La Grande Rivoire : derniers chasseurs et premiers pasteurs aux portes du Vercors

Publié par Marion Sabourdy, le 20 août 2012   6.8k

Le site archéologique de la Grande Rivoire, près de Sassenage, renferme des vestiges balayant 8000 ans d’histoire humaine. Visite en compagnie du responsable des fouilles, l’archéologue Pierre-Yves Nicod.

La visite d’un chantier de fouilles archéologiques se fait souvent dans la bonne humeur et avec un soupçon de poésie. Celle de l’abri-sous-roche de la Grande Rivoire, situé dans la vallée du Furon, près de Sassenage, n’échappe pas à la règle. Pause croissants, échange de seaux de terre via un « téléphérique » - un câble reliant les parties haute et basse du site – et discussions interrompues auront rythmé mon reportage. Mais l’accueil des archéologues et autres jeunes fouilleurs, tous étudiants, est patient et chaleureux. L’archéologue Régis Picavet me montre avec un plaisir non dissimulé une pointe de flèche en quartz – « plus solide que le silex » - pendant que les préposés au tamisage de la terre discutent : « céramique, 2 cm », « t’as quoi dans la main, une armature de flèche tranchante ? ».

Un site sauvé de justesse

Mon guide ce jour-là n’est autre que le responsable des fouilles, Pierre-Yves Nicod, archéologue au Laboratoire d’archéologie préhistorique et anthropologie de l’Université de Genève. Avant d’aborder la richesse archéologique du site, il m’en explique l’histoire récente, qui remonte aux préparatifs des Jeux Olympiques d'hiver de 1968. Les vestiges ont échappé de peu à une destruction lors de travaux de carrière liés à l’aménagement de la route menant aux pistes de ski. En 1986, un promeneur découvre des tessons de céramique et des morceaux de silex taillés. Régis Picavet, l’homme à la pointe de flèche, est alors chargé des fouilles de sauvetage jusqu’en 1994. Il stabilise les couches de sédiments et coffre l’ensemble du site avec du béton en attendant une future étude, qui sera programmée à la fin des années 1990 par le Ministère de la Culture et le Conseil Général de l’Isère.

6 mètres de terre pour 8000 ans d’histoire

Après une sécurisation du site, les fouilles reprennent en 2000 sous la direction de Pierre-Yves Nicod et elles prennent de l’ampleur en 2004 avec la participation d’une vingtaine de fouilleurs, durant deux à trois mois chaque été. Cet intérêt est à la hauteur de la richesse du site qui comprend sur plus de six mètres d’épaisseur de sédiments les restes d’une succession d’occupations humaines couvrant 8000 ans d’histoire, du Mésolithique moyen (vers 8000 ans av. J.-C.) jusqu’aux premiers siècles de notre ère. Un vrai mille-feuille préhistorique et historique ! Les archéologues et étudiants fouillent ainsi patiemment les différentes couches de sédiments, afin de remonter petit à petit dans le temps.

Des chasseurs-cueilleurs aux bergers

Pierre-Yves Nicod souhaite me décrire plus particulièrement deux périodes clés du site. Ainsi, durant le Mésolithique, entre 8000 et 5800 ans av. J.-C., les derniers chasseurs-cueilleurs arpentent les plaines marécageuses de l’Isère et installent leurs campements sur le piémont du Vercors. Ils n’hésitent pas à remonter la vallée du Furon jusqu’au plateau. Les 80 m² abrités de la Grande Rivoire, exposés au sud sur leur voie de passage, leur servent alors sans doute de camp de base. Pour preuve, des couches de cendres, des pointes de flèches en silex de différentes formes et des restes de cerf, de sanglier ou de chevreuil, d’animaux d’altitude (bouquetin) et de plaine (tortue, castor). Pierre-Yves décrit également un petit « bijou », une mandibule d’ours brun qui présente une anomalie : « deux enfoncements parfaitement symétriques entre les premières et deuxièmes molaires, sans doute provoqués par un lien qui aurait permis de tenir l’animal en captivité, de sa naissance à sa mort vers l’âge de 5 ans ».

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Mais tout l’intérêt de ce site est d’avoir gardé « en mémoire » la transition (technologique et économique notamment) entre ces dernières sociétés nomades de chasseurs-cueilleurs et les premières sociétés agro-pastorales du Néolithique, transition que les archéologues placent à la Grande Rivoire entre 5800 et 5000 av. J.-C. Si les innovations sont timides au départ (pointes de flèches de forme différente), la suite indique la présence d’animaux domestiques, de meules en granite, d’éléments de parures et de poteries. Ensuite, « à partir de 5000 ans av. J.-C. et jusque vers 2500 av. J.-C., le site est utilisé exclusivement en bergerie pour parquer des troupeaux d’herbivores, principalement des chèvres et des moutons » explique Pierre-Yves. On espère pouvoir préciser si les chasseurs-cueilleurs des débuts ont disparu ou s’ils ont petit à petit modifié leur mode de vie, au contact de nouvelles populations paysannes venues d’ailleurs. Dans tous les cas, le site de la Grande Rivoire – dont les fouilles sont prévues au moins jusqu’à 2017 – ne manquera pas d’apporter de nouvelles et précieuses informations sur ces périodes, jusqu’ici peu étudiées dans les Alpes.

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>> Illustrations : Marion S.