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La Psychiatrie, une sous-discipline des Neurosciences : pas si vite !

Publié par Laurent Vercueil, le 12 avril 2016   65k

Dans un éditorial de la parution du mois d'Avril 2016 de la revue British Journal of Psychiatry, un psychiatre américain du nom de Mark D. Rego (1), soutient une position inattendue, dans le climat actuel très "neurophile" (mais attention aux "neurosalades") : A rebrousse chemin de la vision de plus en plus dominante de la psychiatrie comme une branche des neurosciences cliniques, Rego affirme qu'il s'agit là d'un point de vue prématuré, surfant sur la vogue phénoménale de l'imagerie cérébrale, mais pour lequel les bases solides font encore cruellement défaut. Ainsi fait-il la liste de ce qui empêche encore aujourd'hui la psychiatrie de s'appuyer sur des fondations neuroscientifiques valables :

1) La cause de l'ensemble des diagnostics psychiatriques est inconnue. La schizophrénie, la dépression, les troubles anxieux, les troubles bipolaires, etc...ne connaissent pas d'étiologie définie, génétique, structurale lésionnelle ou même fonctionnelle.

2) L'ensemble des maladies psychiatriques ne dispose d'aucun biomarqueur. Aucune prise de sang, aucune imagerie cérébrale ou examen electrophysiologique ne permet de faire le diagnostic. Celui-ci reste basé sur un faisceau d'arguments cliniques (d'où les fameux critères, notamment du DSM, qui font tant débat, parce qu'ils dessinent et re-dessinent un paysage nosographique changeant (2))

3) Il n'existe aucun test sur lequel faire reposer l'orientation d'un traitement. A l'époque des thérapies ciblées, comme dans les cancers ou en neurologie, où le choix de la thérapeutique est orienté par les données biologiques (la présence d'un type de récepteur sur une tumeur, etc..), les traitements psychiatriques reposent sur la seule identification des symptômes cibles.

4) Il n'y a pas de moyen d'établir un pronostic, ce qui nuit à la prédictivité de la discipline.

5) Les connaissances neuroscientifiques n'ont jamais permis d'élaborer un nouveau traitement psychiatrique sur la base d'hypothèses physiopathologiques. Les traitements utiles en psychiatrie ont été découverts de manière fortuite, et non orientés à partir des connaissances disponibles.

Je ne fais ici que relayer l'opinion exprimé par Rego, qui certainement suscitera des réactions justifiées. Mais ses arguments portent. A cela, deux raisons majeures : le cerveau est un organe complexe, la psychiatrie une discipline complexe. Ces dernières décennies, la psychiatrie a amorcé un virage scientifique, et en parallèle, les neurosciences affectives ont connu des progrés étonnant, tant en recherche expérimentale que dans l'étude du sujet sain. Mais le gap persiste. La psychiatrie conserve une spécificité dans son approche clinique, et dans ses outils, qui en font un cas à part dans la médecine. C'est à la fois une opportunité et un danger. Une opportunité, parce que cela ouvre un champ original, clinique et thérapeutique, qui reste encore à explorer, au delà des stratégies classificatrices toujours nécessaires, comme le DSM. Mais aussi un danger, du fait de l'isolement, des pratiques peu éclairées et d'une certaine résistance à la logique de l'évaluation, inhérente au développement de toute discipline.

La psychiatrie n'est peut-être pas encore une branche des neurosciences cliniques en tant que telle. Qu'elle soit en passe de le devenir est une éventualité. Pas une impossibilité. Ce sera au bénéfice des patients (qui auront des diagnostics de certitude, des traitements adaptés en fonction, élaborés sur des bases physiopathologiques, et un pronostic établi) et... de la connaissance du cerveau.


  1. Mark D Rego. Counterpoint: clinical neuroscience is not ready for clinical use.
  2. Entre le début de mes études de médecine et aujourd'hui, la nature, les critères et les contours des diagnostics d'affections psychiatriques ont bien changé. Certaines affections n'existaient pas alors, qui sont aujourd'hui très répandues. Mais le plus curieux est que ce ne soit pas lié à la découverte de nouveaux gènes, de maladies inconnues, ou de facteurs biologiques démontrables, mais uniquement sur la base de consensus d'experts et de critères établis statistiquement