Alcool et violences sexuelles en milieu étudiant

Publié par Philippe Arvers, le 22 novembre 2025

The Conversation

L’alcool, un facteur de risque majeur dans les violences sexuelles entre étudiants ?

Laurent Bègue-Shankland, Université Grenoble Alpes (UGA) et Philippe Arvers, Université Grenoble Alpes (UGA)

Dans l’enseignement supérieur, la consommation d’alcool entre étudiants pourrait jouer un rôle majeur dans la survenue de violences sexuelles. C’est ce que suggère une enquête française menée en 2024 sur plus de 65 000 étudiants. Des recherches doivent être conduites pour mettre au jour les mécanismes à l’œuvre et accompagner les actions de prévention.


Les violences sexuelles touchent aujourd’hui des millions de femmes et d’hommes à travers le monde et leurs conséquences sur la santé physique et psychologique des victimes ne sont plus à démontrer.

3919, le numéro national d’écoute de Violences Femmes Info

  • Anonyme et gratuit, ce numéro est destiné aux femmes victimes de violences, à leur entourage et aux professionnels concernés.
  • Il est accessible depuis un poste fixe et un mobile en France hexagonale et dans les DROM.

Des violences sexuelles dans les universités et les grandes écoles

Dans le sillage de #MeToo, aujourd’hui, ces violences sont dénoncées aussi dans l’enseignement supérieur, notamment entre étudiants.

En France, universités et grandes écoles ont pris conscience de l’importance de ces violences, par exemple avec le mouvement #sciencesporcs (qui met en cause des étudiants mais également des professeurs, ndlr). En plus de leurs conséquences sur la santé mentale des victimes, les violences sexuelles entre étudiants augmentent les risques de désinvestissement du cursus et d’abandon des études.

Dans l’enseignement supérieur comme ailleurs, il existe de nombreuses actions susceptibles de lutter contre ces violences. Au-delà de prises de conscience nécessaires, les campagnes de sensibilisation ne permettent pas toujours de constater des effets. Identifier les facteurs de risques fréquemment présents dans les situations de violence est une piste prometteuse.

Les numéros d’urgence à contacter si vous êtes victime de violences sexistes et sexuelles

  • Le 15 : le numéro des urgences médicales (SAMU).
  • Le 17 : le numéro de la police et de la gendarmerie.
  • Le 18 : le numéro des pompiers.
  • Le 114 : en remplacement du 15, du 17 et du 18 pour les personnes sourdes, malentendantes, aphasiques, dysphasiques.

L’alcool, souvent impliqué dans des situations de violences sexuelles

Pour des raisons qui relèvent de ses propriétés psychopharmacologiques mais aussi du fait de ses significations culturelles, l’alcool fait partie des facteurs de risques de violences et sa place dans des crimes incluant des violences sexuelles a fait l’objet de nombreuses études.

Une enquête irlandaise auprès de 6 000 étudiantes et étudiants indiquait, par exemple, que deux tiers des victimes pensaient que l’agresseur avait bu de l’alcool ou consommé des drogues juste avant les faits. Selon une synthèse de 34 études, l’alcool augmente de manière causale les risques de violences sexuelles indépendamment du profil des consommateurs.

Enfin, dans une enquête plus récente menée en France auprès de 66 767 étudiants dans l’enseignement supérieur, l’auteur était alcoolisé dans 62 % des tentatives d’agression sexuelle et 56 % des agressions sexuelles effectives, selon les estimations des victimes. C’était le cas dans 42 % des tentatives de viol et 43 % des viols. Si l’on prend en compte, pour chaque situation de violence sexuelle, la prise d’alcool cumulée des auteurs et des victimes, l’alcool était présent dans près de la moitié à deux tiers des violences sexuelles.

Vulnérabilité accrue de la victime alcoolisée

L’alcool consommé par une victime potentielle pourrait fonctionner comme un véritable signal de sélection pour les auteurs. Une observation systématique menée dans des bars, pubs et clubs en Amérique du Nord suggérait qu’indépendamment de la consommation des individus qui l’approchaient, plus une femme avait consommé d’alcool, plus les consommateurs masculins se montraient envahissants et sexuellement agressifs par leurs gestes, leurs commentaires, leur refus de la laisser seule ou leur tendance à l’attraper ou à la toucher de manière inappropriée.

