Projet de médiation scientifique par les M2 CCST de l'UGA - A la découverte des forêts alpines
Publié par Jade Michat, le 18 octobre 2025 82
Les étudiant·e·s du Master 2 Communication et Culture Scientifique et Technique (CCST) ont pu, lors d’un stage de terrain dans les Aravis, relever de nombreux enjeux de la forêt. Qu’ils soient écologiques, sociaux, ou encore économiques, la gestion de l’écosystème forestier en est impactée, mais pourquoi et comment ?
Photo 1. Vue en hauteur sur la commune de Thônes, depuis la Forêt École détenue par l'Ecomusée du Bois et de la Forêt (photographe: Alexandra BLIN)
Qu’est-ce qu’une forêt ? Et comment la définir ?
Il pourrait être ici partagé une définition quelque peu technique proposée par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture Organisation), regroupant un ensemble bien spécifique de caractéristiques [1] et qui ne représenterait in fine que peu de choses de l’image que l’on s’en fait.
Il semble alors presque évident que chacun·e d’entre nous pourrait tout autant répondre à ces questions suivant son propre regard et la relation, affective ou non, qu’il ou elle entretient avec cet espace de nature.
C’est dans cet esprit de repenser à la fois notre relation à la forêt ainsi que la place que celle-ci opère dans nos interactions humaines, notamment face à l’enjeu de la transition écologique dû au réchauffement climatique, que le projet CROSCUS du Labex ITTEM a organisé cet automne un nouveau volet d’exploration en montagne, accompagné une fois de plus des étudiant·e·s du Master 2 CCST de l’UGA.
Ce Master forme des professionnel·le·s de la communication doté·e·s de compétences polyvalentes dans le secteur de la communication scientifique. Il permet d’intégrer des métiers de la médiation scientifique et de la culture scientifique, ou encore des métiers de la communication spécialisée dans le domaine scientifique.
Notre promotion a été immergée pendant une semaine courant Septembre 2025 dans le monde de la forêt en haute montagne. Basé·e·s à Thônes, capitale du massif des Aravis réputée pour sa production de reblochon, nous étions parfaitement situé·e·s pour rencontrer des experts du terrain aux rôles bien divers. Cet article a été rédigé par trois d’entre nous, et reflète chacun notre style et notre point de vue tout en ayant la volonté de créer un ensemble cohérent.
La forêt, un espace anthropisé
Les forêts sont d’importants réservoirs de biodiversité qui abritent de nombreuses espèces, en particulier dans les forêts alpines[2]. En partant de ce constat, il est facile d’imaginer ces environnements comme des espaces naturels intouchés. Mais comme nous l’avons vu tout au long de cette semaine sur le terrain, comprendre la forêt, c’est d’abord comprendre ses interactions notamment avec les humains. La forêt est un espace géré et transformé par des actions humaines qui visent à répondre à divers objectifs.
La forêt n’appartient pas à tout le monde : elle est divisée en parcelles qui ont chacune un propriétaire. Cela peut être l’État : forêts domaniales ou communales, ou bien un propriétaire privé (particulier). Dans tous les cas, la personne ou l’organisme qui possède la parcelle a une obligation de gestion : les propriétaires privés qui possèdent plus de 20 hectares doivent soumettre un plan de gestion, et les communes et l’État doivent se concerter avec l’Office National des Forêts (ONF) pour créer des documents d’aménagement forestiers [3].

Ces documents répondent à des normes de gestion, notamment en matière de protection de la biodiversité et de sécurisation pour le public. L’exploitation de bois transforme également la forêt. L’idée derrière ces aménagements est que la forêt produit ce que les acteurs forestiers appellent des « services écosystémiques », qui bénéficient à la fois aux humains et au reste de la biodiversité (stockage du carbone, ressource en eau et en bois, accueil du public). La logique est qu’une même parcelle produit de manière simultanée ces services. Les parcelles vont donc être aménagées pour répondre à ces différents besoins.
