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Réunir relativité générale & mécanique quantique : L’enjeu de la physique théorique du 21ème siècle pour comprendre les mystères de l’univers

Publié par Robin Gaillard, le 11 juillet 2018   21k

Vous avez sûrement déjà entendu parler de relativité. Son père fondateur, Einstein, est souvent considéré comme le plus grand génie du vingtième siècle. La mécanique quantique, de son côté, est certainement parvenue à vos oreilles comme une véritable révolution en physique des particules. Si leur notoriété semble sur un pied d’égalité, les deux théories ne jouent pourtant pas dans la même cour. La relativité permet de décrire les objets infiniment grands tandis que la mécanique quantique s’en tient à l’infiniment petit . « Chacun chez soi et les moutons seront bien gardés », pourrait-on penser. Seulement c’est plus compliqué que cela… Aux origines de notre univers, infiniment petit et infiniment grand ne faisaient qu’un et cohabitaient au sein d'un enclos commun. Et c’est précisément cet enclos qui demande aux scientifiques de mélanger les règles de la mécanique quantique à celles de la relativité, afin de comprendre l’origine de notre univers. Le problème, c’est que c’est encore loin d’être gagné.

La physique théorique pour résoudre la complexité de l’univers ?

Une théorie scientifique a de fascinant qu’elle expliquera toujours le monde sous un angle qui lui est propre, selon ses vérités et avec plus ou moins de précision. La modernité est, au fond, seule juge du degré de précision attendu chez une théorie scientifique. On dit que la relativité est une meilleure théorie que la mécanique de Newton uniquement parce que l’avancée technologique et scientifique nous permet d’attendre plus de précision de la part de la physique. Se désintéresser d’une théorie car elle paraît dépassée est une réaction assez normale, mais c’est pourtant mettre de côté tout un aspect de la science. Sans doute que la mécanique classique, étudiée au lycée, vous parait beaucoup moins sexy que la relativité générale, mais il faut avoir en tête que cette dernière pourrait à son tour perdre son mojo au profit d’une théorie expliquant de manière plus satisfaisante notre univers. Il se peut que dans cent ans, la relativité soit devenue ennuyante et dépassée. La soif d’une compréhension toujours plus complexe de l’univers, que va tenter de satisfaire cet article, ne devrait pas être un appel à délaisser les théories moins à la page. Ces dernières sont le fondement de la connaissance scientifique et permettent de mieux comprendre le raisonnement des théories actuelles.

Relativité générale et mécanique quantique, entre paradoxe et schizophrénie

Tenter de résumer une théorie scientifique, c’est un peu comme vouloir décrire l’œuvre d’un artiste comme Booba. Si l’on veut parvenir à faire comprendre tout ce qui constitue le sujet, son héritage ou encore les différentes interprétations qu’il suscite, cela ne va pas se faire en quelques lignes. Le mieux est souvent de se plonger dans la littérature de l’un ou dans la discographie de l’autre. Néanmoins, on peut se rattacher à quelques concepts, quelques punchlines, pour tenter de cerner la chose.

« La gravitation est une déformation de l’espace-temps ». « Il est impossible de connaître simultanément la vitesse et la position d’une particule quantique ». S’il y avait deux punchlines à retenir pour la relativité générale et pour la mécanique quantique, ce serait sûrement celles-ci. Bien sûr, énoncées ainsi, elles ne sont pas forcément très explicites et méritent d’être déconstruites.

La gravitation est une déformation de l’espace-temps

Concept fondamental de la relativité d’Einstein, l’espace-temps permet de décrire notre univers selon quatre dimensions : trois dimensions d’espace et une dimension de temps. De cette manière, le temps et l’espace sont étroitement liés : le temps peut influencer sur l’espace et inversement. Dit comme ça, cela ne paraît pas forcément évident. C’est pourtant en partant de ce concept qu’Einstein va mettre en place la théorie de la relativité restreinte.

