Un "Point de vue" sur les technologies de la communication

Publié par Ludovic Maggioni, le 26 novembre 2012   4.4k

Ludovic Maggioni a assisté à la dernière création de la compagnie de théâtre Scalène. Il nous livre ses sensations et ses réflexions, autour de l’impact des technologies de l’information et de la communication.

Point de vue est un spectacle chorégraphique qui a été proposé par la compagnie Scalène à l’espace culturel Odyssée de la ville d’Eybens les 18 et 19 octobre derniers. Cette compagnie propose des regards dansés sur les technologies ubiquitaires : le grand mot est lancé.

Qu’est-ce que l’ubiquité ? Ce serait le don d’être présent en plusieurs lieux dans un même temps. Ce terme est issu du latin “ubique” qui signifie “partout”. Il a une forte connotation religieuse : nombreux sont les dieux qui possèdent cette capacité. En informatique, ce terme désigne l’omniprésence des réseaux qui disparaissent de notre vue, qui s'intègrent, se miniaturisent et prennent place dans nos objets du quotidien. Depuis septembre 2010, la compagnie Scalène s’interroge sur les nouvelles relations qui se tissent entre ces technologies et les hommes. Elle est menée en partenariat avec la Casemate et le collectif Coin.

Un carré blanc sur fond noir

Quatre danseurs entrent en scène. Un carré matérialisé par des lignes blanches est perdu au milieu de l’espace scénique. Les danseurs s’y retrouvent, se prélassent et s’en échappent. La sensation d’un espace intime, d’une sorte de cabane où ils sont protégés se fait omniprésente. L’extérieur semble être un milieu ou une ambiguïté entre hostilité et liberté se mélange. Soudain, un téléphone sonne. Certains spectateurs fouillent dans leur sac ou cherchent dans la salle la personne qui a oublié d'éteindre cette machine de communication moderne, de couper la communication.  Surprise, l’outil technologique est sur scène !

Webcams et smartphones : nouveaux acteurs, nouveaux questionneurs

Quatre caméras placées aux quatre coins du plateau filment la scène en direct. Un écran diffuse les images captées en noir et blanc. Les danseurs jouent a construire ces images, ils sont comme traqués par ces outils numériques. Plutôt que de les subir, ils décident de s’en emparer de s’amuser avec. Cela fait référence à une précédente proposition de la compagnie : une performance dansée dans un parking public avec des caméras de surveillance.

Scalène interroge le statut de ces objets numériques qui deviennent omniprésents dans notre quotidien. Est ce une valeur positive, faut-il en avoir peur ? Les danseurs se retrouvent alors avec un smartphone dans leurs mains. Proposition qui sur le moment déstabilise. Que vient faire cet outil ici ? Que veulent-ils dire ? Un écran affiche des : "je kiffe, j’aime, mdr" et autres dialectes de communication moderne. Une sensation de rapidité et de “creux-titude” envahit alors la salle qui réagit par des rires. Elle se retrouve face à ses propres contradictions. Effectivement, les technologies de l’information et de la communication plongent les utilisateurs dans de grands paradoxes : “j’ai le désir d’exister tout en restant caché, je veux que l’on m’aime, des amis, plein d’amis, suis-je un être humain normalement constitué si je n’ai pas X millions d’amis, de fans sur les réseaux sociaux... Je veux prendre le temps, mais je dois être partout à la fois”. L’ubiquité nous y revenons...

Existences numériques

Pour conclure, ce spectacle rondement mené par ces quatre danseurs questionne nos existences numériques. Qui sommes-nous sur la toile : une personnes, plusieurs ? Que maîtrise-t-on avec les données numériques ?  Quelles projections de l’individualité sont produites et diffusés sur les réseaux ? Mon smartphone est-il la synthèse de mon existence, de ma personnalité ? Comment puis-je m’amuser, détourner des usages de ces technologies ?

Bref, un spectacle qui ouvre de nombreuses questions philosophiques et qui ne propose pas de réponses tranchées mais qui explore. La mise en scène offre le mot de la fin non pas aux danseurs mais à un smartphone.  Avec son écran allumé, il se meut sur une scène totalement noire. L’effacement de l’humain serait-il une métaphore de la disparition de l’homme au profit des technologies ou tout simplement une mise en scène d’une séquence ludique que permettent ces techniques? Rendez-vous avec la compagnie Scalène pour vous faire votre propre opinion.

>> Illustrations : voir la série de photographies d'ilan Ginzburg sur son site Mur Blanc