Pandémie et restrictions : quelles stratégies pour reprendre le contrôle de sa vie ?

Publié par Yannick Chatelain, le 4 avril 2021   960

Par Caroline Cuny, Professeure en psychologie, Grenoble École de Management (GEM), Yannick Chatelain, Professeur Associé à Grenoble École de Management, GEMinsights Disseminator,
Assistant Professor of Marketing, Zayed University


Dans le cadre de la crise sanitaire, la volonté de contrôle de la pandémie s’accompagne d’une perte de contrôle personnel de nos vies. Nous sommes soumis à un « biopouvoir » en charge de la gestion de la crise, pour reprendre le terme du philosophe Michel Foucault, qui s’exerce sur les corps.

Ce biopouvoir peut parfois s’étendre jusqu’à devenir excessif aux yeux de nos institutions. Ainsi « Le Conseil d’État a jugé le mercredi 3 mars 2021 « disproportionnée » la recommandation du ministère des Solidarités et de la Santé d’interdire totalement les sorties aux résidents d’établissements pour personnes âgées dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de coronavirus.

La conséquence inattendue d’une recherche

Dans un article récent intitulé « Comment communiquer l’action par la sonorité des noms de marques ? », nous avions démontré qu’un sentiment de perte de contrôle personnel chez le consommateur pouvait guider le choix d’une marque plutôt qu’une autre sur la base de son seul nom.

Une première étude portant sur des échantillons francophones démontre, à partir de mesures implicites (utilisant un protocole de recueil de données non centré directement sur l’objet d’investigation), que les consonnes occlusives ([b], [p], [t]) sont notamment inconsciemment associées au concept sémantique de l’action.

Nos deux autres études mettaient à l’épreuve cette propriété dans le contexte d’une perte de contrôle personnel. Si les consonnes occlusives ont bien la capacité à évoquer l’action, de telles sonorités devraient être plus attractives en cas de perte de contrôle personnel, puisqu’en mesure de déclencher une action liée à la volonté de reprise de contrôle.

L’une des implications managériales de cette recherche est donc liée au pouvoir d’attraction des noms de marques contenant des occlusives lorsque les consommateurs font face à des pertes de contrôle personnel.

De telles situations de pertes de contrôle personnel sont relativement fréquentes dans la vie des consommateurs. Elles peuvent revêtir des aspects très variés allant d’évènements tragiques (par exemple, catastrophes naturelles, crises économiques, etc.) à des évènements anodins tels que des perturbations dans les transports publics. Ces exemples peuvent évidemment avoir des conséquences très différentes pour les individus, ne serait-ce que dans leur gravité.


Nous ne pensions pas alors que cette étude sur les marques, la sonorité, l’action, et la perte de contrôle, pourrait un jour servir à éclairer la période tragique que nous traversons. La littérature scientifique existante sur laquelle s’appuie notre étude montre en effet une myriade d’effets qu’une perte de contrôle personnel peut occasionner. À titre d’exemple, une telle situation prédispose à croire aux théories conspirationnistes, un phénomène observable durant cette crise.

Nos investigations sur ces pertes de contrôles personnels peuvent donc, au-delà du champ de la sonorité des marques, donner des pistes de réflexion pour chacun et chacune d’entre nous pour « reprendre le contrôle ».

Stratégies sociocognitives

Depuis un an, la population a été exposée à un cadre contraignant et des privations de libertés inédites en temps de paix. Ce cadre s’est avéré extrêmement variable et déroutant. Durant la période la population française a ainsi été exposée, de manière non exhaustive, à :

  • Des décisions jugées parfois incompréhensibles, à l’image de la conférence de presse du premier ministre Jean Castex du jeudi 18 mars 2021 sur les nouvelles mesures de restrictions dans 16 départements.

  • Des ordres et contrordres parfois émis par les mêmes autorités et dans des temporalités réduites.

  • Des contraintes comportementales multiples : gestes barrières, confinement, couvre-feu, télétravail imposé, etc.

  • Des recommandations pouvant aller jusqu’à l’immixtion de l’exécutif dans l’intime : lors des fêtes de fin d’année, le gouvernement, par la voie de son premier ministre avait ainsi alors posé le principe d’une limite de six personnes à table, « sans compter les enfants ».

Cette période oppressante a imposé, et impose, une réorganisation incessante de nos vies personnelles et professionnelles conditionnées par de multiples décrets. Individuellement, nous devons faire face à des situations qui menacent notre perception du contrôle personnel de nos vies.