L’enjeu de la relativité restreinte est de conserver une vitesse de la lumière constante quelle que soit le référentiel

Cette théorie émerge de la contradiction entre deux principes physiques : le principe de relativité et la loi de propagation de la lumière. Le premier énonce que les lois de la physique restent inchangées quel que soit le référentiel galiléen dans lequel on se place. Einstein s’est alors penché sur une loi bien particulière : la loi d’addition des vitesses. Cette loi explique que par exemple, si une taupe observe un train rouler à une vitesse de 120km/h (33m/s), dans lequel un pingouin glisse à une vitesse de 8km/h dans le même sens, la taupe verra le pingouin bouger à une vitesse de 128km/h. D’après le principe d’inertie, ce constat doit donc toujours être valable dans le cas de référentiels galiléens. Un problème apparaît lorsque l’on remplace le pingouin par un faisceau de lumière. Si on oublie le fait que la taupe soit myope et que le faisceau passe trop vite pour que l’on puisse percevoir une quelconque variation, la taupe devrait voir le rayon passer à une vitesse de :

300 000 000 m/s (vitesse de la lumière) + 33 m/s (vitesse du train) = 300 000 033 m/s

Pour la taupe, le rayon de lumière est censé passer à 300 000 033 m/s d'après la loi d'addition des vitesses

La contradiction vient alors avec la loi de propagation de la lumière : la vitesse de la lumière doit être constante quel que soit le référentiel. Autrement dit, la taupe doit observer des vitesses identiques pour un laser émis depuis le train que pour un laser émis depuis le quai. Et ce quel que soit la vitesse du train. Or ici on voit bien que la vitesse de la lumière n'est pas constante : du point de vue du train elle est de 300 000 000 m/s alors que du point de vue de la taupe elle est de 300 000 033 m/s.

Face à ce paradoxe, les scientifiques se sont demandés s’il ne faudrait pas abandonner le principe de relativité. À moins qu’il ne faille mettre à la poubelle la loi de propagation de la lumière. En fondant la théorie de la relativité restreinte, Einstein va démontrer qu’il n’est nécessaire de jeter ni l’un ni l’autre. Pour cela, il va élaborer ce que l’on appelle les transformations de Lorentz, du nom de son collègue physicien Hendrik Lorentz, ayant également grandement contribué à la relativité restreinte. Ces transformations, purement mathématiques à la base, ont pour but d’ajuster les variables de l’espace-temps (durées et longueurs) afin de compenser les écarts entre la loi d’addition des vitesses et la loi de propagation de la lumière. Concrètement, les transformations de Lorentz nous disent que dans le cas évoqué ci-dessus, la taupe va percevoir un train plus petit qu’il ne l’est réellement (contraction des longueurs) alors que le temps va s’écouler plus rapidement dans le référentiel de la taupe. Le faisceau émis depuis le train parcourt une distance plus courte en un temps plus grand : la vitesse du faisceau est ainsi réduite de manière à ce qu’elle reste constante quel que soit le référentiel, CQFD.

Avec les transformations de Lorentz, les physiciens ont réalisé un ingénieux tour de passe-passe

Cela semble bien marcher, mais a-t-on vraiment le droit de changer l’écoulement du temps comme bon nous semble pour satisfaire la physique théorique ? Dans le cas de la relativité la réponse est positive, les expériences ont prouvé que la vitesse entre deux référentiels influe sur la perception du temps : on dit que le temps n’est pas absolu.

La relativité restreinte a de restreinte qu’elle ne peut s’appliquer que dans un référentiel dit galiléen ou inertiel, c’est-à-dire un monde où l’on considère uniquement des objets en mouvement rectiligne uniforme : on ne prend pas en compte les accélérations, les changements de direction ou encore les rotations. Vous la voyez arriver cette force qui peut causer des accélérations, des changements de direction ou encore des rotations au niveau de l’infiniment grand ? Je vous le donne en mille : il s’agit du deuxième concept-phare de notre punchline : la gravitation. Afin d’appliquer les concepts de la relativité restreinte à l’échelle de notre univers, en partie régi par la gravitation, Einstein va donc élaborer une deuxième théorie : la relativité générale. Cette dernière va complètement bouleverser l’idée qu’on se faisait à l’époque de la gravitation : une simple force s’exerçant entre deux objets massifs. La relativité générale voit en cette force le fruit d’une déformation de l’espace-temps : les planètes, étoiles et autres objets célestes viennent « appuyer » sur l’espace-temps qui peut être vu un comme un drap tendu sur lequel on vient placer des objets. Plus les objets sont lourds, plus cela va déformer le drap. À partir de là, on visualise assez bien comment peut fonctionner la gravitation : si l’on place une bille sur le drap : celle-ci va entrer en mouvement à cause des courbures causées par d'autres objets sur le drap : les objets massifs « attirent » les plus petits.

