TOF-Lohengrin : un nouvel instrument pour améliorer la sureté nucléaire
Publié par Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC), le 5 juin 2025 140
Des chercheurs du Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC) et du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) développent un nouveau détecteur, le TOF-Lohengrin, pour affiner l’analyse des produits de fission avec une précision inédite. Levons le voile sur la fission et ses enjeux.
Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude 9 suivi d’un tsunami frappe la centrale nucléaire de Fukushima. L’arrêt brutal des réacteurs met hors service les systèmes de refroidissement, y compris ceux des piscines de stockage du combustible. La vague entraîne la panne des pompes de secours, empêchant l’évacuation de la chaleur résiduelle. Malgré l’arrêt des réacteurs, les cœurs fondent. Parmi les éléments relâchés, les produits de fission volatils comme l’iode ou le césium provoquent de lourdes conséquences environnementales et sanitaires.

Cœur d’une centrale nucléaire
La radioactivité, une énergie puissante à apprivoiser
L’électricité que nous utilisons chaque jour provient en grande partie de centrales nucléaires. Ces installations reposent sur un phénomène naturel encore largement étudié : la fission nucléaire. Si ses principes généraux sont bien connus, de nombreuses zones d’ombre subsistent, notamment sur les mécanismes fins qui se jouent au cœur de la matière.
La fission est le processus par lequel un noyau lourd, comme l’uranium 235, se divise en deux fragments plus légers, libérant de l’énergie et des neutrons. Dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) – majoritaires en France –, cette énergie chauffe de l’eau, produisant de la vapeur pour alimenter des turbines.

Fission d'un noyau lourd par un neutron, libérant de l’énergie et créant 2 noyaux plus légers et d’autres neutrons.
Mais même après l’arrêt du réacteur, la puissance résiduelle, due aux produits de fission radioactifs encore actifs dans le cœur, doit impérativement être évacuée. En effet elle équivaut encore, pendant plusieurs heures, à la puissance nécessaire pour faire fonctionner plus de 2000 sèche-cheveux en continu. D’où l’importance de comprendre précisément la nature et le comportement de ces produits de fission, dès leur apparition.
Lohengrin et le défi de la précision
Pour mieux caractériser ces produits, des instruments de très haute précision sont nécessaires. C’est le rôle du spectromètre Lohengrin, un appareil unique en Europe, installé à l’Institut Laue-Langevin (ILL) à Grenoble. Il permet d’identifier les produits de fission selon leur rapport masse/charge, en analysant la courbure de leur trajectoire dans un champ magnétique.
Mais pour aller plus loin, les chercheurs ont récemment développé un nouvel outil complémentaire : le TOF-Lohengrin, un dispositif de Temps de Vol (Time of Flight). En mesurant le temps qu’un produit met à parcourir une distance connue, ce système permet d’accéder à sa vitesse, et donc de mieux déduire sa masse. Cela permet de déterminer avec une grande précision les taux de production de chaque type de masse, un paramètre essentiel pour tester et valider les modèles théoriques de la fission nucléaire.
Ligne de TOF installé en aval du spectromètre à l’ILL
Des résultats prometteurs pour la science et l’industrie
Les premiers essais du TOF-Lohengrin sont très encourageants. Ils démontrent une résolution temporelle remarquable et la capacité à identifier des fragments auparavant difficiles à caractériser. Cette avancée ouvre de nouvelles perspectives pour la mesure des rendements en masse, c’est-à-dire la probabilité de production de chaque fragment de fission.
Ces données sont capitales pour enrichir les bases de données nucléaires utilisées dans l’industrie nucléaire, modéliser plus finement les scénarios d’accident, développer le suivi en ligne du combustible nucléaire, ou encore explorer de nouveaux modes de fission, pour mieux comprendre les processus fondamentaux en jeu.
Une triple coïncidence pour une meilleure identification
Jusqu’à récemment, Lohengrin utilisait une double chambre d’ionisation à grille de Frisch, fondée sur une méthode ΔE × E (perte d’énergie × énergie résiduelle). Le dispositif TOF-Lohengrin ajoute une troisième dimension d’analyse : le temps de vol (TOF), soit une coïncidence ΔE × E × TOF.
Il repose sur deux détecteurs : un "start" à l’entrée de l’aimant final du spectromètre, et un "stop" à la sortie. Entre les deux, les fragments parcourent une distance précise. Le temps mesuré permet de déterminer leur vitesse, et donc leur masse.
Ce projet est issu d’une collaboration entre le LPSC, le CEA de Cadarache et l’ILL, dans le cadre d’une thèse expérimentale lancée en 2020. Il mobilise des technologies de pointe : films minces traversés par les fragments, détecteurs rapides en silicium ou diamant, simulations numériques, et ingénierie du vide.

Exemple de discrimination entre le produit de fission que l'on souhaite étudier (pic 111) et d'autres éléments
Le TOF-Lohengrin marque une étape importante dans la caractérisation des produits de fission. En alliant savoir-faire expérimental et innovation technologique, il renforce notre compréhension des phénomènes nucléaires. À l’heure où l’avenir énergétique se réinvente, ce type de recherche fondamentale s’avère plus que jamais stratégique.