Reconnaissance faciale avec masque : vers une capitulation sociale ?

Publié par Nadege Friess, le 15 février 2022   1.1k

Reconnaissance faciale avec masque : vers une capitulation sociale 

Yannick Chatelain :  Professeur Associé Digital / IT, GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)

Le développement de la reconnaissance faciale avec masque marque une étape inquiétante dans la surveillance de masse.

Mai 2020 : les premiers pas chaotiques vers la reconnaissance « masquale »

Nombreux sont ceux qui se souviennent de la mise en place chaotique de la reconnaissance « masquale » notamment à Cannes et à la station Chatelet les halles ou six caméra HD avaient été placées à des endroit stratégiques, des endroits bien éclairés ou le flux des personnes ne pouvaient s’effectuer que dans un seul sens (escalator). L’objectif déclaré était alors de produire des données relatives au port du masque et à la distance sociale afin d’éclairer les décisions politiques. La CNIL avait alors été informée à titre indicatif (sic), les acteurs de cette mise en place arguant que sans stockage ni d’image ni de données, le dispositif était ipso facto conforme à la législation européenne.

Juin 2020 : les expérimentation mises en pause

Pour autant, nonobstant ce déploiement auto-déclaré respectueux du droit, des libertés publiques et de la législation, en juin 2020 l’expérimentation avait été mise sur pause et pour cause… Outre ses recommandations multiples, la CNIL avait signifié l’impérieuse nécessité que l’usager puisse exercer son droit d’opposition jugeant que « faire non de la tête » était « une modalité d’opposition insuffisante et peu pratique ».

C’est un euphémisme politiquement correct, le qualificatif le plus juste sur cette possibilité d’opposition généreusement offerte eut été de mon point de vue grotesque. L’expérimentation avait alors cessé, le temps que le prestataire, la startup Datakalab trouve une modalité d’opposition plus sérieuse. La CNIL s’inquiétait et alertait par ailleurs sur « le risque de généraliser un sentiment de surveillance chez les citoyens, de créer un phénomène d’accoutumance et de banalisation de technologies intrusives… »

Mars 2021 : fin du débat par décret

L’alerte aura été donnée et n’aura nullement empêché qu’en mars 2021 un décret mette fin à tout débat en autorisant les caméras intelligentes de détection de masque dans les transport en commun, sans grande garantie de respecter les demandes répétées de la CNIL enjoignant les pouvoirs publics « de ne pas pérenniser ces outils dans les lieux publics ou ouvert au public »

De la reconnaissance masquale à la reconnaissance faciale avec masque il n’y avait qu’un pas… ce pas a été franchi avec la nouvelle version d’IOS.

2022 : de la reconnaissance « masquale » à la reconnaissance faciale avec masque, la banalisation en ligne de mire

C’est fait, le face ID de l’iOS 15.4 permet désormais l’identification faciale avec les masques, ce que le site Frandroid qualifie avec un bel enthousiasme de « petit miracle de Noël en retard.

Je serai pour le moins plus réservé et circonspect sur la notion de miracle concernant une évolution qui pourrait se révéler aussi inquiétante que dangereuse, et ce à plus d’un titre. Pour ceux qui ne verraient que des avantages au regard de nos deux dernières années masquées, cette fonctionnalité instaure insidieusement le port du masque comme la norme… appelée à se pérenniser. Adieu non pas « veau, cache, cochon, couvée » mais « visage sans masque, poignée de mains, embrassades, accolades » ?  Quant à favoriser le phénomène d’accoutumance et de banalisation de ces technologies intrusives que j’évoquais, la CNIL peut dormir intranquille… Quoi de plus efficace, pour poser les jalons d’une acceptation sociale, que de laisser les citoyens adopter cette technologie à titre privé… avant de la trouver normale et d’une banalité déconcertante dans l’espace public…

Le monde de demain devra-t-il avancé masqué ?

Ce qui est certain est que cette fonctionnalité semble faire le pari de ce monde-là… un monde où le port du masque ne serait alors plus l’exception mais la règle. Cette avancée et prouesse technologique ouvre naturellement une nouvelle porte à la vidéosurveillance qui se déploie sur les lieux publics…

Au rythme auquel continue de s’imposer le capitalisme de la surveillance comme modèle apte à se substituer au capitalisme traditionnel, la question peut dès lors légitimement se poser : quand passerons-nous de la surveillance masquale autorisée dans les transports en commun à la reconnaissance faciale par-delà l’usage d’un masque ? Cela sera-t-il post pandémie ? Cela sera-t-il la prochaine étape qui sera franchie pour surveiller l’espace public ? Comme je le signalais dans un précédent article –  compte tenu du peu de cas fait aux recommandations et multiples alertes de la CNIL je ne pense pas dépeindre un scénario fantasque et utopique… Après tout, pourquoi moins vidéosurveiller les citoyens moins quand on dispose désormais de technologies permettant de les surveiller toujours davantage ?

Enfin et pour ceux qui ne l’auraient pas noté, ce port du masque supposé nous protéger les uns des autres et qui reste controversé à propos de son usage systématique à l’extérieur,  (cf. étude publiée fin avril 2021 dans thebmj) s’il devait devenir la norme, il n’est pas sans rappeler Iwazaru (言わ猿) le muet, le troisième singe de la sagesse ! Mais peut-être dans l’époque techno fascinée que nous traversons est-ce la sagesse que de ne rien dire, ne rien voir et ne rien entendre.

Par :Yannick Chatelain

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Retrouvez l'article original publié sur Contrepoints le 9 février 2022