La relativité prévoit donc un espace-temps dynamique : il n’est pas uniforme et peut être modifié par les objets massifs. Cela change totalement la vision proposée par la mécanique de Newton, où les objets célestes prenaient place dans un univers ne jouant aucun rôle dans la grande chorégraphie des planètes. Avec Einstein, on dit souvent que « la scène disparaît et devient l’un des acteurs ». Cette petite révolution va contribuer à améliorer les prédictions – déjà très justes – de Newton dans les endroits de notre univers où la gravitation est très intense. Les calculs de la trajectoire de Mercure autour du Soleil, où la gravitation est particulièrement élevée, sont par exemple devenus beaucoup plus précis en prenant en compte la relativité générale. En plus de ces rectifications astronomiques, cette théorie va également prédire l’existence d’objets inconcevables jusque-là avec la mécanique newtonienne : les trous noirs ainsi que les ondes gravitationnelles.  

Il est impossible de connaître simultanément la vitesse et la position d’une particule quantique

On a ici une des formulations du principe d’Heisenberg. Si Walter White semble briller lorsqu’il est question de cristaux dans Breaking Bad, son mentor à qui il doit son surnom a resplendi dans l’étude de l’infiniment petit. Werner Heisenberg est en effet l’un des pères-fondateurs de la mécanique quantique et son principe, aussi appelé principe d’incertitude, pourrait presque à lui seul résumer ce domaine. Il présente en une phrase tout le paradoxe et la contre-intuitivité qui définissent cette théorie : le concept de « trajectoire » n’existe pas en mécanique quantique. Parce qu’au fond une trajectoire n’est rien d’autre que la combinaison de la vitesse (comprenant la direction et le sens) et de la position. Si l’un de ces deux paramètres vous manque, impossible de calculer une trajectoire ! En mécanique quantique le problème n’est pas que l’on n’arrive pas à accéder à ces grandeurs physiques, non, il est tout à fait possible de mesurer la vitesse ou la position d’une particule. Le problème est qu’il est foncièrement impossible d’obtenir la vitesse ET la position d’une particule en même temps. D’ailleurs, plus une des deux propriétés sera calculée avec précision et plus la mesure de l’autre sera indéterminée.

Heisenberg se débarassant du concept de trajectoire pour mettre au point la mécanique quantique.

C’est cette dualité (dois-je mesurer la vitesse au dépend de la position ? Ou inversement ?), à la limite de la schizophrénie, qui définit sans doute le mieux la mécanique quantique. On la retrouve en effet un peu partout, comme par exemple lorsque Louis de Broglie dépose une thèse sur la dualité onde-corpuscule (ce qui lui a valu au passage le prix Nobel de physique en 1929). Si Einstein avait émis l’hypothèse qu'il existe des particules constituant la lumière (les photons), De Broglie va aller plus loin en avançant que toute particule peut se comporter à la fois comme un corpuscule et comme une onde. Cela sera vérifié par sa célèbre expérience sur les électrons. Si cette dualité constitue une bonne interprétation de la mécanique quantique, elle reste tout de même en retrait des problèmes de fond qu’a pu rencontrer cette théorie.