Photo 2. Marquage dans le but d’une action de coupe dans le cadre de l’aménagement forestier (photographe: Zoé MEILLER)
Quel effet va avoir cet aménagement sur les forêts ? Certains sont visibles dès qu’on passe la lisière… Tout simplement parce qu’il serait difficile d’y accéder sans ces aménagements. En France, une forêt non gérée, c’est un fouillis de branches et de végétation impénétrable. Accueillir du public fait également partie des services écosystémiques rendus par la forêt ; la gestion implique donc d’y tracer des pistes et des chemins accessibles. Au-delà de cet aspect, la production de bois a également un impact sur ces espaces ; par exemple, les grandes parcelles d’épicéas sont souvent des plantations. La production de bois accélère le cycle de croissance de la forêt ; il y a plus de jeunes arbres dans une parcelle cultivée.
Par ailleurs, la prolifération des ongulés (cerfs, chevreuils, sangliers…), résultant de la disparition de leurs prédateurs à cause des activités humaines, impose une pression importante sur la régénération naturelle de la forêt. Dans certaines parcelles, cette pression est telle qu’il n’y a plus de repousses: les arbres qui meurent ne sont plus remplacés. Certains exploitants forestiers cherchent à réguler la présence de ces animaux dans leur parcelle en mettant en place des points de nourrissage à l'écart. Mais ces pratiques sont illégales et peuvent même avoir l’effet inverse : cet excédent de nourriture favorise la prolifération. Enfin, le changement climatique est un autre phénomène humain ayant un impact global sur les forêts, (que nous aborderons plus en détail dans la troisième partie).
Derrière ces aménagements forestiers, les acteurs forestiers ont leurs propres intérêts et leur vision de la forêt, ce qui engendre tensions et incompréhensions.
Un lieu d’interactions et de controverses
Cette semaine immersive dans les forêts du massif des Aravis nous a donc offert l’opportunité d’expérimenter ces écosystèmes comme lieu de rencontres et d’échanges entre les usagers que nous sommes avec ces différents acteurs. Etre au contact et à l’écoute de ces intervenant·e·s éclairent sur la pluralité des usages de la forêt, et des conflits d’intérêt qui peuvent en découler.
Nous sommes alors face à une multitude de personnes, et d’organisations, interagissant ou pas entre elles, et portant comme l’un de leurs objectifs celui de participer d’une façon ou d’une autre à la préservation de ces lieux.

Cela nous amène à appréhender le concept même de transversalité en forêt ; la forêt faisant ainsi office de lieu de traverse d’acteurs divers et variés menant, semblerait-il, des quêtes aux trajectoires bien distinctes. Et pourtant, il nous paraît presque aisé de les unifier vers un but précis.
Que ce soit au-travers d’une action de coupe de bois à des fins d’aménagement forestier, ou bien en éduquant les citoyens à l’aide de dispositifs médiatiques tel que l’Ecomusée du Bois et de la Forêt de Thônes ; nous pouvons y déceler, dans une large perspective, l’intention d’améliorer la cohabitation entre les humains et ces espaces verdoyants, d’autant plus à cette heure cruciale de transition écologique.
Photo 3. Nicolas VILLAUME, directeur et animateur spécialisé au sein de l'Écomusée du Bois et de la Forêt de Thônes (photographe: Alexandra BLIN)
Seulement, comme souvent, cette notion de préservation d’un espace naturel peut venir se confronter à d’autres enjeux d’ordre plus économiques.
Sans doute pensons-nous, instinctivement, à l’exploitation du bois, mentionnée plus tôt, qui symboliquement, use de la forêt comme ressource afin de subvenir à certains de nos besoins en énergie ou en biens matériels. Pour autant, cette activité forestière se présente formellement sous une attitude de gestion, où l’exploitation ne serait qu’une manière parmi d’autres de valoriser la forêt et les services qu’elle offre. Les acteurs forestiers portent bien en eux la volonté et le désir de prendre soin de ces espaces naturels.
Malgré toutes ces bonnes intentions, la forêt peut bel et bien être parfois un espace de divisions et de luttes, où se jouent de fortes controverses socio-économiques. Un exemple criant; celui du bois de la Colombière à la station de la Clusaz.

Ce territoire était alors contesté de 2021 à 2022 entre une autorité locale désireuse de dynamiser son activité touristique hivernale en y installant une retenue collinaire provoquant en réaction la formation d’une mobilisation collective victorieuse (la CluZAD) luttant pour la préservation de cet espace de biodiversité.
A l’échelle de son immensité et du pouvoir mystique qu’elle évoque, la forêt accueille nos conflits en leur conférant l’espace et l’intensité qu’ils nécessitent. Est-ce qu’elle serait alors un cadre propice à la mise en place du pouvoir social de notre collectivité ?
