Qui dit « TousAntiCovid » dit Anticor !

Publié par Yannick Chatelain, le 5 avril 2021   870

Quels sont les résultats et la contribution de l’application à la résolution de la crise ? Il demeure impossible d’en juger.

Par Yannick Chatelain. Professeur Associé à Grenoble École de Management, GEMinsights Disseminator.

Face à la forte dégradation de la situation sanitaire en France depuis plus de deux semaines et le placement en confinement de 19 départements de l’Hexagone, le président de la République a déclaré le 25 mars assumer les décisions prises, n’avoir ni remords ni mea culpa à faire :

"Je peux vous affirmer que je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec."

Un satisfecit de la gestion de crise qui n’a pas manqué de faire « bondir l’opposition ». Pour autant, c’est une posture à laquelle n’a jamais dérogé l’exécutif depuis le début de la crise sanitaire.

À propos du lancement de StopCovid, le jeudi 24 septembre 2020 sur le plateau de l’émission  « Vous avez la parole » le Premier ministre répondait à une journaliste évoquant un « échec cuisant » : « pousser les Français à le faire, mais ne l’avoir pas fait ».

Le président de la République avait quant à lui déclaré « Je ne dirai pas que c’est un échec […], ça n’a pas marché ».

Une façon de voir les choses, approche que n’aurait pas reniée Lao Tseu : « Les choses ne changent pas. Change ta façon de les voir, cela suffit. »

Sans revenir sur les limites technologiques de l’outil, déjà pointées dans un white paper intitulé « The Limits of Location Tracking in an Epidemic », Jay Stanley et Jennifer Stisa Granick remettaient en cause la fiabilité des applications de traçage, notamment le traçage par Bluetooth.

L’exécutif,  s’inscrivant dans un « toujours plus de la même chose », revenait à la charge avec une nouvelle version « TousAntiCovid » à grand renfort de communication, réaffirmant sur le site gouvernemental l’importance de télécharger cette application décrite comme en mesure de compléter l’arsenal des mesures barrières déjà existantes face à la Covid-19.

Le technosolutionnisme et ses limites…

Le technotiolutionnisme est l’un des leviers régulièrement actionnés par l’exécutif pour montrer qu’il agit. À l’instar de l’IA qui a été autorisé à la RATP pour scruter les usagers qui portent le masque, pas le masque, mal le masque… et recueillir des données, la même question revient : pour engager quelles actions à même de servir l’objectif poursuivi ? Je n’ai pas la réponse.

Pour revenir à TousAntiCovid, si le technosolutionnisme est actionné la finalité est-elle plus claire ? Nonobstant tous ses travers, tous les moyens communicationnels ont été mis en œuvre par le pouvoir pour faire état d’un « succès » quantitatif en matière de téléchargement… mais où sont les résultats ?

Un « succès » quantitatif de « TousAntiCovid », pour quel impact ?

Le Premier ministre se réjouissait des quelques dix millions de téléchargements (13 millions à ce jour), et présente désormais l’application comme un maillon essentiel de la stratégie gouvernementale :

C’est un maillon essentiel de notre stratégie pour nous protéger et protéger nos proches. Si vous ne l’avez pas encore sur votre smartphone…

Quels sont les résultats et la contribution de l’application à la résolution de la crise ? Il demeure impossible d’en juger.

Le 20 juillet 2020, à la suite des contrôles diligentés par sa présidente, la CNIL estimait :

"La nouvelle version de l’application StopCovid respecte pour l’essentiel le RGPD
et la loi Informatique et Libertés."

Elle avait cependant relevé plusieurs irrégularités et avait mis le ministère des Solidarités et de la Santé en demeure d’y remédier. Parmi ces demandes figurait l’exigence d’étude d’impact. Une demande qui à ma connaissance n’a toujours pas à été honorée à ce jour.

Dans les faits, le gouvernement ne communique ni le nombre d’utilisateurs actifs, c’est-à-dire qui ouvrent l’application et activent le Bluetooth, ni les désinstallations. Dans les faits, toujours et encore, comme le pointait Sylvain Rolland évoquant en décembre 2020 la manipulation des chiffres par le gouvernement « seuls 3 % des cas positifs se déclarent dans TousAnti-Covid ».

Il serait à ce titre intéressant de dénombrer le nombre de personnes ayant téléchargé TousAnticovid, pour les attestations uniquement.

« NHS Covid-19 App »  VS « TousAntiCovid » : no comment ! 

La seule étude existante à ce jour mesurant l’impact d’une application de tracage numérique a été menée par des chercheurs de l’Insitut Alan Turing et de l’université d’Oxford sur l’application de tracing britannique  « NHS Covid-19 App ».

Selon leurs estimations, l’application téléchargée 21 millions de fois aurait envoyé quelque 1,7 million de notifications et permis d’éviter près de 600 000 infections au coronavirus à la fin du mois de décembre 2020.

En comparaison, le 10 mars 2021, le secrétaire d’État au numérique Cédric O se réjouissait sur Twitter des résultats de l’application française : 

Cette communication enthousiaste du gouvernement mise en perspective avec les résultats obtenus par l’application anglaise fait un peu terne : 100 000 personnes alertées est un chiffre très faible, et de plus, est-il utile de le souligner, ne peut laisser préjuger qu’elles se sont isolées et fait tester !

Dans l’ensemble des conditions décrites, pour de nombreux observateurs, l’efficacité du dispositif doit encore être démontrée. Enfin, par-delà ses limites technologiques, pour que cette application soit efficace, nonobstant une utilisation sincère, selon le CNET il faudrait que 60 à 70% de la population l’utilise, un objectif pour le moins encore lointain.

En attendant l’étude d’impact, si tant est qu’elle soit un jour diligentée, cet objectif risque d’être encore plus dur à atteindre depuis que l’application se trouve devant un nouvel obstacle à surmonter, une action en justice qui ne va pas servir son image.

En effet, après un signalement déposé le 10 juin 2020 auprès du Procureur de la République, Anticor, une association anticorruption française, porte plainte pour favoritisme dans l’attribution des contrats relatifs à l’application StopCovid, qui n’auraient été soumis à aucune procédure de passation de marché.

"Rien n’est plus facile que de dire, rien n’est plus difficile que de faire. "

François-Rodolphe Weiss – Les principes philosophiques et moraux (1785)

Cet article est republié à partir de ContrepointsLire l'article original.

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Funambule (presque) à terre. Julie Rieg / flickr, CC BY-NC-ND