Quelques recherches se sont concentrées sur les situations rencontrées par de jeunes femmes lors de leur entrée à l’université. L’alcool pourrait altérer les capacités de jugement et d’autodéfense des victimes. Ces dernières connaîtraient davantage de comportements à risque et subiraient notamment plus d’expériences sexuelles perçues comme négatives quand elles boivent davantage. Et à partir d’un certain seuil d’alcoolisation, le risque semble s’intensifier.

Dans l’enquête française de 2024, les victimes se souvenaient avoir consommé de l’alcool dans 47,5 % des cas de tentative d’agression sexuelle, 44 % des agressions sexuelles, 35 % des cas de viol et 37 % des viols. De plus, les victimes de viol (ou de tentatives de viol) indiquaient dans presque 40 % des cas avoir consommé cinq verres d’alcool ou davantage.

L’analyse du lien entre les habitudes de consommation et la victimation a confirmé l’importance de l’usage chronique d’alcool. Notamment chez les femmes, plus les consommations habituelles étaient élevées, plus les risque de victimation sexuelle augmentait. Par exemple, 15 % de celles qui se situaient dans le premier tiers de la distribution du score du questionnaire AUDIT (soit les femmes ayant les consommations les plus faibles) avaient été victimes de violences sexuelles, contre 26 % de celles qui se situaient dans le tiers intermédiaire et 35 % de celles qui étaient dans le tiers supérieur.

Le questionnaire AUDIT, pour faire le point sur sa consommation d’alcool

  • Le questionnaire AUDIT (« Alcohol Use Disorders Identification Test » ou « Test pour faire l’inventaire des troubles liés à l’usage d’alcool») est un test simple en dix questions. Il a été développé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour déterminer si une personne présente un risque d’addiction à l’alcool.

Ces chiffres soulignent aussi le fait que les femmes peuvent être victimes de violences sexuelles, même si elles consomment peu ou pas d’alcool. L’alcool interviendrait comme un facteur qui élève la probabilité de victimation à plusieurs niveaux : la reconnaissance de composantes de risque dans une situation donnée, leur interprétation et la réponse à apporter dans cette situation.

Selon une étude datant de 1999, l’alcool diminuerait notamment la capacité des victimes à réagir en cas d’agression, à se défendre ou à quitter les lieux. Un témoignage suggère qu’après les faits, une victime peut considérer que l’alcool a perturbé son jugement et accru sa vulnérabilité.

Une victime témoignait ainsi :

« Si je n’avais pas bu, je n’aurais jamais quitté le bar avec lui. J’ai essayé d’arrêter, mais j’étais tellement ivre et confuse. »

Quelle consommation d’alcool sur les campus ?

Des travaux de recherche montrent que la consommation d’alcool des étudiants sur un campus universitaire est listée, avec d’autres critères, comme un facteur pouvant favoriser les violences sexuelles. Une étude de 2004 menée sur 119 campus états-uniens indiquait que, par rapport à un campus où la consommation était plus faible, les personnes se trouvant sur des campus où les consommations massives étaient plus importantes avaient un risque de victimation sexuelle supérieur.

Enfin, dans de nombreux cas, l’auteur et la victime d’une agression sexuelle se trouvent dans un lieu fréquenté par d’autres personnes. Ces témoins peuvent exercer une action potentiellement protectrice. Cependant, les témoins qui ont consommé de l’alcool interviennent moins fréquemment dans une situation à risque impliquant des personnes, connues ou non.

En conclusion, il apparaît que l’alcool constitue un facteur majeur de risque de victimation sexuelle dans l’enseignement supérieur. Bien que de nombreux autres facteurs importants soient en jeu, l’alcool est une composante sur laquelle il est plus facile d’intervenir à court terme que les croyances culturelles ou les caractéristiques individuelles des auteurs.

Pour cette raison, les institutions qui accueillent des étudiants ne peuvent négliger les mesures de prévention efficientes, dont certaines sont actuellement en cours d’implémentation dans le contexte universitaire français, sous l’impulsion de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca).


Faire un signalement en ligne

En cliquant sur le lien de la plateforme gouvernementale « Arrêtons les violences », il est possible de signaler en ligne des violences sexuelles et sexistes et de trouver une association pour se faire accompagner.

Laurent Bègue-Shankland, Professeur de psychologie sociale, membre honoraire de l’Institut universitaire de France (IUF), directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA), Université Grenoble Alpes (UGA) et Philippe Arvers, Médecin addictologue et tabacologue, Université Grenoble Alpes (UGA)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.