Jean-Robert Petit, une vie antarctique

Publié par Frédéric Cristofol, le 19 août 2013   7.2k

Directeur de recherche au Laboratoire de Glaciologie et Géophysique de l’Environnement de Grenoble, le glaciologue Jean-Robert Petit a passé dix noëls sur une base scientifique du pôle sud. Dans le livre Vostok, le dernier secret de l’Antarctique, qui vient de paraître, il revient sur l’incroyable histoire de cette base scientifique russe. 

Vous avez effectué treize séjours en Antarctique. Pourtant, rien ne vous prédestinait à visiter ce continent…

En effet, c’est un pur hasard ! Mon père gérait une coopérative laitière en Savoie, que je m’apprêtais à reprendre. Après un brevet de technicien supérieur en agriculture, j’ai décidé de devenir vétérinaire… Une voie vite abandonnée pour d’obscures raisons administratives, au profit de la physique chimie.

Après une thèse sur la teneur en eau du glacier de la vallée Blanche, au lieu du service militaire, j’ai pu rejoindre la base française Dumont d’Urville, en Terre Adélie, en tant qu’aide technique. Comment ne pas tomber sous le charme du spectacle des manchots empereurs, des phoques et des glaciers alentour ?

Jean-Robert Petit sur la base en 2006

Après quinze mois sur place et un bref retour à la laiterie familiale, j’ai pu intégrer le CNRS en 1977, au laboratoire de Glaciologie alpine. En 1984, les Soviétiques ont ouvert la station de Vostok aux scientifiques français. Avec Michel Creuseveur, j’ai eu le privilège d’accompagner sur place mon directeur de recherche, le brillant glaciologue Claude Lorius, puis d’y retourner à de nombreuses reprises, pour des missions de trois mois, de 1988 à 2007.

Où est située cette base ? À quoi ressemblait-elle à l’époque ?

La base de Vostok a été ouverte en 1957, en pleine Guerre Froide, dans un contexte de compétition internationale semblable à la course à la Lune. Elle se situait à l’origine à proximité du pôle sud géomagnétique, l’un des coins les plus reculés de l’Antarctique, à 3 450 mètres d’altitude. C’est là-bas qu’a été enregistrée, en 1983, la plus basse température terrestre, avec - 89,3 °C !

Les scientifiques français y ont toujours séjourné « en touristes », l’été (1), par - 40 °C de moyenne. À cette saison, les avions peuvent atterrir pour acheminer des hommes et des vivres. D’énormes tracteurs, chargés en fuel et en matériel, font également des allers-retours depuis la côte. Mais durant la nuit polaire, qui dure six mois, la base est totalement coupée du monde. Elle est pourtant occupée par une douzaine de Russes, qui vivent alors en autarcie, dans des conditions extrêmes.

Quelles étaient vos missions ?

Les journées de travail étaient très denses ! En 1984, notre mission consistait à nettoyer, mesurer les propriétés et échantillonner 2 000 mètres de carottes glaciaires, puis à les conditionner pour leur transport vers la France. Ce travail manuel, très long, se déroulait sept jours sur sept, dans un bâtiment enneigé, par - 40 °C. Le soir, on préparait le travail du lendemain… avant de nous écrouler sur nos lits.

Heureusement, il y avait le thé et la confiture offerts par Lipenkov, un jeune glaciologue hivernant, et le sauna russe, un bain de vapeur à près de 100 °C, pour nous remonter le moral ! Malgré la rudesse du travail, nous étions toujours motivés, car nous tenions dans nos mains des trésors de glace d’une valeur humaine et scientifique inestimables, permettant de décrire des cycles climatiques entiers ! Nous étions également conscients de côtoyer des êtres exceptionnels, dont la robustesse et l’habileté dans de telles conditions forçaient le respect.

Que sont devenus les échantillons de glace collectés en 1984 ?

Dès 1985, le Laboratoire de Glaciologie de Grenoble et le Laboratoire des Sciences du Climat de Saclay les ont analysés. Le résultat de ces analyses a fait l’objet de trois articles, publiés en Une du magazine Nature, en 1987. Ces articles exposaient, pour la première fois un enregistrement continu du climat des 160 000 dernières années, mais également, à travers l’étude des bulles d’air piégées dans la glace, la corrélation entre le niveau de CO2 et la température.

Enfin, le dernier article montrait, lui aussi pour la première fois, le rôle amplificateur du CO2 sur la température globale, lors des changements climatiques. Ces travaux ont eu un impact majeur dans le milieu scientifique, car ils corroboraient les connaissances des géologues et des océanographes sur l’histoire du climat, en confirmant la théorie des cycles glaciaires-interglaciaires de Milankovi (2). Mais surtout, Vostok apportait l’évidence du rôle du CO2 dans le climat.

Jean-Robert a attrapé en 1984 le "virus de l'Antarctique aggravé du syndrôme de Vostok"

Tous ces résultats ont été très vite pris en compte par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui est récemment arrivé à la conclusion que les activités humaines sont responsables du réchauffement climatique actuel.

Que s’est-il passé, depuis, à Vostok ?

La base a connu bien des péripéties, liées à la chute de l’URSS ou au manque de moyens, pendant l’ère Eltsine. Avec l’aide de la France, puis des États-Unis, de nouveaux forages ont toutefois atteint, en 1997, 3 300 mètres de profondeur. Ils ont permis de décrire l’histoire du climat et de l’atmosphère des 420 000 dernières années.

 

Depuis 1993, on a également la certitude qu’un gigantesque lac, coincé sous près de 4 kilomètres de glace, se trouve juste au-dessous de Vostok. En février 2012, les Russes ont réussi à accéder à cette eau d’une pureté incroyable. La recherche de micro-organismes survivant dans ce milieu extrême, privé de lumière, très pauvre en éléments nutritifs et isolé de notre environnement, mobilise les scientifiques. Elle rejoint la quête de la vie ailleurs, comme celle recherchée sur Mars et sur Europa, un satellite de Jupiter. La base de Vostok a donc encore de beaux jours devant elle !

 

>> Notes :

  1. Au pôle sud, il n’y a que deux saisons (l’été et l’hiver), inversées par rapport à l’Europe.
  2. Astronome, géophysicien et climatologue serbe, Milutin Milankovi (1879-1958) avait avancé l’idée que les paramètres astronomiques terrestres (excentricité, obliquité et précession) ont un effet sur les changements climatiques.

>> Infos pratiques : Vostok, le dernier secret de l’Antarctique, Jean-Robert Petit, Éditions Paulsen, Paris, 2012. 19,90 €.

>> Source : Article initialement publié dans Captiv Magazine (février 2013)

>> IllustrationsEditions Paulsen et Frédéric Cristofol (2e portrait)