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Peut-on apprendre de ses rêves ?

Publié par Laurent Vercueil, le 22 mai 2016   7k

Le sommeil est habité de nos rêves. Contrairement à ce qui se passe au cours de l'anesthésie générale, l'activité cérébrale n'est pas suspendue pendant le sommeil, et pendant le sommeil paradoxal (REM sleep), elle est même augmentée. Les rêves, c'est à dire une expérience consciente qui peut être restituée sous la forme d'un récit au réveil, intéressent tous les stades du sommeil, mais ils ont un caractère plus fantastique pendant le sommeil paradoxal (ils sont alors illogiques, hallucinatoires et émotionnels). Le rôle du sommeil, mais peut-être aussi du rêve, dans la consolidation de la mémoire, est souligné depuis une vingtaine d'année (1, & article "historique" disponible en lien) avec des arguments qui ont tendance à s'accumuler. Mais on peut aussi renverser la perspective : si les rêves permettent de mieux apprendre ce qui a été travaillé au cours de la journée, nos journées peuvent-elles être enrichies de ce que nous vivons la nuit en rêve ? Le rêve permet d'apprendre, mais apprend-t-on de ses rêves ?

Car, en somme, nous faisons des expériences au cours de nos rêves. Nous sommes confrontés à des situations nouvelles, à des problèmes à résoudre. Nous testons des solutions, adoptons des comportements, interagissons avec un environnement, un entourage humain ou animal (ou autre). Nous observons les résultats obtenus. Ce qui constitue bien, et dans tous les sens du terme, une expérience. Dont nous pourrions tirer profit ? Est-il envisageable que tout ce qui nous arrive, pendant notre sommeil et à l'état de rêve, puisse représenter un enrichissement intellectuel ? Enrichissement dans le sens où ce qui façonne l'intelligence du monde est constitué de la somme des expériences passées. Ce qui fait la plasticité cérébrale, c'est à dire le modelage intime des connexions synaptiques, des relations entre zones corticales, de la constitution d'assemblées de neurones, c'est la somme des expositions de l'individu à des expériences de vie: son vécu. Au titre d'un vécu (presque) comme un autre, tirons-nous un enseignement de nos rêves ?

C'est l'hypothèse privilégiée par Isabelle Arnulf (2). Le caractère majoritairement négatif des expériences vécues au cours des rêves (80% des rêves ont un contenu désagréable), en particulier avant un évènement important, permettent au sujet d'anticiper les difficultés qui peuvent survenir et de parer à ces éventualités (oublier le matériel indispensable à une épreuve, arriver en retard, etc....). Ainsi les étudiants en médecine qui rêvent du concours avant de le passer ont de meilleures chances de réussite.

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Un obstacle, cependant, à l'idée d'un bénéfice à retirer des rêves (3) : Lorsque nous faisons une expérience de vie dans la réalité, il existe un apport d'information de l'environnement vers le sujet. C'est le traitement de cette information qui constitue l'expérience de vie. Notre cerveau devient alors ce qu'il était + ce que l'expérience a reconfiguré dans ses réseaux.

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En revanche, lors du rêve et en dépit de l'apparence (le rêveur n'a pas le sentiment d'être à l'origine de la production de son rêve (4)), l'information n'est pas apportée de l'extérieur, mais du sujet lui-même. Il n'y a donc aucune addition d'information. Pourrait-on apprendre quelque chose qu'on saurait déjà ?

Comment les rêves pourraient-ils modeler la plastique cérébrale quand ils ne dépendent que d'elle ? S'ils rejouent la partition neuronale apprise dans la journée (rôle dans les apprentissages), peuvent-ils avoir un autre rôle que celui de simple consolidateurs ? En somme, est-ce que ce ne sont que des amplificateurs de l'ajout neuronal que l'expérience vécue à l'état de veille a produit ? Ou y-a-t-il autre chose ?

Le cinéaste italien Federico Fellini a laissé un impressionnant recueil de ses rêves. On y voit ses obsessions, mais aussi de nombreux exemples de ce qui a été rapporté par Sophie Schwartz, qui dirige un laboratoire de recherche sur le sommeil et la cognition à Genève, comme des cas de découplage des informations : ma sœur est un homme barbu, je suis chez moi dans une maison inconnue, etc... Ainsi, il semble que le rêve réalise une combinaison originale des informations, et, en quelque sorte, se joue de la logique apprise et contrôlée. Cette levée d'un contrôle sévère, fait apparaître de nouvelles données, qui constituent l'apport créatif du rêve. Il est possible alors d'admettre qu'outre nous aider à apprendre du réel, le rêve nous conduit à apprendre de ce qui n'est pas réel, mais l'éclaire de ce qui ne peut être pensé.


>> Notes

  1. Llewellyn S1, Hobson JA2. Not only … but also: REM sleep creates and NREM Stage 2 instantiates landmark junctions in cortical memory networks. Neurobiol Learn Mem. 2015 Jul;122:69-87. doi: 10.1016/j.nlm.2015.04.005.
  2. Isabelle Arnulf "Une fenêtre sur les rêves". Odile Jacob
  3. Ce bénéfice introduirait d'ailleurs une forme d'inégalité assez nette entre individus : ceux qui rêvent pour tirer des bénéfices de leurs expériences rêvées auxquels les non-rêveurs (ceux qui ne se souviennent pas de leurs rêves) n'auraient pas accès. Plus d'atouts dans la vie pour les rêveurs ? Ce qui resterait à démontrer. Sauf à considérer que les expériences rêvées auraient un impact sur le cerveau indépendamment de la capacité à s'en souvenir, ce qui est évidemment possible
  4. En dehors de la situation du rêveur lucide