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Atout Cerveau

Un Goncourt tombé chez Philip K. DICK

Publié par Laurent Vercueil, le 31 janvier 2024   1.2k

L’écrivain Prix Goncourt 2011 a un cerveau.

Et voilà que subitement, il se met à l'appeler « Bobby », son cerveau. N’est-ce pas Bobby ?
Lequel Bobby lui répond : « Ouaf, ouaf !».

Parce qu’Alexis Jenni n’est pas Bobby, non. Il n'est pas son cerveau, mais bien Alexis Jenni, Prix Goncourt 2011, un beau jour tombé dans un roman de Philip K Dick. Comment ? En devenant "Avéciste", comme l’écrivait Antoine Audouard, l’éditeur de Jean-Dominique Bauby, lorsque, lui aussi, avait été à son tour victime d’un AVC. Vous suivez ?

Bon, je reprends : Jean-Dominique Bauby dicte avec une paupière « Le scaphandre et le papillon » (1987) après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébrale (AVC) du tronc cérébral, avec un syndrome de l'enfermement (ou locked-in syndrome, alias le Scaphandre). Antoine Audouard l’édite, puis il écrit à son tour, vingt ans plus tard, « Partie Gratuite » (2017) récit de son AVC hémisphérique droit, un témoignage tonitruant et plein de verve (on peut lire la recension ici).



Enfin, en 2024, parait « Le cerveau, qu’est-ce que ça change ?», où Alexis Jenni raconte avoir été victime d’un dérèglement du monde, surtout sur sa gauche, où les objets et les gens existent puis disparaissent soudainement. Victime d'un AVC hémisphérique droit, il est introduit dans un monde étrange, évanescent et mystérieux. L’humour de l’auteur survit à ce cauchemar Dickien. Il en plaisante avec sa compagne, ou raconte la visite de deux neurologues, où celui qui parle garde les lèvres closes et leur nombre reste une forme d’énigme (extrait ci-dessous). Relation saisissante du syndrome de l’hémisphère mineur, où l’écrivain apprend que notre monde intérieur dépend moins de ce qui nous entoure que de ce que fabrique notre cerveau avec tout ça. Fin lecteur de Lionel Naccache, le Prix Goncourt a tout compris : Avoir un cerveau, ça change tout...

Alexis Jenni. Le cerveau qu'est-ce que ça change. Labor & Fides, 2024


Extrait : “quand deux médecins vinrent me voir, je ne savais pas bien combien il était.  On me parlait. Mais je ne voyais pas parler l’homme debout devant moi. Cette performance de ventriloque était bien étrange. “C’est vous qui me parlez ? demandais-je au médecin qui gardait les lèvres obstinément  closes malgré tout ce qu’il disait. - Non, c’est moi, répondit-il en parlant d’ailleurs, un ailleurs étrange puisqu’il demeurait ailleurs, irrémédiablement. - C’est bien ce que je disais”, faillis-je rétorquer. Et puis je tournai la tête, et je vis un autre médecin, dont les mouvements de lèvres correspondaient aux paroles entendues. Il était à deux mètres de moi, je ne l’avais pas vu, ou plutôt pas perçu, sa présence tout entière était annulée alors qu’objectivement, optiquement, je le voyais : en tant qu’image il était là, pas en tant que présence, comme si je l’oubliais de façon répétée, un oubli à chaque seconde renouvelé, au point d'attribuer ses paroles à quelqu’un d’autre - effort du cerveau pour que tout reste normal, normalité un peu sabotée quand même par ce petit malaise de non-cohérence de l’ensemble. Vous avez un syndrome d’héminégligence gauche” me dirent les deux compères dont je n'étais pas très sûr du nombre, ne parvenant vraiment pas à me le mettre dans la tête.” (p32-33)


Biographie d'Alexis Jenni

Alexis Jenni, titulaire d'une agrégation, exerçait en tant que professeur de sciences de la vie et de la Terre au Lycée Saint-Marc de Lyon jusqu'à ce que le Prix Goncourt lui tombe dessus et qu'il commence enfin à vivre de sa plume.