Quand des animaux légendaires deviennent réels : la cryptozoologie

Publié par Emilie Demeure, le 6 mai 2020   21k

Il y a bien longtemps en Chine, une légende conte l’existence d’un être d’une masse colossale appelé Fen-chu. On dit qu’il pèse environ 600kg, énormément poilu, ressemble à un rongeur possédant deux grandes dents en forme de pioche et qu'il vit en Sibérie. Est-ce que cette description vous dit quelque chose ? Assurément, vous le connaissez, mais sous un autre nom et disparu depuis bien longtemps : le mammouth. Toute histoire a une part de vérité et si à partir d’histoire, nous pouvions faire avancer nos connaissances sur le monde ? Prouver que des espèces décrites dans des histoires et des légendes sont bien réelles. C’est le pari de quelques scientifiques partis à la recherche des animaux mystérieux.


Mais que fait la science avec des créatures sorties de légendes saugrenues ? 

Comme la légende de Fen-chu, la légende de Mé en Chine décrit elle aussi un animal mais qui cette fois existe encore, il s’agit du tapir de Malaisie découvert en 1816 (photo ci-dessous). Dans la légende il était décrit comme le croisement entre un ours, un éléphant et un rhinocéros. Les scientifiques tirent le vrai de la légende, c’est-à-dire qu'ils démythifient l’animal.

Tapir de Malaisie (Tapirus indicus)
Tapir de Malaisie (Tapirus indicus)

Le travail de démythification des récits pour tirer le vrai du faux et découvrir de nouvelles espèces, c’est la cryptozoologie.  Ce domaine de recherche a été créé par Bernard Heuvelmans et Ivan.T.Sanderson parallèlement dans deux pays étrangers sans concertation. Ils ont ensuite collaboré ensemble sur différente recherche. Le scientifique Ivan.T.Sanderson est connu pour s’intéresser aux phénomènes paranormaux, OVNIs et créatures légendaires comme nous montre l’un de ses articles attestant de l’existence de dinosaures survivants sur le continent africain. La suite de l'article est basée sur la vision de Bernard Heuvelmans.

Quittons la fiction et revenons à la cryptozoologie qui est l’étude des animaux dont l’existence n’a pas encore été prouvée scientifiquement. Elle s’appuie généralement sur des hypothèses créées à partir de preuves et histoires locales qui n’ont pas de réelle valeur scientifique. Ces animaux cachés dont on n’a pas encore prouvé l’existence sont appelés cryptides. Après avoir récolté différentes histoires et preuves de l’existence potentielle d’un animal sur le terrain, ces données sont croisées pour localiser le plus précisément possible le lieu de vie. Ensuite vient la traque, rechercher avec jumelles, caméras nocturnes, caméras thermiques, tout ce que vous voulez et ça, jusqu’à l’observer et capturer un individu. Capturé il est analysé, quelles sont ses caractéristiques ? Poilus, écailleux, sabots, ongles, ailes, pond des œufs, produits du lait, … ? Jusqu'à arriver à la conclusion, qu'il s'agit, ou non, d'une nouvelle espèce qui a été découverte.


Comment la science des animaux mystérieux appelés aussi cryptides peut contribuer à la découverte de nouvelles espèces animales ?

Le plus grand intérêt à l’utilisation de la cryptozoologie est d’accélérer l’enrichissement de l’inventaire des espèces. Elle peut potentiellement mettre à jour des espèces en danger d’extinction et leur donner le plus rapidement possible une protection légale. La recherche des animaux cachés permet aussi de révéler l’existence d’animaux que l’on pensait disparus. Plus de 350 cas ont été répertoriés durant les 122 dernières années.

 Afin de rendre tout ça un peu plus concret, petit panorama en image des grosses bébêtes qui ont été découvert grâce à la cryptozoologie : 


Pour chercher ces animaux cachés, beaucoup d’informations sont trouvées dans des sources non orthodoxes, dans des mythes, folklores, histoires récupérées sur le terrain. Le cryptozoologue collecte aussi des preuves indirectes qui ne sont donc pas récupérées directement sur le spécimen, telles que des empreintes, des fragments de peaux, poils, films, photos, etc. Et oui, les scientifiques partent en vadrouilles pour récolter des histoires et potentiellement des preuves avant de les analyser en laboratoire. Toutes les informations sont minutieusement analysées afin de juger de leur validité pour prouver l’existence d’une espèce. Par exemple, un scalp de yéti fait par des moines en peau de chèvre est une preuve non valide alors que des écailles de dragon de Komodo oui. Pourquoi ? Le scalp ne provenant pas directement de yéti et étant peut-être un simple objet touristique ne peut en aucun cas prouver que le yéti existe alors qu’une écaille dont l’analyse l’ADN et la comparaison avec d’autres dans les collections ne correspond à aucun être recensé est une meilleure piste pour partir à la recherche de ce lézard.