L’école de Copenhague, sans doute une des dreamteam les plus marquantes de l’histoire de la physique moderne, va proposer une schizophrénie bien plus satisfaisante. Composée de chercheurs tels que Niels Bohr, Max Born ou encore Werner Heisenberg, ce courant de pensée va parler d’états superposés. Ces états superposés sont liés aux propriétés quantiques des particules élémentaires qui composent notre matière. Il faut bien entendre par « quantique » le fait qu’une propriété ne soit pas continue, elle ne peut prendre que certaines valeurs déterminées et indivisibles : des quantas. Ainsi, la position d’un électron est quantique : cette particule de la catégorie des leptons ne peut pas se trouver n’importe où dans un atome mais seulement à des endroits bien précis. Il en est de même pour ce qui est du spin d’une particule, une autre propriété quantique. Assimilable au moment angulaire (aussi appelé moment cinétique, dépendant de la vitesse rotation de la particule sur elle-même), le spin ne peut prendre qu’un nombre assez réduit de valeurs. Petit bémol cependant, les physiciens ont démontré que les particules ne peuvent pas tourner sur elles-mêmes. Mais le seul moyen de se représenter le spin reste de le voir comme un mouvement angulaire. Schizophrénie a-t-on dit ?

Pour résumer, la mécanique quantique prévoit des propriétés discrètes aux particules élémentaires : ces dernières ne peuvent prendre qu’un nombre réduit de valeurs. Malgré quelques détails qui apparaissent comme des contradictions, la mécanique quantique reste concevable jusque-là n’est-ce pas ? Mais vous avez sans doute remarqué que l’on n’a toujours pas parlé d’états superposés… Et c’est là où les choses peuvent paraître totalement absurdes. L’école de Copenhague interprète les équations mathématiques de la mécanique quantique grâce à ces fameux états superposés. L’idée est que les propriétés quantiques des particules élémentaires peuvent prendre plusieurs états en même temps. Par exemple, le spin d’un électron, qui peut prendre deux valeurs, peut se trouver dans un état superposé de ces deux valeurs, l’une étant considérée comme positive et l’autre étant négative.

Dur d'imaginer un objet dans des états superposés..

Si on voulait emprunter un chemin un peu simpliste, on dirait que le spin de l’électron est à la fois négatif et positif. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que cette superposition d’état est ce qu’on appelle une fluctuation probabiliste : le spin des électrons n’est ni vraiment positif, ni vraiment négatif : il se trouve dans un état indéterminé.

L’expérience du désormais célèbre chat de Schrödinger (un article particulièrement bien écrit est à lire ici pour mieux comprendre l'expérience) est souvent abordée à ce stade, mais son usage pour illustrer la superposition des états est parfois extrapolé. Le principe est de créer un lien de causalité entre la désintégration d’un atome et la mort du chat. Pour ce faire, tout un dispositif de réactions en chaine est mis en place : lorsque l’atome se désintègre, les particules émises déclenchent la libération d’un poison mortel dans la boite dans laquelle est contenu le chat. Cette expérience de pensée repose sur le fait que la désintégration de l’atome suit les règles des propriétés quantiques énoncées plus haut, et qu’elle peut donc se trouver dans une superposition d’état. Le raccourci opéré ici, et qui devient donc un biais de vulgarisation, est de dire que la particule est à la fois désintégrée et à la fois non-désintégrée. À partir de là, on peut dire que le poison a été à la fois libéré et non-libéré, que le chat est à la fois mort et à la fois vivant. Le problème est que la superposition d’état n’est qu’une fluctuation probabiliste ! L’atome se trouve dans un état indéterminé, ce qui est difficilement applicable au chat.

Si elle était applicable à l'échelle macroscopique, la superposition des états satisferait bien des chats

L’expérience illustre néanmoins très bien le paradoxe de la mécanique quantique et soulève un autre concept fondamental : celui de la mesure quantique. Selon Niels Bohr, un état reste indéterminé tant que l’on n’a pas tenté de mesurer les propriétés quantiques de la particule en question. C’est seulement une fois qu’une mesure est effectuée qu’un des états est choisi, de manière aléatoire. Pour l’école de Copenhague, mesurer c’est donc attribuer une valeur, il y aurait une interaction directe entre l’appareil de mesure et les grandeurs physiques, que l’on appelle dans ce cas des observables. L’observateur est en quelques sorte le facteur qui viendrait à bout de la schizophrénie de la mécanique quantique, agissant directement sur le monde de par sa nature en ôtant toute dualité.

Une théorie de l’unification pour comprendre l’univers 

On se retrouve donc avec deux théories qui n’ont vraisemblablement rien en commun et n’ont aucune vocation à être mélangées. D’un côté nous avons une relativité avec un espace-temps continu, permettant de décrire la gravité, tandis que de l’autre, un monde discret pour comprendre le fonctionnement des particules élémentaires.

