"Autopsie et diagnostic de la R&D soviétique et russe" (Suite et fin)

Publié par Hoby Ranarison, le 27 janvier 2020   2.1k

Les années 1990 et 2000 marquent un tournant dans l’histoire du pays. S’ouvrant peu à peu sur le marché mondial, aussi bien économique que politique, la nouvelle République Fédérale de Russie investi beaucoup sur le secteur de la Recherche et Développement, dans le but de relancer l’économie nationale. Mais cet investissement massif, passe aussi par la collaboration avec d’autres entreprises, d’autres universités dans le monde, où l’objectif est d’établir des partenariats ainsi que des échanges avec d’autres pays. Dans le même temps, l’Etat entreprend au niveau national une série de réformes universitaires, ainsi que la construction de nouvelles structures à caractères scientifiques et techniques. Comment et à quelles échelles les réformes concernant les universités ont-elles un impact sur ces institutions ? Qui investi aujourd’hui dans la R&D ? Qu’en est-il aujourd’hui de la situation des jeunes diplômés et jeunes actifs en Russie ? Y’a-t-il encore des inégalités sociales pour l’accès à l’université ? Quelle est aujourd’hui la place de la Russie dans le secteur des nouvelles technologies et de l’innovation ?

 




Cet article est soumis à l’expertise d’Olga Bronnikova, enseignant-chercheur à l’Université Grenoble Alpes, spécialiste des questions politiques, économiques et sociétales post soviétiques.

 

 

Les réformes universitaires scientifiques, symboles des politiques réformistes et libérales ?

 

Au début des années 2000, les réformateurs tendent à s’appuyer sur des transformations néolibérales, où les universités se libéralisent peu à peu. Les débuts sont assez compliqués, le financement par l’Etat étant maigre, elles se doivent de trouver le leur par elles-mêmes. Ces transformations aboutissent à la création de grandes universités, comme la High School of Economics de Moscou, une université dite libérale. Elle est issue d’un projet mixte mené en grande partie par l’Etat mais a été sujet de controverses, politiques et éducatives. En effet, la libéralisation de l’Université en Russie est un concept totalement nouveau, dont certains hauts placés du gouvernement et anciens dirigeants soviétiques ont du mal à accepter. A terme, ce processus a fini par jouer sur la fusion de plusieurs universités, comme pour l’Université Grenoble Alpes.

Ecole des Hautes Etudes Economiques à Moscou

Outre cela, les universités ont été hiérarchisées selon différents statuts. D’un côté les universités fédérales et les universités au statut scientifique et de l’autre les universités pédagogiques. La différence réside dans le financement. En effet, celui-ci est principalement adressé aux universités fédérales et scientifiques, dans une optique d’excellence. Pour les universités pédagogiques, elles ne perçoivent pas les mêmes moyens ; elles ne rentrent pas dans la politique d’investissement d’excellence et d’innovation. De plus, plusieurs d’entre elles se situent dans des régions très éloignées, voire difficiles d’accès telles que la Sibérie ou l’extrême orient. De ce fait, elles sont laissées à l’abandon.

Les Universités Fédérales, présentes dans les grandes villes du pays telles que Moscou et Saint Petersbourg, ont donc été créées dans le but d’accentuer les échanges à l’international, plus particulièrement dans le secteur scientifique. Ceci rentre également, dans le cadre de la politique régionale des oblasts, où l’accent est mis sur le développement des échanges et le partage de connaissances à travers le pays, mais aussi avec les pays limitrophes. L’élément géographique est un facteur important par rapport au développement économique pour un pays d’une telle étendue. Par exemple, les oblasts situés en Sibérie auront tendance à collaborer facilement avec la Chine, alors que ceux de Moscou avec les pays scandinaves.

Dans le cas des universités associées autrefois aux cités scientifiques, certaines ont pu traverser cette période de transition. C’est le cas de l’Université d’Etat de Novossibirsk, que le gouvernement a toujours soutenu et apporté un financement suffisant pour pouvoir maintenir cette structure. En effet, étant déjà reconnue sous l’URSS comme université d’excellence scientifique, et dans un contexte d’ouverture internationale, l’université a attiré nombre de doctorants étrangers certes, mais aussi beaucoup de partenaires et d’investisseurs. De ce fait, le gouvernement russe a mis en place un programme de soutien baptisé Projet 5-100, en 2012, sous la présidence de Vladimir Poutine. Cela permet non seulement à l’université de recevoir des fonds importants, mais aussi de favoriser et faciliter les échanges internationaux. A titre indicatif, l’Université d’Etat de Novossibirsk collabore avec beaucoup d’établissements prestigieux de l’enseignement supérieur et de la recherche en France. L’Ecole Polytechnique, l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, ou encore l’Ecole Nationale Supérieure de la physique et de chimie industrielle de Paris, membres du réseau ParisTech, sont en collaboration avec cette université.

