50 ans et pas une ride : le Campus CNRS fait peau neuve pour l'avenir

Publié par Josephine Ziel, le 20 mai 2013   3.1k

Pour fêter les 50 ans de la création du campus du CNRS à Grenoble, une semaine de festivités a été organisée sur les lieux du 9 au 13 avril derniers. Morceaux choisis.

De nombreux événements ont été au programme de ces festivités [ndlr : lire l'article de Céline Figueiredo]. La semaine a commencé le mardi 9 par la commémoration des 50 ans du laboratoire des basses températures créé par le CNRS en 1962 et appellé le CRTBT (Centre de Recherches sur les Très Basses Températures) avant de devenir le département MCBT (Matière condensée et basses températures) de l'Institut Néel en 2007.

Du mercredi au vendredi, le campus CNRS a accueilli des personnalités extérieures pour des conférences sur la physique et les interactions entre les chercheurs et le milieu industriel. Les conférences ont été retransmises dans plusieurs salles du site afin de permettre à une grande partie du personnel d'y assister. Vendredi après-midi, le public a pu écouter un historique du campus avant les discours officiels ainsi que l'inauguration du nouveau bâtiment Nanosciences. Enfin, les festivités ont été conclues le samedi par une journée porte ouverte pour permettre au public de découvrir les laboratoires.

Un extrait des journées scientifiques

"Le CNRS est partout, il est parmi nos partenaires historiques" rappelle Patrick Maestro, directeur du LOF (Laboratory of the future), issu de la collaboration étroite entre le CNRS et le groupe Solvay1. Lors de sa conférence, Patrick Maestro a évoqué les défis à relever dans le monde comme la lutte contre le changement climatique, le manque de ressources naturelles, les modes de consommation des pays émergeants, les progrès dans le domaine de la santé, etc. C'est par l'interaction entre industrie et recherche fondamentale que les laboratoires Solvay espèrent relever ces défis ; d’où une nécessaire interaction avec le CNRS. Cette collaboration entre les différents acteurs est fortement présente sur le Campus de Grenoble depuis ses début, comme le montre son histoire.

Une histoire riche de rencontres

Daniel Guthleben, historien travaillant dans le Comité pour l'Histoire du CNRS

Lors de la journée officielle du vendredi, l'historien Denis Guthleben a exposé l'historique du site avec une touche d'humour. En introduction, il a posé au public la question de la poule et de l'œuf: "Qui était là en premier : Grenoble ou le Polygone ?". Ce devait certainement être Grenoble qui a attiré ensuite les sciences. Malgré ce que disait Stendhal de notre ville : "tout ce qui est plat dans le genre bourgeois me rappelle Grenoble",  de nombreux scientifiques appréciaient la ville, son environnement, et sont venus s'y installer. Après cette introduction ne laissant aucun doute sur l'attraction de Grenoble, Denis Gutleben a exposé l'historique du site du CNRS qu'il avait préparé avec Jean-Louis Tholence, chercheur émérite au LNCMI, et d'autres « archives vivantes » de l'évolution de ce site.

La création et l'évolution de cet unique espace de sciences ont été accompagnées de personnages, rencontres, opportunités. On dit souvent "au commencement était Néel" mais Louis Néel n'était pas seul... Il devient d'abord l'assistant du "pape du magnétisme" Pierre Weiss à Strasbourg qui développe une nouvelle approche expérimentale: « faire des expériences même si on ne les comprend pas » - une vision nouvelle de la recherche fondamentale. En développant un nouveau modèle sur l'interaction ferromagnétique, Louis Néel devient le "nouveau pape du magnétisme". Avec la modestie des chercheurs, on dit à cette époque de lui : "il ne lui reste plus grand chose à découvrir". Lors de la Seconde guerre mondiale, c'est sa rencontre avec Felix Esclangon qui l'amène finalement à Grenoble en 1940 avec la garantie d'un espace de travail à l'institut Fourier et à l'institut d'électronique, et des interactions fortes entre enseignement, recherche et industrie.

