Offrir du sens à la vie
Publié par Jean Claude Serres, le 25 novembre 2024 420
Trois phases, trois titres : “Un sens à la vie”, “Et maintenant que faisons-nous?”, “Ecrire sa vie”, la lecture de ces trois ouvrages m'ont inspiré l ‘écriture de ce nouvel article.
Il est vrai que depuis quelque temps j’avais envie de questionner cette éco-anxiété qui fait des ravages, chez les jeunes en particulier. Que faire, comment réagir ? Flore Vasseur, percutée par l'effondrement des deux Tours Jumelles, a mis fin à sa courte carrière de d'entrepreneur pour se métamorphoser en militante, pour questionner l’éco-anxiété chez les jeunes et chercher des éléments de réponse.
“Prendre sa vie en main” est une thématique que j’ai beaucoup explorée pour mon cheminement personnel et éducatif sur le plan familial, ainsi que dans le cadre d’accompagnements individuels de personnes en difficulté ou en souffrance. Marianne Chaillan a de façon très pédagogique délimité les possibles. Elle a questionné habilement les concepts de liberté et de libre arbitre laissant entrevoir un petit espace d’écriture de la vie
Et dans le dernier ouvrage de Pascal Chabot, il explore la quête de sens omniprésente dans les rayons de librairie consacrés au développement personnel comme les pertes de sens évoquées par nombre de personnes en souffrance.
La notion de sens est polysémique. Cependant elle doit se distinguer fortement de la notion de but. Un but ou un objectif caractérisent l’attente d’un résultat à une échéance donnée. Les buts et les objectifs sont relativement statiques en échéances comme en contenu. Au contraire le sens circule entre ses différentes acceptions, il est fluide et multiple, le sens représente autant l’itinéraire personnel que la pertinence des relations aux autres. Dans le “sens unique” spécifique des ordres reçus, ou des techniques de résolution de problème, le sens est ce qui relie le problème, les causes de dysfonctionnement, aux objectifs intermédiaires, aux buts successifs. Chaque objectif, cible ou but est un moyen pour atteindre un but supérieur. Le sens caractérise alors davantage le cheminement comme dans la belle phrase qui suit. “La cible éclaire le chemin qui la construit”.
A la psychose et la névrose qui sont les champs des maladies de l’inconscient, Pascal Chabot propose une nouvelle famille de maladies psychiques : la digitose pour expliquer mal-être, dissociation entre sensation et signification, éco anxiété et burn-out, incapacité et peur à se projeter, fragilisation des relations interpersonnelles. La noosphère numérique provoque à travers l’utilisation de nos outils favoris dont le smartphone, une overdose d’informations et de connaissances qui perturbe le psychisme individuel, son équilibre.
Chacun des trois ouvrages, à sa manière illustre la difficulté à s’engager, à accepter les contingences d'un avenir incertain, imprévisible et fort inquiétant pour nombre d’entre nous. Nous sommes confrontés à vivre le changement permanent dans les prochaines décades à venir.
Quelques repères pour faire face à l'éco anxiété
L’importance que nous apportons à l’usage du numérique, de l’ordinateur et en particulier du smartphone induit une colonisation de nos imaginaires. Les processus cérébraux non conscients sont les premiers acteurs de cette décolonisation. Notre pouvoir d’action individuelle et collective est relativement limité.
Je vais développer ces trois pistes de réflexion
1 - L’imaginaire du “nous fonçons droit dans le mur sans rien faire”
La pression médiatique peut être la plus puissante pour coloniser nos imaginaires. Cette image du ”fonçons droit dans le mur” doit être nuancée. Le mur n’a pas la même ampleur pour les pays en développement, pour les victimes de catastrophes naturelles , les habitants de Valence en Espagne ou de l'Ardèche, ou d’autres d’origine politique Gaza, Beyrouth . Le mur, elles s’y sont fracassés (morts, biens détruits, famines, migrations, etc). Pour nombre d'occidentaux plus privilégiés, le “mur” est une pente plus accessible qui demande cependant des efforts conséquents. Mettre en mots, écrire de multiples facettes de son itinéraire de vie, des rencontres fructueuses permet de mieux cerner nos facultés, nos acquis et nos possibles réalistes individuels (Cf Marianne Chaillan) . L’imaginaire des possibles plus humble, plus localisé, imaginaire que nous pouvons maîtriser ou influencer, humaniser, rendra plus accessible ce mur réputé catastrophique.
Cibler les territoires d’actions : familiaux, ou quartiers et villages comme des oasis à privilégier pour agir, dans des déserts de réflexions . Une autre représentation plus subtile de cible est celle des îles et îlots. Dans l’immensité aquatique, de grandes îles recèlent des lacs laissant émerger de petites îles, ayant des petits lacs eux aussi dotés d'îlots. Cette représentation fractale, d'archipels d'îles et d'îlots caractérisent les relations en réseaux à géométrie variable. Chaque réseau est confronté à des risques globaux de différentes intensités : situations accidentelles (ou sur-accidentelles), menaces réelles à plus ou moins long terme, menaces sans prise en compte du réel (déni, aveuglement, déconnexion médiatique). Chaque réseau délimite des champs d’actions potentielles (maîtrise ou influence) ou impossibles (cad sans influence) pour reprendre la phrase de Flore Vasseur : et maintenant, que faisons-nous ?
