Impressions sur les "Premiers Etats Généraux des migrations"

Publié par Jacques Talbot, le 7 décembre 2016   3.2k

Un article sur les migrants est-il à sa place sur Echosciences ? Sans doute que oui, puisque la présidente de l'Université Grenoble Alpes et la directrice du laboratoire PACTE étaient sur scène à la MC2 ce samedi 3 décembre. La migration est un sujet pour les sciences humaines et sociales.

Ces "1ers ETATS GENERAUX des migrations" ont été organisés (depuis un an) par un collectif d'associations iséroises d'aide au migrants, avec le support de la ville de Grenoble et de la Métropole. Cet article est un compte-rendu subjectif, centré sur les informations qui m'ont étonné ou impressionné.

Le bel auditorium de la MC2, prêté par la Mairie, est bourré (998 places). Pas que des cheveux blancs pour une fois. Tous sont des "amis" des migrants. Les seuls "perturbateurs" sont des militants du droit au logement venus interpeller Eric Piolle, maire de Grenoble et Christophe Ferrari, président de la Communauté d'agglomération.

Y-a-t il une crise des migrants ?

Non, les migrations existent depuis "toujours" et continueront pendant longtemps. L'épisode moyen oriental qui fait l'actualité ne change pas fondamentalement la donne.

Peut-on ranger les migrants dans des cases ?

Non. Chaque migrant a une histoire personnelle, un parcours de migration souvent compliqué, et il est assez arbitraire de les ranger dans les cases de réfugié politique, économique ou plus récemment climatique. C'est néanmoins nécessaire pour des raisons juridiques.

Qui sont les migrants en région grenobloise ?

Ils ne ressemblent pas au profil des arrivées en France en 2015-2016, parmi lesquels le moyen-orient et la corne de l'Afrique dominent. La plupart des migrants dans la région viennent d'Afrique du nord et subsaharienne. Ce qui nous vaut des échanges savoureux :

- Question d'un auditeur (noir) : pourquoi tous les migrants qui s'expriment sur scène sont-ils noirs ? (De fait , la seule exception est un albanais)

- Réponse d'un des migrants montés sur la scène (noir lui aussi) : Monsieur, je ne m'exprime pas en tant que noir, mais au nom de tous les migrants

Quel impact a la migration sur l'économie ?

C'est Guillaume Duval, rédacteur en chef d'Alternatives Économiques, qui a présenté cet aspect. A moyen terme, il y a consensus entre les chercheurs et les économistes sur le fait que la migration est positive pour la société d'accueil, essentiellement parce que les migrants sont plus jeunes, plus motivés et parfois déjà formés.

Néanmoins, il serait contre-productif de nier qu' à court terme, ils rentrent en concurrence avec certains français pour l'accès à l'emploi et au logement, et contribuent à faire baisser certains salaires. Il faut donc reconnaître, quantifier et traiter ces effets pervers. Ce point de vue (réaliste à mon point de vue) suscite des désaccords dans la salle.

Mais comment font les allemands ?

Daniel Cohn-Bendit, qui concluait la journée (brillamment comme d'habitude) a bien expliqué que la décision d'Angela Merkel en 2015 (Wir schaffen das, nous y arriverons) ne peut pas être expliquée par une politique de gestion de la démographie (ceci se gère à long terme). Il faut donc admettre que les politiques sont aussi des êtres humains, avec des émotions qui peuvent changer leurs décisions.

L'état fédéral allemand répartit les migrants entre les Lander selon une clef dite «de Königstein» qui date de 1949 (!) et mêle démographie et revenus fiscaux.

Dans chaque Land, une répartition est faite de même entre les communes. Une adjointe au maire de Sarrebruck a expliqué comment sa ville gère cet aspect, en "charnière" avec les associations et les habitants.

La France est-elle encore une terre d'accueil ?

Objectivement, non. Les chiffres sont dérisoires par rapport à l'Allemagne et à la Suède (qui n'a pas le "prétexte" du problème démographique). Pourtant, le 20ème siècle est en France une longue histoire d'accueil de vagues de migrants, dans un pays beaucoup moins riche qu'aujourd'hui, comme rappelé par Daniel Pennac dans une lecture d'un extrait de son texte "Eux c'est nous".

Subjectivement, de nombreuses initiatives citoyennes ont vu le jour (à rebours des quelques protestations montées en épingle dans les médias). Par exemple, dans le Trièves, 32 migrants ont été hébergés depuis un an à l'initiative d'un "collectif de citoyens du Trièves". Le chiffre peut sembler faible, mais mis à l'échelle de la France, ça fait 200 000 .

Le maire de Grande Synthe (20 000 habitants) a expliqué comment il a pu monter à 40 km de la "jungle de Calais" un camp de réfugiés de 2000 places aux normes du HCR, assez médiatisé, en développant le soutien de sa population et en gérant les obstacles mis sur sa route par la préfecture, ... mais aussi avec le soutien discret du ministre de l'intérieur. Rien n'est donc simpliste.

Faut-il accueillir les migrants "en silence" ?

Bref, faut-il médiatiser les actions pro-migrants ? Il y a débat dans l'assemblée. Le maire de Grande Synthe n'a pas organisé de réunions publiques, cibles fatales des excités anti-migrants qui découragent les bonnes volontés. Il a communiqué simplement par courrier avec ses administrés.

Que fait la recherche en SHS sur ce sujet ?

L'université Grenoble Alpes est assez en pointe sur ce sujet de la recherche sur la migration. Dans le cadre de sa mission éducative, elle propose aussi des formations ciblées pour les migrants, surtout en français langue étrangère, leur permettant d'entreprendre ou de poursuivre des études supérieures.

Que faire dans l'avenir ?

Les associations organisatrices ont élaboré un cahier des doléances et des propositions.

Une réflexion plus personnelle

Les paragraphes précédents représentent ma perception du consensus qui s'est dégagé entre les intervenants, la salle... Ci-dessous, c'est mon opinion qui s'exprime.

Tout se passe comme si un ensemble de citoyens et de collectivités territoriales soucieux d'aider les migrants, avec des motivations éthiques ou plus personnelles (sur le thème "qui n'a pas un migrant dans sa généalogie"), menaient au côté des migrants une guerre d'usure contre l'administration préfectorale, émanation du gouvernement, lui même tétanisé par sa perception de l'opinion majoritaire. Ce n'est pas par hasard que le chemin vers l'asile est semé d'embûches, et rien ne nous empêcherait techniquement d'être aussi efficaces que les Allemands.

Il ne sera pas facile de sortir de ce dilemme.