Comme évoqué au début de cet article, il y a un enjeu de taille à réconcilier ces deux théories. Au sein de notre univers, il y a eu des moments et il y a des endroits où l’infiniment grand et l’infiniment petit étaient/sont totalement confondus. Un moment intrigue particulièrement les chercheurs : l’origine de l’univers. Cette période dont on ne connaît presque rien et où toute la matière était concentrée dans un volume extrêmement réduit. Les équations d’Einstein prévoient pour cet instant, le Big Bang, une température et une densité infinie : c'est ce qu'on appelle une singularité. Il est très difficile d’étudier une singularité, dont les trous noirs font partie. La température et la densité y sont tellement élevées que la relativité générale et la mécanique quantique ne fonctionnent plus. Seule une combinaison entre ces deux théories peut permettre de comprendre ce qu’il se passe réellement dans les trous noirs et au-delà du Mur de Planck : cette période ayant eu lieu quelques fractions de secondes après l’origine de notre univers et durant laquelle les quatre interactions fondamentales étaient unifiées.

Ces quatre forces fondamentales sont la force gravitationnelle, l’électromagnétisme, l’interaction nucléaire faible et l’interaction nucléaire forte. Chacune agit avec plus ou moins d’importance à son échelle : l’interaction nucléaire forte est dominante au plus petit niveau de la matière connu à ce jour : elle permet de maintenir les particules constituant les protons et les neutrons (les quarks) entre-elles. L’interaction nucléaire faible assure de son côté la bonne cohésion du noyau d’un atome : sans elle, les neutrons et protons s’éparpilleraient. Ce n’est qu’à partir de l’interaction électromagnétique que l’on peut commencer à percevoir des conséquences macroscopiques : cette force concerne les particules chargées électriquement et est responsable des champs magnétiques. Pas besoin d’expliquer la gravitation, vous avez compris que c’est une force agissant à cause de la masse de deux objets. La notion d’échelle n’ayant pas vraiment de sens au sein des singularités puisque toute la matière y forme un grand amas désordonné, on peut apercevoir pourquoi les quatre interactions y sont confondues.

La question est maintenant de savoir à quoi sont dues ces forces ? Ou du moins qu’est ce qui fait que ces interactions existent ? Pour les trois premières citées, c’est un type de particule bien précis qui en est la cause : les bosons de jauge. Une force se caractérise par un échange de boson de jauge entre les deux particules qui interagissent. Chaque force a son boson associé : le gluon pour l’interaction nucléaire forte, les bosons W et Z pour l’interaction faible et les photons pour l’électromagnétisme. C’est là qu’on se rend compte que la gravitation semble être une force un peu différente des trois autres. On a vu que pour Einstein, il s’agit d’une déformation de l’espace-temps. Pas de boson de jauge a priori… Or ceux-ci permettent aux trois autres interactions d'être compatibles avec les concepts de la mécanique quantique. On dit que l’on procède à une quantification pour passer de ces interactions à leur version quantique. Ce procédé a permis d’établir le cadre théorique le plus solide et le plus vaste de la physique des particules : le Modèle Standard. Ce modèle décrit avec une grande précision les différentes particules et interactions de notre univers. Le fait que la gravitation n’entre pas dans ce modèle induit un doute sur tous les savoirs actuels : est-ce que la gravitation correspond vraiment à la vision que l’on a d’elle ? Le Modèle Standard est-il fiable ? Un peu à l’image de la contradiction entre le principe de relativité et la loi de propagation de la lumière, il semblerait qu’une des deux théories doivent être complètement revue… Pourtant, comme Einstein l’avait fait, il est fort probable que la solution émerge d’un tour de passe-passe ingénieux, permettant de concilier relativité générale et mécanique quantique sans avorter l’une ou l’autre.  

Pour réussir à réunir mécanique quantique et relativité générale, il faudrait réussir à quantifier la gravité. Le problème est que c’est assez compliqué...

