Projet CERVIN : vers un cyber-musée de l’informatique

Publié par Marion Sabourdy, le 1 février 2013   4.3k

En juin dernier, nous publiions une interview sur l’idée d’un musée virtuel de l’informatique. Le projet CERVIN est aujourd’hui lancé et dépassera le cadre d’un simple musée.

Il y a peu, Sacha Krakowiak, professeur émérite en science informatique à l’Université Joseph Fourier et chercheur à l’INRIA nous parlait de l’intérêt d’un musée virtuel de l’informatique [lire l’article]. Il coordonne aujourd’hui le comité éditorial du tout nouveau projet CERVIN (Centre de ressources virtuelles sur l’innovation numérique), piloté par François Letellier, ingénieur spécialisé dans l’innovation logicielle ouverte et membre – entre autres – de l’association Aconit. Ce dernier évoque avec nous le projet CERVIN :

Echosciences : En quoi consiste CERVIN ?

F. Letellier : L’intérêt d’un musée de l’informatique n’apparaît pas comme une évidence pour le plus grand nombre. Pourtant il s’agit déjà d’une discipline historique, dont on trouve les origines il y a plusieurs siècles, par exemple chez Pascal, et qui impacte aujourd’hui fortement nos vies. Le projet CERVIN vise à créer un centre de ressources virtuelles sur l’innovation numérique : une sorte de cyber-musée de l’informatique et de la société numérique. Nous projetons d’utiliser ce centre de ressources à travers les différentes formes de diffusion actuelles : web bien sûr mais aussi e-books, bornes interactives, applications smartphones, jeux sérieux, réseaux sociaux… avec une forte volonté de pérenniser cette offre !

François Letellier

Il ne s’agit donc pas d’un « simple » musée en ligne ?

Bien sûr, nous sommes dans une approche muséale : au cœur de notre projet résidera une collection numérisée faisant référence. Les réserves d’Aconit, fortes de milliers de machines, fourniront une base de travail substantielle. Mais le problème d’un musée en ligne, c’est d’être repéré par tous et pas seulement par les passionnés. Ainsi, il n’y aura pas de canal d’accès unique à CERVIN ! Nous souhaitons accumuler des ressources pour raconter des histoires et proposer des chemins de narration variés, par exemple des activités pour les jeunes sur Facebook, des ressources pour les professeurs en lycée et dans le supérieur, des émulateurs pour que les étudiants puissent étudier des machines d’époque (Solar, Apple II, Minitel…) en les faisant « réellement » fonctionner…

Quels projets souhaitez-vous développer en 2013 au sein de CERVIN ?

CERVIN est en incubation depuis deux ans et 2013 sera l’année des premiers travaux avec le public. Pour commencer, nous pensons nous concentrer sur quelques histoires : la naissance de l’industrie du service informatique à Grenoble dans les années 1950 à 1970 ; une visite guidée via smartphone dans Innovallée, le campus et le centre ville avec un focus sur des points d’intérêt ; l’adaptation de l’exposition « Au doigt et à l’œil » créée par l’Aconit aux smartphones ou encore une exposition qui raconterait l’histoire de la science informatique vue par les femmes : de la première « programmeuse » Ada Lovelace à Ada Yonath, prix Nobel de Chimie 2009 – et de ce fait grande utilisatrice d’informatique. Les jeunes filles et les femmes forment une part importante des personnes que nous souhaitons toucher.

Et concernant la restauration d’anciennes machines ?

Cette pratique était jusqu’ici restreinte aux spécialistes et aux « geeks » mais nous souhaitons la développer au contact du public, notamment dans le FabLab de la Casemate. Nous pensons investir quelques zones qui seraient consacrées aux expositions de machines en cours de restauration. Une fois par semaine, nous pourrions sortir une machine de sa vitrine et poursuivre la restauration avec le public et des bénévoles du Laboratoire Ouvert Grenoblois, de l’Aconit ou de l’université.

Quelle importance accordez-vous à la conservation des jeux vidéo et des logiciels ?

Le jeu vidéo est un domaine à part entière, à la frontière entre technique et création artistique. Le Museum of Modern Art à New-York a par exemple acquis des droits sur le personnage de Pacman en estimant qu’il s’agit d’une œuvre moderne. Mais ce domaine n’est que la partie émergée d’un iceberg. A côté, la question de la conservation des logiciels se pose fortement : s’ils ne se dégradent pas, ce n’est pas le cas de leurs supports. Pour des chercheurs en sciences humaines et sociales, il peut être intéressant de faire revivre des anciens traitements de texte, tableurs, systèmes de gestion d’entreprises, etc. afin de comprendre la naissance et l’évolution des règles de droit, la manière dont fonctionnaient les entreprises ou des détails sur des métiers qui ont disparu. Le projet CERVIN s’intéressera au stockage de ces ressources en s’inspirant des « forges » utilisées par les communautés de l’open-source, qui historisent les modifications d’un même logiciel. Se poseront alors la question des droits de diffusion et des techniques à utiliser pour garantir une conservation pérenne.

Qui est impliqué dans le projet ?

Une cinquantaine de personnes gravite autour de CERVIN, venant de l’informatique, des sciences humaines, de l’économie ou encore du monde de la culture scientifique. Nous mettons en place un comité éditorial afin de structurer le projet. Notre logique est de travailler sur une communauté de diffusion largement ouverte avec pour premiers partenaires Polytech Grenoble, le FabLab de La Casemate, l’Institut de la communication et des médias de l’Université Stendhal, l’INRIA, le Musée des Arts et Métiers à Paris… et toute personne ou structure volontaire car ce projet sera co-construit avec le public (porteurs d’histoires, bénévoles sur différentes actions, sociétés et laboratoires fournisseurs de technologies…).

>> IllustrationsMichael Kappel (Flickr, licence cc), François Letellier, Michael Kappel (Flickr, licence cc)