Louis Néel est accompagné de Louis Weil, Noël Felici pouis Felix Bertaut en 1943. En 1946, il crée le premier laboratoire du CNRS en province, le LEPM dont les activités se développent dans les directions variées mais toujours en interaction avec les industries locales. Le développement de la recherche après guerre se traduit par la construction du CENG en 1956, puis du CNRS en 1962, le long du chemin des Martyrs, sur un site qui servait de polygone d'artillerie aux militaires. Ce chemin devenu avenue ne doit d'ailleurs pas son nom à sa longueur infernale pour les conducteurs dans les bouchons, ni au dur labeur des chercheurs mais à la mémoire du massacre de 48 résistants en 1944. Au début, le CNRS est constitué de deux laboratoires, le LEPM dirigé par Louis Néel, et le CRTBT dirigé par Louis Weil qui développe les études sur la supraconductivité et le magnétisme des alliages. Peu à peu de plus en plus de chercheurs viennent avec leur équipe, on dit alors que Grenoble est le trou noir de la physique car il attire beaucoup de chercheurs dans ce domaine. S'en suivit l'âge d'or de la recherche où on se demandait même "mais qu'allons nous faire de tout cet argent?".

Des intervenants de différents laboratoires du site ont rappelé l'importance du magnétisme qui évolue vers le nanomagnétisme, des matériaux de qualité (exemple du carbone, diamant, nanotubes, graphène), des basses températures, ainsi que des bonnes conditions expérimentales grâce aux services d'experts (cryogénie, électronique), et les interactions fortes avec les grands instruments comme l'ILL et l'ESRF avec une densité unique d'équipements et de spécialistes. L’interaction de ces différents partenaires aide chacun à avancer. L'évolution du campus CNRS était-elle programmée ? Non, elle a été faite uniquement d'échanges, rencontres, et d'idées folles "qui ne seraient aujourd'hui même pas acceptées". Pour finir, un message aux jeunes chercheurs rappelle qu'il faut regarder vers l'avenir mais aussi se servir des avancées et compétences présentes sur ce lieu historique : "jeunes, profitez de la vertu des anciens".

L'inauguration officielle du nouveau bâtiment "nanosciences", conçu en fonction des besoins des chercheurs, marque une nouvelle page pour les Sciences

Le nouveau bâtiment Nanosciences de l'Institut Néel

Pour introduire l'inauguration du nouveau bâtiment Nanosciences, les scientifiques et politiques présents sur place n'ont pas tari d'éloges. Ce bâtiment a été construit pour abriter des appareils très sensibles en empêchant tout problème de vibrations. Côté recherche, il a été rappelé que ce nouveau bâtiment est la première construction dont les caractéristiques sont adaptées aux activités qu’elle renfermera. Selon Alain Schuhl, directeur de l'Institut Néel, "le béton s'adapte au gré du chercheur". On s'attend à beaucoup de résultats spectaculaires. Pour Joël Bertrand, directeur adjoint du CNRS, ce bâtiment représente une nouvelle page de la recherche française au sein d'un laboratoire qui rassemble "toutes les vertus du CNRS : interdisciplinarité, international, innovation".

Côté politique, Marylise Lebranchu, Ministre de la Réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la Fonction publique, annonce que l'enseignement et la recherche seront des éléments importants de la loi nouvelle sur la modernisation de la fonction publique. Ici aussi, un message fort aux jeunes chercheurs qui réfléchissent à leur avenir : "Jeunes, restez vous-même. La recherche est un élément de votre vie mais aussi celle de l'autre." Geneviève Fioraso soutient que défendre le service public c'est être moderne. Et félicite Grenoble pour son écosystème mis en place depuis le milieu du 19ème siècle, la présence de grands instruments (4 sur les 7 français), la création de nombreuses startup innovantes et la présence de nombreuses entreprises internationales. Michel Destot, maire de Grenoble annonce la future éco-cité de la presqu'île, un quartier qui s'adaptera à la population en étant équilibré économiquement, écologiquement, et socialement. Cet équilibre est en amont du développement durable.

Inauguration officielle par Geneviève Fioraso

Pour clore cette semaine de festivités, la journée portes ouvertes des laboratoires, le samedi 13 avril, a remporté un franc succès. Les préparatifs des expériences scientifiques par les chercheurs ont été menés avec enthousiasme et beaucoup de personnel s'est mobilisé pour ce jour. Samedi matin, le public a répondu à l'appel et les horaires de visite pour la journée ont été rapidement remplis. Victimes de leur succès, les chercheurs étaient ravis car "le public était nombreux et très intéressé par nos travaux".

>> Note :

  1. Solvay est un groupe fondé en 1863, qui représente "150 ans de Passion pour la Science et l'innovation". Le LOF, créé en 2004, travaille sur la génération et le stockage des énergies, la synthèse d'électricité organique, la chimie renouvelable, les nanosciences, etc. à l'aide d'outils très performants comme les robots et la microfluidique

>> Illustrations : Jean-Louis Tholence et CNRS