Son et lumière : grammaire de la vibration commune

Publié par Marion Sabourdy, le 14 janvier 2013   4.4k

Rencontre avec les lauréats du prix A.R.T.S. 2011 (Art Recherche Technologie Science) : le chercheur Angelo Guiga et l’artiste italien Michele Tadini.

Comme souvent pour les projets arts-sciences, tout part d’une rencontre singulière, entre un chercheur et un artiste. Ici, l’homme de sciences est Angelo Guiga, technicien-chercheur chargé de développement technique pour l’innovation au CEA – Leti de Grenoble et l’artiste – même s’il n’aime pas le terme - est Michele Tadini, compositeur italien et enseignant de composition et informatique musicale au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon. La complicité est évidente entre ces deux curieux, qui aiment découvrir et sortir des sentiers battus.

En 2011, ils ont travaillé avec deux autres artistes italiens Paolo Castagna et Gianni Raveli sur une installation sonore et lumineuse « Degrés de Lumières », qui était présentée lors des Rencontres-i et dans laquelle figurait une ampoule à incandescence d’un coté et un curieux objet lumineux de l’autre, le Chromatophore. « Nous avons tenté de faire vibrer les LED du dispositif à des fréquences différentes, décrit Michele, au bout d’un moment, nous avons commencé à voir un troisième mouvement en parallèle du son et de la lumière, comme si quelque chose commençait à bouger ». Une « apparition » semblable à certains phénomènes sonores que le compositeur connaît bien : « parfois, quand on joue deux son ensemble, un troisième son émerge ».

Variation des lumières du Chromatophore (voir ci-dessus)

Ces interactions entre son et lumière – violon d’Ingres de nombreux compositeurs et metteurs en scène - leur ont donné l’envie d’aller plus loin, d’imposer une logique ou une syntaxe commune entre phénomènes visuels et sonores. Les faire « jouer » ensemble. Ils ont alors proposé le projet « La Terza Luce » (la troisième lumière) auquel l’Atelier Arts-Sciences a attribué le Prix A.R.T.S. 2011. A la clé, une résidence d’un an pour élargir leur recherche selon plusieurs points de vue (physique, perceptif, cognitif, compositionnel) et une deuxième année de travail pour concrétiser le projet.

Diplômé, entre autres, de musique électronique, Michele utilise l’informatique depuis ses débuts. Quant à Angelo, il est un habitué du travail avec les artistes, comme Yann Nguema du groupe EZ3kiel. « Je tente de comprendre le désir des artistes puis j’essaye de leur proposer des solutions techniques les mieux adaptées, explique le chercheur, tout le défi est de réussir à faire que le résultat suscite de l’émotion ». Les deux hommes souhaitent travailler en lien avec les chercheurs de l’Institut des Neurosciences [voir notre article] pour mettre en place des « tests » auprès du public lors de la Fête de la science et du salon Expérimenta 2012.  « On va immerger des personnes dans une pièce où ils écouteront de la musique sous différentes conditions d’éclairage, détaille Angelo, on pourra déterminer ce qui est agréable, irritant, oppressant… ». Et Michele de compléter malicieusement : « le but est de repérer quelles sont les attentes du public, pour pouvoir y répondre ou… les contourner ! ».

Angelo Guiga et Michele Tadini

Car aux tests succèdera un spectacle, aux contours naturellement encore flous. Michele imagine une performance d’une heure, avec trois musiciens susceptibles de se déplacer et un dispositif lumineux encore à préciser. « On peut inclure une dimension d’apprentissage au cœur du spectacle, propose Michele, les gens pourraient comprendre l’histoire au fur et à mesure, au risque de perdre leurs repères temporels ». Les deux créateurs sont attentifs à l’importance des sens liés aux sons, à la lumière ou aux mouvements. « On cherchera à raconter une histoire, avance Angelo, on aimerait que tout le monde la partage tout en étant conscients que chacun a sa sensibilité et ne réagira pas de la même manière ». Tous deux marchent sur des œufs car ils savent que la musique est un domaine abstrait « mais pourtant tellement concret, car il prend aux tripes, lance Michele, j’espère juste qu’on ne tombera pas dans un remake de la scène finale de Rencontre du Troisième type ! ».

>> Illustrations : Chromatophore par Laurence Fragnol, Atelier Arts-Sciences