Si par le passé, dans les années 1980, l’URSS a connu une désertion massive de ses étudiants et ingénieurs pour les universités anglo-saxones et américaines, aujourd’hui le constat est différent. En effet, un nombre non négligeable de jeunes actifs quittent encore le pays pour l’international. Cependant, les étudiants effectuant leurs études jusqu’en master ou doctorat, attendent d’obtenir leurs diplômes en Russie, prouvant et témoignant de la qualité d’enseignement fourni en faveur de laquelle le gouvernement a choisi d’investir massivement. L’« émigration » professionnelle continue encore aujourd’hui, mais ne concerne en majorité que les post doctorants, et à contrario, le pays attire de plus en plus d’étudiants, et d’auto-entrepreneurs internationaux.

Concernant les étudiants, tous ne connaissent pas le même devenir. L’accès à l’université reste encore très hétérogène et de nombreuses fractures subsistent, en fonction de la ville, du milieu social et des ressources financières du candidat. Les frais d’inscription restent également très onéreux, qui plus est pour les Universités Fédérales à vocation d’excellence.

 

Les nouveaux investissements en R&D : entre évolution et adaptabilité

 

L’Etat a donc pris l’initiative d’établir des partenariats et financements publics mais aussi privés, dans le but d’élargir les collaborations, d’ouvrir de nouveaux réseaux professionnels. Plusieurs entreprises et structures ont donc vu le jour, indépendantes ou non des grandes universités. Parmi les acteurs qui ont permis le soutien ainsi que le financement de ce type d’initiative, il y a la VneshEkonomBank (VEB) qui est la banque de développement et d’activité économique internationale, ou encore le fonds d’aide au développement des petites et moyennes entreprises de la sphère scientifique et technique (FASIE). Skolkovo en est un exemple.

Caractéristiques de Skolkovo

Lancé sous la présidence de Dmitri Medvedev entre 2008 et 2012, il s’agit du plus grand centre de recherche et de développement du pays situé à Moscou. Ce projet a pour but de créer une zone d’échange entre les universités et les entreprises, à la manière de la Silicon Valley. Nokia, Ericsson, ou encore Microsoft, les plus grandes entreprises privées au monde ont ratifié plusieurs accords avec le pays. La construction de Skolkovo est l’un des projets les plus ambitieux et coûteux de la Russie post soviétique, et est le symbole, sous Medvedev, de la nouvelle politique de modernisation et d’ouverture du pays, sur un modèle libéraliste.

Centre de recherche et de développement de Skolkovo

Le gouvernement axe maintenant son investissement sur les nouvelles technologies, le numérique et internet. En effet, on peut constater depuis presqu’une quinzaine d’années, l’émergence de nouveaux réseaux et de grandes entreprises. Telegram ou encore Rutube, des entreprises qui investissent aussi bien dans le cyber espace que dans la communication, et qui se positionnent comme de sérieuses alternatives aux grandes firmes américaines, telles que What’s App ou encore Google. Cette dynamique témoigne donc de l’excellence de formation en termes d’ingénierie informatique et technologique, conjuguée à la création de plusieurs start-ups dans ce domaine.

 

 

Ces trente dernières années, entre effondrement politique, économique et sociétal, la Russie a su aborder une transition scientifique technologique à la fois sereine mais surtout osée. A plusieurs reprises, le gouvernement a dû agir de manière stratégique pour redynamiser le secteur de la recherche et du développement, relevant sur certains points d’un véritable pari entrepreneurial et de réinvestissement. L’éveil à l’économie-monde et à une politique plus libérale, a notamment permis d’accentuer la valorisation et la rentabilité de ce secteur, qui est en perpétuelle évolution dans ce pays, mais surtout autour de la planète. Malgré de très grandes disparités observées encore aujourd’hui, la Russie continue à s’adapter tout en valorisant ses acteurs scientifiques et technologiques nationaux aussi bien au niveau de la recherche et de l’innovation que de la formation. Aujourd’hui, elle fait partie des grands réseaux de communications techniques mondiaux, mais n'est pas encore à la hauteur des Etats-Unis, ou du Japon par exemple, en termes d'influences technologiques.




Hoby Ranarison