“Chercher avec plutôt que sur” : l’approche métabolique et participative de Victoria MURE-RAVAUD
Publié par Jade Michat, le 28 novembre 2025 1
Victoria Mure-Ravaud est une chercheuse engagée au profil atypique et qui conçoit son travail ainsi : « Chercher avec plutôt que sur ». Architecte de métier, elle voulait améliorer la qualité de vie des individus. Cependant, une prise de conscience des enjeux écologiques a redéfinit son parcours professionnel et personnel.
Une chercheuse-architecte impliquée et engagée
Diplômée de l’École Nationale Supérieure d'Architecture de Clermont Ferrand (ENSACF), Victoria Mure-Ravaud vit une « bascule », prenant conscience de l’urgence écologique due au changement climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Ceci la conduit à s’intéresser à la notion de résilience au sein des territoires.
Un·e architecte pourrait être défini·e comme la personne chargée de la conception et de la coordination d’un projet de construction d'un édifice. L'édifice alors choisi par Victoria est une thèse sur le métabolisme des matériaux de construction en territoire rural, au-travers de laquelle elle voit l’opportunité d’y mêler ses motivations personnelles.
Sa rencontre et son implication au Centre d’Innovations Sociales Clermont Auvergne (CISCA) colorent la manière dont elle fait ses recherches. Convaincue de l’importance de favoriser les coopérations entre les acteurs de terrain et le monde de la recherche, Victoria construit sa propre méthodologie : un outil d'intermédiation doublé d’une présence sur le territoire.
Le métabolisme territorial au sein des Combrailles
Sa thèse, « Production et circulation des matières de construction en milieu rural : le cas des Combrailles », s’appuie sur plusieurs concepts clés issus de l’écologie territoriale. Cette approche analyse de façon locale les interactions entre sociétés humaines et biosphère. L'idée est de saisir comment un territoire rural exploite et transforme ses propres ressources, dans le but de concevoir une architecture plus autonome et mieux adaptée à son contexte, tout en réduisant sa dépendance aux matériaux venus d'ailleurs.
Au cœur de sa démarche, nous retrouvons le métabolisme territorial se définissant comme l’ensemble des flux de matières et d’énergie mobilisés par la société. Victoria illustre ce métabolisme comme une boîte; il y a ce qui rentre (matières premières, bois importé), ce qui circule et se transforme à l’intérieur (fabrication, stockage, pratiques professionnelles) et ce qui en sort (déchets, produits transformés). Cette lecture du territoire permet donc de rendre visibles ses dépendances matérielles et d’interroger les logiques d’extractivisme, où les ressources locales sont alors exploitées sans bénéfice suffisant par les habitant·e·s ou les entreprises locales.
Pour approfondir cette analyse, elle y joint une autre approche dite « Nexus » : celle-ci confronte nos pratiques de consommation à nos besoins minimums au bien-être social. Ce modèle aide à mieux comprendre comment construire de manière durable, tout en restant dans les limites planétaires.
Son terrain d’étude s’inscrit dans l’une des quatre communautés de communes des Combrailles, territoire avec une population à très faible densité d’environ 19000 habitants pour 425km² de superficie. Elle collabore étroitement avec les acteurs politiques de la communauté, et ce partenariat institutionnel lui permet d’observer directement les enjeux économiques, politiques et sociaux de la filière construction dans un contexte où la ressource forestière occupe une place majeure. En effet, 37 % du territoire est couvert de forêts, dont près de 70 % relèvent de propriétés privées. Elle rencontre ainsi élu·e·s, technicien·ne·s, artisans, scieries, et membres de l’interprofession du bois mais aussi des structures patronales influentes dans l’organisation de la filière.
La diversité de ces acteurs, leurs temporalités et leurs intérêts parfois divergents constituent un environnement complexe. C’est précisément cette configuration qui amène Victoria à développer une méthodologie adaptée à son terrain d’étude.