2 - L’inconscient, les déterminismes et le conditionnement volontaire
Nos pensées et actions sont téléguidées par des déterminismes inconscients et des conditionnements culturels, sociaux et psychiques. Mieux se connaître, c'est-à-dire identifier ces mécanismes peut nous aider à retrouver une part de pouvoir ou de liberté et ainsi de responsabilité, sur nos choix. Pascal Chabot évoque une nouvelle catégorie de maladie psychique, la digitose générée par l'excès de sens, d'informations et de connaissances numériques. Les nouvelles maladies comme l’éco-anxiété ou le burn-out nécessitent de nouvelles approches médicales à inventer. Cependant en référence à l’imaginaire de l’iceberg dont la partie immergée caractérise l’inconscient, il désigne par “surconscient” cette partie d'information numérisée qui tend à coloniser nos imaginaires via les smartphones. Cela signifierait que le “surconscient” numérique est en prise directe avec notre conscience.
Je pense que cette image n'est pas très pertinente. Ce n'est pas notre conscience qui se trouve en prise directe avec le numérique, avec ce que je nomme la noosphère numérique. Ce sont en première ligne d’abord nos yeux, nos oreilles qui captent cette noosphère et la traitent via nos processus cérébraux non conscients. La colonisation est d’abord inconsciente et génère des effets multiples, potentiellement bénéfiques comme destructeurs dans nos mémoires émotionnelles, sémantiques et épisodiques. C’est à partir de ces apports mixés aux autres contenus psychiques qu’émergent de nouveaux états de conscience modifiés par la noosphère numérique.
Mais quid de ce qui n’est pas conscientisé ? Un des aspects non cognitif provient des écrans, de leur luminosité comme de leur impermanence de contenu. L’usage quasi continu des écrans stimule l’éveil et perturbe l'entrée de la période de sommeil, prolongeant les soirées à des heures indues.
Quelques pistes de protection et de maîtrise ou influence des processus cérébraux peuvent être identifiées.
La première piste concerne l’usage des moyens médiatiques. Ne pas regarder et écouter en boucle des informations superficielles attractives pour le cerveau. Choisir de temps en temps une thématique et l'approfondir. Ne pas céder ainsi aux techniques puissantes d'hameçonnage médiatique. Éviter autant que possible de regarder les images et vidéos qui peuvent s’implanter dans nos mémoires émotionnelles traumatiques ou trop coloniser nos mémoires épisodiques. Préférer la lecture des textes et articles en ligne ou en support papier.
La seconde piste est beaucoup plus conséquente. Il s’agit de coloniser volontairement nos mémoires sémantiques et épisodiques non conscientes, pour occuper l'espace et faire contrepoids dans nos processus cérébraux non conscients. Cela nécessite d’écrire non pas le passé mais le présent de nos élaborations mentales. Les modalités de penser par le récit comme par le penser paysage et cartographique peuvent créer des RMCS, des Représentations Mentales Complexes Synthétiques. Ces RMCS seront utilisées intuitivement ou par raisonnement séquentiel dans les états conscients. Cette démarche s'inscrit dans le temps long et produit ses effets au bout de plusieurs mois et années.
La gestion des moments et durées d’exposition aux écrans, paraît devenir incontournable. Les smartphones sont d'ailleurs pourvus d’applications d’usages de ces outils, véritables prothèses humaines. Il serait sans doute pertinent de distinguer les durées de jeu, de papillonnage, de lecteur active et d'écriture-production. Des périodes de mise en silence sonore et visuelle pourraient aussi favoriser les moments de repos et de forte concentration au cours de la journée.
Une dernière réflexion concerne l’usage par les jeunes des écrans pc et mobiles, d’internet autant que la télévision. Outre la question si délicate de la gestion des durées d’usage, ces outils placent les jeunes en situation d'intégrations de contenus très perturbants face à une maturité psychique en profond décalage (surtout entre 6 et 15 ans). Ils deviennent des enfants-adolescents-adultes hybrides vivant beaucoup trop dans des représentations du monde au détriment du contact au réel et aux sensations physiologiques. Des processus de décorporation peuvent s’installer trop précocement.
Ces pistes procèdent sans doute d’un premier pas vers l’élaboration d’une éducation aux humanités numériques à inventer.
3 - L’acceptation et l’engagement dans des actions réalistes
Face à l'incertitude, l'acceptation de ce qui est et adviendra, en est une étape cruciale. Cela ne signifie pas renoncer, mais plutôt agir dans les limites de ce qui est possible, ici et maintenant. Des actions concrètes et réalistes, même modestes, contribuent à reprendre confiance et à construire un avenir plus viable. Accepter et s’engager relève pour moi des techniques d'accompagnement comme l’ACT : thérapie de l'acceptation de l'engagement . Pour chaque oasis d’action ou d’archipel d'îlots il me paraît judicieux de construire des analyses de risques globaux.
La première des actions est personnelle : développer des compétences pour devenir plus résistant, plus adaptable et résilient . L’engagement dans l’action personnelle, en conscience et aligné sur un solide système de valeurs permet de chasser la peur et ne plus être perturbé par des pertes de sens épisodique.
En conclusion
Chacun peut trouver un sens à la vie, même dans un monde bouleversé, en apprenant à équilibrer : engagement personnel, imagination collective et résilience, face à l'incertitude. La clé réside dans notre capacité à questionner nos conditionnements, à réorienter nos actions, et à imaginer un avenir où chaque petit geste compte. Cela ne consiste pas à rejeter la puissance de la noosphère numérique et des outils associés comme les intelligences artificielles mais à les utiliser à bon escient.
Jean Claude Serres