Gravité quantique à boucles et théorie des cordes

L’apothéose de ce tour de passe-passe n’étant pas encore totalement ficelé, ce sont quelques pistes que les scientifiques étudient. Ces dernières années, deux pistes se sont concrétisées en véritables théories, pas encore vérifiées empiriquement, mais tangibles sur le plan mathématique. L’une répond au nom barbare de « gravité quantique à boucle », tandis que l’autre se présente poétiquement sous l’intitulé « théorie des cordes ».  Elles représentent à elles-deux les meilleures chances pour réunir relativité générale et mécanique quantique pour expliquer les faits les plus extrêmes de notre univers.

L’espace-temps est fait de briques élémentaires

Une des affirmations fortes de la gravité quantique à boucle est de dire que notre univers, ou du moins l’espace-temps, est constitué de petites briques élémentaires qui, vous l’aurez deviné, suivent les lois de la mécanique quantique. Des atomes d’espace en quelque sorte. Bien sûr, c’est un peu plus compliqué que cela, mais voilà l’idée. Ces unités indivisibles s’agenceraient sous la forme de ce qu’on appelle un réseau de spin, une construction très mathématique, mais dont les intersections contiendraient ces « atomes d’espace ». De cette manière, l’espace-temps n’est plus quelque chose de lisse et continu : l’univers tout entier serait en fait quantique et pourrait prendre différentes valeurs discrètes grâce à ces briques élémentaires. Une fois cet espace-temps quantifié, quelques pirouettes mathématiques suivant un protocole très précis, appelé programme de Dirac, permettent d’aboutir à une quantification de la gravitation.

L’univers serait en fait composé de briques élémentaires prenant la forme de réseaux de spin

Tous ces concepts sont bien jolis, mais comment les vérifier empiriquement, avec des observations ? En fait, la gravitation quantique à boucle prévoit une distance minimale indivisible dans notre univers : une longueur quantifiée à partir de laquelle plus aucun zoom n’est possible : la distance de Planck. Celle-ci est cent milliards de milliards fois plus petite que la taille d’un proton et correspond plus ou moins à la taille d’un de ces atomes d’espace. Une des manières d’affirmer ou d’infirmer la théorie de la gravité quantique à boucle serait donc de réussir à observer expérimentalement quelque chose à cette échelle, ce que nous sommes encore loin d’être capable.

À cette distance minimale vient s’ajouter une densité maximale : la densité de Planck (encore lui). À partir de 5x1096 kilogrammes de matière par mètre cube, cette théorie nous dit que les particules ne peuvent plus se serrer indéfiniment. C’est précisément ce constat qui apporte des éléments de réponse et ouvre la voie à une nouvelle discipline : la cosmologie quantique à boucle. Cette application de la gravitation quantique à boucle à l’échelle du cosmos nous renseigne énormément sur ce que la relativité générale désignait comme des singularités. Rappelez-vous ces endroits ou moments où la densité et la température doivent être infinies selon les équations d’Einstein. Cette cosmologie tire un trait sur ces singularités puisqu’une densité maximale existe : la densité de Planck. En suivant ce postulat, les chercheurs sont arrivés à certaines hypothèses concernant le Big Bang et les trous noirs. Dans ce cadre théorique, il faudrait plutôt voir le Big Bang comme un « Big Bounce » : un univers qui a rebondit sur lui-même, une phase de contraction précédant une phase d’expansion. Il en est un peu de même pour les trous noirs : il faudrait voir ces objets célestes comme des étoiles en rebond (étoiles de Planck). Les trous noirs se contracteraient, amasseraient un maximum de matière jusqu’à atteindre la densité maximale de Planck, stade auquel le rebond s’opérerait et le trou noir passerait dans une phase de dilatation, dans quel cas on parlerait plutôt de « trou blanc » puisque ce dernier rejetterait toute la lumière et matière qu’il aurait emmagasinées jusque-là.  Pourtant nos télescopes n’ont jamais observé de trous blancs…. Et la raison à cela pourrait être liée à la relativité. Les trous noirs étant des objets tellement denses, la gravitation y est incroyablement élevée. Or en relativité générale, la gravitation déforme l’espace-temps. Comme en relativité restreinte, le temps ne s’écoule pas de la même manière en fonction du référentiel dans lequel on se place. A proximité des trous noir, ce qu’on appelle le potentiel gravitationnel est énorme : le phénomène de dilatation du temps est donc extrême. Il est donc fort probable que la dilatation du temps soit telle que si la période de contraction d’un trou noir dure un milliard d’année dans son référentiel propre, elle paraisse durer plus longtemps que l’âge de notre univers depuis la Terre.  

