Les Grands Moulins de Villancourt : hier, aujourd'hui, demain ...

Publié par Laurent Ageron, le 27 octobre 2016   3.9k

Crédit photo : Société meunière du centre. Date : entre 1975 et 1978


Retrouvez tous les mois un épisode relatant la vie de ceux qui ont façonné ce site emblématique de l'agglomération grenobloise. Réalisation : service des archives municipales de la ville de Pont de Claix.


Chapitre 15 : une histoire s'achève, une autre peut commencer …


A partir de 1950, et après les années troubles de l’occupation, les Biscuits Brun deviennent Pâtes La Lune (Bozon et Verduraz), puis LU, Brun et associés (LBA) et Comastock. C’est entre 1977 et 1981 que se fait la transition du moulin à farine aux silos à musique… Et puisqu'on doit à Pythagore l'invention d'une table d'harmonie («tout ce qu'on peut connaître a un nombre, sans les nombres, nous ne comprenons, nous ne connaissons rien») la vocation du lieu semble toute tracée, en direction des étoiles.


On peut lire dans La France sociale municipale (Maisons-Alfort, N°2, 1er trimestre 1957) : « De nombreuses industries alimentaires se sont installées à Maisons-Alfort parfois dès la fin du XIXe siècle : l’Alsacienne Biscuits, Bozon-Verduraz, Les Biscuits Brun et les Pâtes La Lune, Fould-Springer (1872), la biscuiterie Gondolo, la Biscuiterie Léon, la distillerie de la Suze, la Vermicellerie Parisienne ». On trouve aussi des informations selon lesquelles, en 1936, la fabrique savoyarde de pâtes Bozon-Verduraz connue sous le label « E.B.V. La Ruche » puis surtout « E.B.V. Pâtes La Lune » licencie plus de 700 ouvriers, alors que son usine de Saint Etienne subsiste vaille que vaille « après avoir été rachetée par diverses sociétés aussi célèbres (Biscuits Brun, Lustucru), qu'impuissantes à redresser la situation ». Elle fermera définitivement ses portes le 31 décembre 1952. En 1953, intervient la fusion entre la S.A. Biscuits Brun dont le siège est toujours au 1 de la rue du Général Marchand à Grenoble, et la S.A. dite Etablissements Bozon et Verduraz dont le siège est à Maisons-Alfort. La dénomination Bozon-Verduraz a été modifiée pour devenir en 1953, Biscuits Brun-Pâtes La Lune puis, en 1963, Biscuits Brun.

Difficile de dénouer l'écheveau des intérêts qui lient les uns aux autres ces magnats de l'industrie alimentaire à l'orée de la deuxième moitié du vingtième siècle. Vu d'ici : « c'est quand la biscuiterie a été achetée par les pâtes La Lune qu'on n'a plus fait pour la boulangerie, qu'on n'a fait que pour la biscuiterie » témoigne Colette Chaniet (2) à laquelle on propose de rejoindre le service de la comptabilité centralisé à Paris avant de la licencier en 1959. « Les quantités dont nous avions besoin étaient supérieures aux possibilités du moulin, explique Michel De Brion (3), car il faut savoir que ce moulin travaillait six jours sur sept, en trois huit. Mais malgré cela, il n'arrivait plus à fournir l'usine en totalité. Et à ce moment là, il avait quand même bien vieilli, bien qu'il ait été d'une technique encore tout à fait correcte, il n'avait certainement plus la puissance d’écrasement qui nous était nécessaire ». François Oltra (4) qui y travaille dix années durant a une version un peu différente des faits : « Quand ça a fermé, c’était pas le moulin qu’était pas bien, c’était plutôt la direction qui n'a pas su s’y prendre. Parce que, à mon avis ... enfin, c’est un avis personnel, hein ? L’outil de travail était bon, seulement c’était la direction qui n’était pas bonne, hein ... je ne sais pas comment ça s’est passé ( d'abord, ) c’était un patron, après c’était une société, après c’était Gerzat, après celui qu’a acheté s’était retiré, après c’était tout le monde … on a dit : « Ça va marcher, ça va marcher » ; quelque temps après on a appris que celui qui avait acheté avait retiré son argent et puis effectivement la société continuait, mais enfin, ça allait en se dégradant ; jusqu’au jour où, vraiment, quoi ... la fermeture c’était une surprise parce qu’on pensait que ça allait repartir ; oui c’était une surprise parce qu’on s’attendait pas à ça et puis le personnel était assez qualifié ... non, c’était pas une question de personnel, je crois que c’était une question de commerce, commerciale … il fallait qu’ils se fassent une clientèle ... et là, ils n'ont pas pu percer pour se faire une clientèle sur place. Ils n'ont pas pu se faire une clientèle, alors naturellement, y faisaient de la farine, et quelques fois y la vendaient à des prix presque coûtants, histoire de dire d’avoir de la clientèle, mais ça n’a pas marché ! » « Le moulin ferme en 1974, commente Henry de Vernissy (5), il est racheté par un gars de Clermont-Ferrand, qui a bouclé au bout de deux ans. La minoterie est une affaire difficile, la France consommait un kilo de pain par tête de pipe au début du siècle, qui sont passés à 200 grammes». Vendu par Brun (6) à une société du centre de la France, Comastock, la décision de liquidation est prise en novembre 1977, le temps de la dispersion du matériel et des droits de mouture, en 1980, le conseil municipal de Pont de Claix fait jouer son droit de préemption pour se porter acquéreur des bâtiments, dans une partie d'entre eux, sera installé le conservatoire intercommunal de musique Jean Wiéner : la salle des écuries ou les silos à musique font écho aux bruits de « ceux de la cour », quant au moulin proprement dit, il attend une renaissance des étoiles…

(1) Après le décès brutal d’Emmanuel Bozon Verduraz en 1925, son fils Benjamin transforme l’entreprise en société anonyme et les usines satellites de Maisons-Alfort, de Montescourt et de Bordeaux rejoignent la maison mère de Saint Etienne de Cuines.(2) Colette Chaniet, comptable entre 1947 et 1959(3) Michel de Brion, directeur des usines Brun de 1953 à 1981(4) François Oltra, mécanicien monteur de 1964 à 1974 (5) Henry de Vernissy, comptable administrateur de 1950 à 1974, les « anciens » des moulins et biscuits Brun sont interviewés en 1986 par Anne Cayol-Gerin dans le cadre de la mission « étude patrimoniale » qui lui a été confiée par les deux villes de Pont de Claix et Echirolles.(6) la société Lu, Brun & Associés (Nantes) vend en décembre 1974, début 1975, les moulins à Comastock qui a pour principaux actionnaires la S.A. des Magasins Généraux du centre à Gerzat, André Jourdan, demeurant à Chamalières (c'est à son retrait que M. Oltra fait allusion ), Michel Goutay demeurant aux Martres d'Artières, Jules Buche demeurant à Perignat sur Sarliève.