cour, de la sacherie, font des journées de 9h. A la direction dans ces années-là, après le frère ce sera au tour du neveu de faire la différence avec la gestion autoritaire de Claire Darré -Touche, au point qu'inquiété par les autorités allemandes, monsieur Lefèvre sera défendu par les employés du moulin et lavé de tout soupçon. Il sera aussi l'homme du poulailler, celui qui chaque matin va prélever des œufs pour les distribuer aux enfants du moulin… et fermera les yeux sur la disparition de quelques kilos de farine ?

Le feu au moulin
A la Libération de Grenoble, en Août 1944, Claire Darré Touche, patronne des biscuits Brun, qui a clairement affiché ses sympathies pétainistes, fait l'objet d'un mandat d'arrêt ; elle prend la fuite en Suisse (comme en témoigne Gilbert Bosetti dans son ouvrage (2) précédemment cité). Ses biens sont mis sous séquestre, le préfet nomme un administrateur et un comité provisoire de gestion est constitué : un directeur général (M. Charnaux), un directeur technique, un directeur commercial, et un représentant du personnel forment le comité de direction, quant au comité de gestion lui-même il est composé de 4 ouvriers, 2 ouvrières, 2 employés, 2 agents de maîtrise, 1 cadre commercial ou administratif. Deux parents de madame Darré-Touche font encore partie du personnel : monsieur Chapulut, chef de dépôt à Marseille, son beau-frère, et monsieur Lefèvre, directeur du moulin de Villancourt, le comité leur demande de partir. Monsieur Lefèvre est remplacé par monsieur Rocher, c'est alors que le moulin brûle presque entièrement ; Pour Angel Jimenez, cela ne fait aucun doute, le feu a été délibérément provoqué par le directeur et le gardien pour camoufler un trafic de farine et de blé. L'histoire n'a pas jugé … " Le moulin était tellement, intégré dans l'usine qu'on en parlait pas particulièrement, témoigne le directeur de l'usine Brun en 1953 (qui se trouve également être apparenté à Claire Darré-Touche ), si ce n'est cet incendie qui a eu lieu dans les années 1945 et qui a posé problème. Car à ce moment là, les responsables du moulin se sont interrogés pour savoir ce qu'ils allaient faire : s'ils allaient ne pas le reconstruire et acheter la farine ou au contraire le reconstruire et fabriquer la farine pour eux. Il s'est avéré certainement plus intéressant de faire comme ils ont fait, c'est à dire refaire un moulin et re-fabriquer de la farine ».

(1) le comité de gestion lors de sa séance du 20 juin 1945 décide que s'agissant des ouvriers ayant quitté l'usine en 1944 pour le maquis, ce temps sera pris en compte pour le calcul des congés payés.
(2) « Un petit dauphinois sous l'occupation : le temps retrouvé d'une enfance » Graveurs de mémoire-L'Harmattan, 2014.