L’univers est constitué de dix dimensions  

Un univers avec quatre dimensions vous semble déjà peu intuitif ? Que diriez-vous de rajouter six dimensions spatiales ? C’est le pari de la théorie des cordes pour unifier mécanique quantique et relativité générale.

Bien sûr, ces dimensions ne sortent pas de nulle part et c’est d’ailleurs ce qui fait la force de cette théorie : un formalisme mathématique impressionnant. Dans le cas de la théorie des cordes, les équations ne mentent pas : il faudrait un univers avec une dimension de temps et neuf dimensions d’espace pour parvenir à quantifier la gravité (et oui, toujours le même combat) sans anomalies.

La spécificité de la théorie des cordes est de considérer, comme son nom l’indique, non pas des particules sphériques comme particule indivisibles mais plutôt des cordes à une seule dimension. Ces petites cordes seraient vibrantes et ce serait la manière dont elles vibrent qui définirait une particule et ses attributs comme le spin ou la masse. La théorie prévoit des cordes ouvertes ou fermées qui, en fonction de leur configuration, vont donner naissance à des électrons, protons, quarks…

La théorie des cordes rejette l'idée que les particules soient les plus petits constituants de la matière. À la place : de petites cordes qui vibrent

Le problème avec ces cordes, c’est que dans un espace à trois dimensions spatiales, la théorie rencontre ce qu’on appelle des anomalies : le passage de l’état classique à l’état quantique ne se fait pas correctement. C’est donc pour palier à ses anomalies que la théorie des cordes a pensé notre univers avec neuf dimensions d’espace. Pour être plus précis, ce n’est pas à proprement parler notre univers qui est en neuf dimensions, mais seulement des petits objets éparpillés un peu partout dans ce dernier. Les dimensions de ces objets sont très petites et repliées sur elles-mêmes de manière à obtenir une dimension finie. Au final, le concept n’est pas si compliqué : l’espace tel qu’on le connait dispose de trois dimensions dites infinies puisque les trois axes décrivant l’univers ne semblent pas avoir de fin. En revanche si l’on prend un objet comme une sphère, ses parois ne sont pas finies et on peut très bien les choisir en tant que nouvelle base d’un repère. Là où ça se complique, c’est qu’il faut trouver un objet à six dimensions finies, qui viendront s’ajouter aux trois dimensions infinies de l’espace. Ce travail est celui des mathématiciens, qui ont pensé un objet, appelé espace de Calabi-Yau, qui répond à ces critères. C’est dans les six-dimensions de cet espace de Calabi-Yau que les cordes vont alors vibrer : leur vibration ne se ressent pas directement dans les dimensions que l’on perçoit. Les limites de cette théorie sont nombreuses, notamment parce qu’il est difficile de vérifier expérimentalement les conséquences de la théorie des cordes. Un moyen de vérification serait d’observer des particules de la supersymétrie, un concept nécessaire à la théorie des cordes et qui prévoit de doubler le nombre de particules connues du Modèle Standard en associant à chacune d’entre elles un superpartenaire.

Exemple de représentation d'un espace de Calabi-Yau

Encore une fois il est difficile d’estimer quand est-ce que les moyens technologiques permettront de nous dire si la théorie des cordes semble plus fiable ou plus précise que la gravitation quantique à boucle. Peut-être assisterons-nous à une nouvelle révolution de la physique, avec l’arrivée sur le tapis de Big Bounce, de trous blancs ou encore de six nouvelles dimensions. Dans tous les cas, on peut déjà se satisfaire de ces avancées scientifiques et apprécier la physique théorique comme un regard riche et critique sur l’univers qui nous entoure.


Crédits visuel principal : Olena Shmahalo/Quanta Magazine