Photo 4. Le groupe CCST au coeur du Bois de la Colombière en pleine écoute de Marion PICARD, anthropologue ayant porté une étude sur la CluZAD (photographe: Alexandra BLIN)
Par ailleurs, on peut observer un tout autre clivage au sein de cet écosystème : entre l’usager proclamant une certaine représentation de la forêt comme espace de liberté absolue et, en opposition, une toute autre réalité qui est celle de la gestion forestière, donc faite de contraintes et de réglementation.
Un exemple flagrant de cette conflictualité serait celui opposant les acteurs forestiers au reste de la société suite à la mécanisation du métier de bûcheron. De par la dangerosité et l’ancienneté du métier, les territoires connaissent à ce jour un déficit chronique de ce type de personnel et en répercussion, décident de pallier ce manque de main d'œuvre par l’utilisation de machines, notamment en cas d’urgence de dépérissement du bois. Cette mutation de la pratique du bûcheronnage peut engendrer la peur auprès des citoyens, celle de la déforestation, comme il a été fortement médiatisé en Amérique du Sud. Il est peu dire que l’ambiance en forêt peut parfois être délétère.
Il est donc important de déconstruire certaines de ces représentations et de pallier aux méconnaissances du monde forestier afin d’atténuer l’incompréhension régnant par moment dans ces espaces. La mise en place d’une médiation scientifique ouvre finalement des possibilités d’échanges et de compréhension entre les individus, qu’ils soient en lien direct ou non avec la forêt. Et enfin, alors peut-être, de nouveaux récits pourraient être tissés.
Au-delà de créer du lien, la médiation scientifique peut aussi s’avérer primordiale au partage de connaissances, d’autant plus face aux enjeux que relève le réchauffement climatique au sein de ces écosystèmes.
Un modèle en évolution pour faire face aux défis environnementaux
La forêt est souvent nommée le “poumon vert” de la planète, notamment grâce à l’absorption du CO2 par les arbres, et au stockage du carbone dans le sol. Mais cette nomination ne rend pas compte de toutes les protections que peut nous apporter cet écosystème. Parmi celles-ci, on compte l’évapotranspiration : les arbres libèrent de l’eau par les feuilles ; eau qui a été originellement absorbée dans le sol par les racines. Cette humidité rafraîchit au moins localement, permettant ainsi de pallier au réchauffement à cette échelle. Comme nous l’a expliqué une intervenante du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), d’autres protections notables qu’offre la forêt sont notamment l’absorption de la pluie, prévenant les inondations, ou encore la stabilisation des sols, formant une barrière contre les avalanches et éboulements.

Photo 5. Forêt brumeuse lors d'une balade au Refuge le Lindion (photographe: Zoé MEILLER)
Cependant, à cause du réchauffement climatique, la sécheresse est de plus en plus fréquente en forêt. Cela a pour conséquences, d’une part, des incendies, et d’autre part, un manque d’eau (stress hydrique) qui ralentit la croissance des arbres et diminue leur capacité à stocker du carbone – puisqu’ils n’ont plus assez d’eau pour produire du sucre et effectuer la photosynthèse.
Les arbres subissent aussi des embolies (par analogie à nos embolies pulmonaires), consistant en des bulles d’air qui se bloquent dans les vaisseaux de circulation de la sève. Affaiblis, ils sont ainsi plus vulnérables aux insectes comme les scolytes, qui creusent des galeries dans le bois pour pondre [4].
En temps normal, comme toute espèce, les arbres s’adaptent au réchauffement de leur environnement. Le problème ici est que ce changement de température est bien trop rapide pour qu’ils aient le temps de s’y adapter ou que la forêt ait le temps de “se déplacer”. Ainsi, en 10 ans, la mortalité des arbres a augmenté de 80 % dans les écosystèmes forestiers français, comme le révèle le dernier inventaire forestier national de l’Institut National de l’information Géographique et forestière (IGN) [5].
Il apparaît donc important de développer ce que l’ONF nomme des « forêts mosaïques », c’est-à-dire des forêts diverses, qui sont alors plus résilientes face aux aléas climatiques. Cela consiste notamment à diversifier des espèces et variétés d’arbres (ce que les forestier·ère·s qualifient d’ « essences »), et à alterner différents milieux.