Méthode scientifique ou chasse au monstre ?

Bien que la cryptozoologie se veuille comme une science des animaux cachés, beaucoup se l’imaginent comme une discipline ouverte aux chasseurs de paranormal et qui n’a pas grand-chose à voir avec le réel et par conséquent avec la science. Cela nuit grandement à son image et à sa crédibilité pour la communauté scientifique et non scientifique.

Heuvelmans a créé une liste de 138 cryptides dont la grande majorité sont des animaux de grandes tailles tels que des hominidés comme le célèbre Bigfoot. Ce n’est pas logique quand nous constatons que les plus petits animaux constituent la majorité de la biodiversité animale, les insectes représentant 85% des espèces animales et beaucoup restent inconnus. Chaque année environ 18 000 espèces sont découvertes dont 10 000 sont des espèces d’insectes. Cette surreprésentation des animaux de grandes tailles peut s’expliquer par les sources utilisées qui sont d’origine visuelle pour la majorité, il faut alors que le cryptide soit de taille suffisante pour être aperçu.

Malheureusement ce n’est pas le seul défaut de la liste d’Heuvelmans, elle montre une très forte présence d’espèces cachées dans des zones où l’Homme est énormément présent alors que ce sont les endroits les moins explorés et les moins modifiés par l’Homme qui ont le plus de chance de contenir des être méconnues des scientifiques. Cela ne veut pas dire que les chances d'en découvrir sont nulles comme le démontre la découverte de la chauve-souris Murin Cryptique découverte en Europe en 2019, elle a été confondue pendant tout ce temps avec sa voisine Murin de Natterer. Ces deux chauves-souris ce différencie non pas morphologiquement où les différences sont minimes mais génétiquement par analyse ADN.

Vous l’attendiez peut-être, ce qui pose le plus de problème, c’est la recherche active des très connus Yéti, Bigfoot et monstre du Lochness. Ces animaux célèbres avec moult références à la télévision et théories sur leurs existences, font partie de ceux qui ont la plus faible chance d’exister d’un point de vue biologique et font passer la cryptozoologie pour une chasse au monstre.

Pour ne rien arranger, l’utilisation comme preuve, de photos floues, films de mauvaise qualité, descriptions confuses tend en sa défaveur. Par exemple, la photo de Nessie, le monstre du Lochness qui n’est autre qu’un jouet ou encore l’affaire controversé de l’Homme congelé du Minesota aussi appelé en anglais Minesota Iceman. Heuvelmans et Sanderson ont identifié un hominidé préhistorique piégé dans la glace, tué par balle donc vivant à notre ère, mais plus tard il s’est révélé être un mannequin et non une espèce d’hominidés préhistorique. Cette affaire fait encore débat aujourd'hui, si il y a eu échange de corps ou non.

La dernière chose qui pose problème est purement scientifique car pour attester l’existence d’une nouvelle espèce, les scientifiques ont besoin d’avoir l’animal mort mais préservé, qu’il garde l’apparence du vivant (naturalisé). Cet animal est examiné pour conclure à la découverte d’une nouvelle espèce et l’utiliser comme référence, il devient alors un holotype.


De nos jours 

Il est évident que notre monde cache encore beaucoup de mystères et notre inventaire des espèces vivantes sur notre planète est encore très incomplet. Plus de 2 millions d’espèces sont connues mais il reste entre 10 et 100 millions d’espèces à découvrir, nous n’en connaissons même pas la moitié. Le domaine de la cryptozoologie est très contesté mais peut permettre d’accélérer le processus de découverte et de protéger des espèces qui sont peut-être déjà proches de l’extinction. 


Pour aller plus loin : 


  • Rossi, L. (2016). A review of cryptozoology: towards a scientific approach to the study of “Hidden Animals”. In Problematic Wildlife (pp. 573-588). Springer, Cham.
  • Eberhart, G. M. (2002). Mysterious creatures: A guide to cryptozoology. Abc-clio.