Les écosystèmes au service de l’homme

Publié par Sophie Prud'homme, le 9 octobre 2014   5.9k

A la veille des Fondamentales du CNRS, j’ai rencontré pour vous Sandra Lavorel, écologue au Laboratoire d’Ecologie Alpine de Grenoble. Entre écologie, agronomie et sciences sociales, ses recherches sont au cœur de grandes questions scientifiques, politiques et sociétales.

Agronome de formation et Directrice de recherche au CNRS au Laboratoire d'Ecologie Alpine, Sandra Lavorel consacre sa carrière à l’étude de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes et à leur évolution dans un contexte de réchauffement climatique. Après un début de carrière tourné vers l’écologie théorique, elle s’est intéressée plus particulièrement à l’étude du rôle de ces deux éléments  pour la société. Une question en ligne de mire : comment les écosystèmes bénéficient-ils aux différents acteurs de la société ?

Retrouvez Sandra Lavorel à la Master Classe des Fondamentales du CNRS le vendredi 10 octobre à partir de 18h30

Les écosystèmes au service de l'Homme

Lorsque vous voyez sur la photo ci-dessous un simple paysage de prairie, Sandra Lavorel pourra y voir une multitude de fonctions utiles à l’Homme. En effet, une prairie produit du fourrage pour le bétail, mais joue aussi un rôle dans la fertilité, l’humidité et la stabilité du sol, ainsi que dans la régulation de la qualité de l’eau et le stockage de carbone. Cette prairie possède également une valeur esthétique. C’est ce que l’on appelle les services des écosystèmes. L’importance et la nature de ces services dépend non seulement du type d’écosystème que l’on examine (un désert ou une prairie, par exemple) mais aussi de la perception des bénéficiaires de ces services : « Dans certains contextes de nouveaux services peuvent être identifiés, des services très locaux et spécifiques. Ce que j’aime bien quand on commence une étude de services c’est de m’adresser aux « bénéficiaires » et de leur demander ce qui est important pour eux. Ça permet de prioriser les différents services selon la zone étudiée. Il y a tout de même des services de base que l’on prend toujours en compte : l’approvisionnement (les cultures agricoles, le bois de la forêt, l’eau potable, les récoltes sauvages…), la régulation du cycle du carbone, la pollinisation… ». Les changements globaux connus actuellement peuvent impacter les écosystèmes dans leur nature et leur fonctionnement, et par là même les services que ceux-ci assureront.

Alpage de Monêtier-les-Bains

A la croisée de nombreuses disciplines

Dans le cadre de leurs recherches, Sandra Lavorel et son équipe sont amenés à travailler avec un large panel de partenaires, des écologues aux anthropologues en passant par les géographes et les sociologues. Les angles d’approche des services écosystémiques sont en effet nombreux, de la quantification des paramètres étudiés par les écologues à la géographie humaine en passant par la dynamique des systèmes familiaux dans l’agriculture par exemple. « La coordination de projets interdisciplinaires est une partie de mon métier que j’aime bien, c’est vraiment intéressant. Il ne faut jamais se substituer aux spécialités des autres mais il faut être capable de les entendre. Des aspects du projet intéresseront les écologues mais pas les sociologues et inversement. Il ne faut pas essayer de tout mettre ensemble mais laisser des parties individuelles aux différents contributeurs, sinon tout le monde ne tire pas son aiguille du jeu. C’est une autre façon de faire de la science ».

Sandra Lavorel détermine la composition en espèce de la prairie par la méthode « Botanal »

Des recherches à l’aide des politiques locales et nationales

Outre ses recherches scientifiques, Sandra Lavorel est régulièrement amenée à intervenir dans des réunions, commissions et comités dans le cadre de missions d’expertise. « En science, on parle souvent de la « valorisation des travaux ». Il y a des disciplines où ça peut être des brevets, des logiciels… Pour nous il y a une valorisation qui est importante : le transfert de nos connaissances vers les décisionnaires et gestionnaires. On fait cela en participant à de comités de parcs nationaux ou régionaux, ou en travaillant avec les ministères et les collectivités territoriales. Il y a plein de voies par lesquelles nous pouvons valoriser nos recherches en dehors des publications d’articles scientifiques ». Les services des écosystèmes intéressent de plus en plus les décisionnaires et les gestionnaires. Cet intérêt est en partie dut au fait que l’Europe a demandé aux états membre de mettre en place l’évaluation de leurs services écosystémiques propres. « L’objectif à terme est de faire entrer la valeur des écosystèmes dans la comptabilité nationale. Le raisonnement de base c’est que la richesse nationale est aussi dans sa biodiversité que des activités qui amoindriraient cette biodiversité diminueraient de fait le capital du pays. En pratique, il y a pleins de complications, de théories économiques et de façons d’évaluer, mais le principe de base est bon même si c’est très compliqué à mettre en œuvre. On arrive alors à une interdisciplinarité encore plus large mettant en jeu des scientifiques, des économistes ainsi que les décideurs ».

Des domaines qui restent à éclaircir

Face à la fameuse question des Fondamentales « Que reste-il à découvrir dans votre domaine ? », Sandra Lavorel a répondu par plusieurs questions, mettant encore en évidence la diversité de ses interrogations scientifiques. « Le fait est que la pression majeure pesant sur la biodiversité est maintenant un changement global (changement climatique, modification de l’utilisation des terres…). La question est donc : Comment est-ce que de nouvelles communautés d’organismes vont se réorganiser face à ces changements ? Et comment ces changements vont affecter le fonctionnement des écosystèmes ? Là il reste encore énormément de choses à découvrir ». Il y a deux aspects différents à ces problèmes. « Je ne parle pas seulement de communautés de plantes mais aussi de leur interaction avec le sol, les pollinisateurs… Les mécanismes d’interactions entre espèces ne sont pas encore si bien connus. […] D’autre part, il reste de nombreuses questions sur les capacités de migration des espèces face à ces changements globaux ». Ces migrations sont limitées par la capacité de dispersion inhérente à l’espèce mais aussi par la fragmentation croissante du paysage (création de routes, murs…) – une population d’escargots, par exemple, peut-elle se déplacer suffisamment loin pour rejoindre un milieu favorable à son développement suite à la modification de de habitat d’origine ? - et comment le fractionnement du paysage limitera cette migration ? Les questions posées dans cet exemple très simplifié s’appliquent à tous types d’organismes, de la bactérie aux biens connus mammifères, en passant par les champignons… « Au bout de tout cela, il faut se demander ce que ces changements peuvent vouloir dire pour la société, aller du changement de la biodiversité au changement des écosystèmes et essayer de comprendre ce que ça veut dire pour la société ».

Pour avoir vous-même l’occasion d’aborder ces questionnements passionnants avec Sandra Lavorel, rendez-vous à la Master Classe des Fondamentales du CNRS, Vendredi 10 Octobre de 18 h 30 - 20 h 30 à l’Amphithéâtre Louis Weil sur le campus universitaire.

>> CréditsMartin Sharman (Flickr, licence cc), Marina Kholer