De la recherche-action participative aux processus d’intermédiation
Portée par sa volonté de contribuer à une forme d’émancipation sociale, Victoria se tourne vers la méthodologie de la recherche-action participative. Ce terme, apparu dans les années 70, invoque le besoin de décloisonner les frontières entre les savoirs académiques scientifiques et les savoirs dit situés, portés par les acteurs socio-économiques d’un territoire.
Cette co-construction du savoir, motivée en fait par un engagement démocratique, aide à l’appropriation au sein des collectivités territoriales :
« Ce n’est pas une démocratie si les personnes concernées par un problème ne sont pas en mesure de s’approprier les savoirs ! » s'élance Victoria.
Au-travers de cette recherche-action, la chercheuse vient interroger la dialectique domination-émancipation auprès des acteur·rice·s du bâtiment, généralement éloigné·e·s de ces dispositifs de participation, soit par des contraintes temporelles ou bien financières. Les interactions entre chercheur·euse·s, professionnels, chefs d’entreprise/salarié·e·s, habitant·e·s sont encore traversées par des asymétries langagières et par certains préjugés, pouvant inhiber la participation et réduisant alors la pluralité des points de vue. Tous ces enjeux mènent Victoria à introduire dans sa recherche des processus d’intermédiation afin d’identifier et, éventuellement, réduire ces injustices épistémiques.
Pour cela, divers dispositifs ont été mobilisés : des maquettes architecturales, des facilitations graphiques ou encore des cartes vitrines recensant, par exemple, les scieries du territoire, et qui étaient dessinées pendant un temps sur la vitrine d’une pharmacie. Ces outils d’intermédiation ont le double avantage d’informer le public tout en le faisant participer mais aussi de créer du contact et une relation de confiance sur le territoire.
L’outil maître de cette enquête reste celui que la chercheuse a élaboré : la cible « nexus », rassemblant une quarantaine de participant·e·s, avec pour objectif de faciliter les échanges entre les divers acteurs (civils, artisans, chefs d’entreprises, maire etc). Cette cible, de la taille d’une table de travail, représente les 4 dimensions de l’approche « nexus »: Flux, Stock, Besoins et Pratiques, proposant chacune des leviers d’action différents avec un curseur de gradient. De cette façon, à tour de rôle et pour la compréhension de tou·te·s, chaque personne autour de la table peut concrètement expliquer son métier ainsi que les responsabilités et les leviers d’actions qui y sont liés.
C’est l’ensemble de ces pratiques et méthodologies qui ont permis à Victoria de se faire une place au sein du territoire des Combrailles, en arpentant de part et d’autres la région et surtout en créant un lien de confiance avec toutes les personnes rencontrées au cours de son enquête. Suite à son implication, des actions concrètes ont vu le jour autour des Combrailles: comme la mise en place d’expositions et de démonstrateurs de matériaux locaux, ou encore l’organisation d’une journée du bois pour sensibiliser les habitant·e·s aux possibilités d’achat des matériaux.
Ces résultats sont finalement encourageants pour le devenir des relations science-société. Malgré les nombreux points positifs, cette enquête dresse aussi des injustices et inégalités encore persistantes. Nous nous demandons alors; comment rendre possible une indemnisation aux artisans et autres employés lors de leur participation aux programmes de recherche, au même titre que celle prévue pour les chercheur·euse·s ?
Cet article fait suite au séminaire “Sciences, société, communication” organisé par la MSH-Alpes, de l’Université de Grenoble, et qui a eu lieu le 10 Novembre 2025.
Rédigé par: Alexandra BLIN, Mathis PHILIPPE et Jade MICHAT
Photo: En haut à gauche, portrait de Victoria MURE-RAVAUD devant une de ses cartes vitrines (CISCA ©) et à droite, vue de Pontgibaud, commune membre de la communauté de communes Chavanon Combrailles et Volcans.