S’en dégage un sentiment d’impuissance et de dépossession de notre capacité à les contrôler. Ne pas perdre le contrôle requiert donc de faire appel à des stratégies sociocognitives afin de combattre au mieux l’anxiété inhérente à une vision chaotique et aléatoire du monde.

Une perte de contrôle se compense

Ces stratégies sociocognitives s’inscrivent dans la théorie du contrôle compensatoire. Selon cette dernière, les individus sont fondamentalement motivés à compenser une perte de contrôle personnel en s’efforçant d’adopter une vision du monde où l’ordre s’impose aux évènements qui se déroulent autour d’eux.

La littérature existante en propose de nombreuses. Les individus peuvent mettre en œuvre des stratégies où ils cherchent à regagner la perception d’être en contrôle par leurs propres actions.

Si certains d’entre-nous possèdent les « compétences » et la capacité de faire face à une situation qui menacent la perception de contrôle personnel – quand bien même cette situation est objectivement incontrôlable –, d’autres n’ont pas les mêmes ressources psychiques. Certains pourront trouver un refuge « excessif » dans la religion, ou dans les théories du complot.

Toujours en nous appuyant sur nos études, dans un tel contexte, une stratégie faisant appel à sa propre disposition à agir consiste à renforcer la perception d’être soi-même en contrôle.

Le remède consiste alors à exercer ce contrôle dans des domaines différents de celui où la privation de contrôle s’est produite. Il peut s’agir dès lors de s’attacher à ne pas orienter ses efforts sur la situation sur laquelle nous ne pouvons agir.

« Tenir »

Une porte de secours mental – en attendant des jours meilleurs – est peut être de s’inspirer des travaux de chercheurs américains en psychologie publiés en 2015.

Ces derniers ont démontré qu’à la suite d’une perte contrôle personnel dans un domaine particulier comme un test auditif, les individus présentent une disposition plus élevée à fournir des efforts pour des buts non spécifiques, sans lien direct avec le domaine où la perception de contrôle a été réduite. Cette attitude permet un regain de motivation et aide à combattre la frustration – née de la perte de contrôle personnel – via l’action.

Dans le cas qui nous concerne, nos libertés les plus fondamentales sont mises entre parenthèses. Ces libertés fondamentales altérées, qui brisent le lien social, restent hors de notre contrôle.

Durant le temps qui nous sépare d’un retour à une forme de normalité de nos quotidiens, il s’agit de « tenir », en limitant tant que faire se peut une « casse psychologique » déjà engagée et bien visible dans les chiffres.

Selon un baromètre Opinion Way, 45 % des personnes interrogées affirment se trouver en situation de détresse psychologique. Shutterstock



Cette détresse quantifiée n’intègre toutefois pas toutes les formes de désarrois : report d’opération, perte d’emplois, chômage, divorce, etc. avec les conséquences dramatiques d’une vague, elle, tout à fait prévisible, la vague post-Covid, avec des dégâts humains que seule l’histoire pourra mesurer.

Il n’est pas de solutions miracles. Nous suggérons qu’il est des stratégies personnelles de reprise de contrôle que chacun peut tenter de mettre en place en fonction de sa personnalité et de sa situation pour minimiser l’impact de ce qui – dans le respect de la loi – ne peut être changé.

  • Certains trouveront une solution dans une capacité d’acceptation hors norme, qu’ils s’attacheront à renforcer. L’acceptation s’entend comme l’une des dimensions de la « pleine conscience ». Distincte de la résignation, elle traduit la perception de sa propre expérience avec une attitude de constat et non de jugement.

  • Certains trouveront dans une application à la lettre des consignes le sentiment d’être en contrôle : respect strict des gestes barrières, auto-confinement, etc. Sans tomber dans l’excès : faire plus que ce qui est déjà exigé, voire se faire le contrôleur de ceux et celles qui transgressent, fut-ce a minima.

  • De façon plus positive, certains pourront choisir de se recentrer sur ce dont ils ont la parfaite maîtrise, des activités qu’ils peuvent réaliser quelles que soient les contraintes actuelles et qui leur procurent des sentiments à la fois positifs et de contrôle personnel, voire redécouvrir des plaisirs que les temps « insouciants » et pour autant sans le moindre « temps mort » leur avaient fait mettre de côté.

  • D’autres redécouvriront dans la contrainte la valeur des plaisirs les plus simples qui, hier encore, étaient noyés dans la banalité d’un quotidien quasi robotisé comme : boire un café avec un ami, en pleine conscience de la préciosité de l’instant.

C’est finalement l’empereur Marc Aurèle qui résume le mieux le principe général de ces stratégies :

"Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être, mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre."


Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.

Photo

Funambule (presque) à terre. Julie Rieg / flickr, CC BY-NC-ND