Dans une forêt mosaïque, on peut trouver, entre autres, des espèces plus adaptées au climat méditerranéen, avec des âges différents, des zones de bois mort, des zones humides, etc.
@Office National des Forêts (ONF) [6]
Ce plan de gestion est cependant complexe car il s’envisage sur le long terme, soit entre 50 et 200 ans. [7]
Conclusion
« L’Homme n’est pas indispensable à la survie sur le long terme de la forêt. Autrement dit, la forêt n'a nul besoin d'un gestionnaire si on fait totalement abstraction des attentes des sociétés humaines. Pourtant, si on veut tenir compte de ces besoins (parquet, papier, charpente...), il faut une gestion active ! » [8]
Toute organisation détient une part de responsabilité dans le réchauffement climatique, ce qui se répercute plus ou moins directement sur les forêts. A cela s’ajoutent nos activités anthropiques au cœur de son habitat, l’écosystème forestier éprouve alors des difficultés à se réguler, cela même sans une gestion active de notre part.
La préservation des forêts alpines ne se restreint pas à des engagements locaux; elle s’inscrit plus largement dans les enjeux de préservation des écosystèmes forestiers à l’échelle internationale, eux-mêmes aux prises de leurs propres enjeux. Cela nous invite à questionner la gouvernance mondiale dans la lutte contre le changement climatique et nos modèles de société et de consommation.
Ce changement de paradigme se fait certes à l’échelle individuelle, mais c’est surtout à l’échelle collective que les impacts seront les plus importants.
Photo 6. Photo du groupe CCST (manquant 3 de ses étudiant·e·s) avec l’enseignant-chercheur Mikaël CHAMBRU et l’anthropologue Marion PICARD, au Refuge le Lindion (Photographe: Rémi)
Par ordre de passage,
rédigé par Lucas MOTTE-MICHELON, Jade MICHAT puis Amandine CASTEX
Bibliographie
[1] Food and Agriculture Organisation of the United Nations. FAO Knowledge Repository 2020. Terms and Definitions.pdf
[2] Observatoire National de la Biodiversité. 2024. La biodiversité des forêts françaises - Les suivis de l’Observatoire national de la biodiversité. Office Français de la Biodiversité p.7. https://www.ofb.gouv.fr/sites/default/files/Fichiers/Plaquettes%20et%20rapports%20instit/PublicationONB_forets.pdf
[3] Observatoire des forêts françaises. 2025. Obligation de presentation du PSG pour les forêts de plus de 20 ha. République française. https://observatoire.foret.gouv.fr/actualites/obligation-de-presentation-du-psg-pour-les-forets-de-plus-de-20-ha
[4] V. Albouy, E. Darrouzet. 2020. Architectes du monde animal. Quæ p.43-44. https://librairie.cnpf.fr/produit/277/9782759232154/architectes-du-monde-animal
[5] IGN. 2023. Inventaire forestier national - Momento Edition 2023. Changer d’échelle. https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/memento_2023.pdf
[6] Office National des Forêts. Infographie : la “forêt mosaïque”, une nouvelle sylviculture face au changement climatique. Vivre la forêt. https://www.onf.fr/vivre-la-foret/+/8e4::infographie-la-foret-mosaique-une-nouvelle-sylviculture-face-au-changement-climatique.html
[7] Association pour le Développement du Festival International de Géographie. 2024. Dans la forêt lointaine, on entend… les forestiers. Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges. https://fig.saint-die-des-vosges.fr/dans-la-foret-lointaine-on-entend-les-forestiers/
[8] Interview avec Albert Maillet & Dominique de Villebonne. 2021. “Pour le forestier, renouveler la forêt est le 1er critère de gestion durable des forêts publiques". ONF. https://www.onf.fr/onf/%2B/ace::sassurer-que-le-forestier-renouvelle-la-foret-est-le-1er-critere-de-gestion-durable-des-forets-publiques.html
Ministère de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche. 2024. Forêt : sauver notre meilleure alliée face au climat. Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique. https://www.adaptation-changement-climatique.gouv.fr/dossiers-thematiques/milieux/foret
Marie Privé. 2024. La forêt au défi du changement climatique. CNRS Le journal. https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-foret-au-defi-du-changement-climatique-0