VOIR A TRAVERS LE METAL : LES ELECTRODES DE DEMAIN

Publié par David Muñoz-Rojas, le 8 juin 2025   33

Grâce à la combinaison de métaux et de revêtements à l'échelle nanométrique, des chercheurs grenoblois ont développé de nouvelles électrodes flexibles, peu coûteuses, évolutives et transparentes dans les infrarouges, élargissant ainsi la gamme possible d'applications et leur commercialisation.

Il est bien connu que les métaux conduisent l'électricité, mais qu’ils sont opaques. À l'inverse, les objets transparents, tels que le verre ou les plastiques, ne conduisent généralement pas l'électricité. Nous avons pourtant besoin de matériaux qui, contrairement au métal, au verre ou au plastique, peuvent à la fois conduire l'électricité et être transparents. Pensez par exemple à l'écran tactile de notre smartphone ou de notre tablette : il s’agit d’une électrode transparente que nous utilisons tous les jours ! Les équipes du Professeur Daniel Bellet (Grenoble-INP, PHELMA) et du Dr David Muñoz-Rojas (Directeur de recherche au CNRS) au LMGP (Laboratoire des Matériaux et du Génie Physique), ont passé les dix dernières années à travailler ensemble pour développer de nouvelles électrodes transparentes basées sur des nanofils métalliques et des nanorevêtements d’oxydes en utilisant des approches peu coûteuses, écologiques et évolutives.

Pourquoi de nouvelles électrodes transparentes ?

L’ITO (en Français « oxyde d’indium-étain », un oxyde d’indium incorporant de petites quantités d’étain) est un oxyde qui combine une bonne conductivité électrique avec une haute transparence dans le spectre visible ainsi qu’une stabilité chimique. Il est donc l’électrode transparente la plus utilisée industriellement. Cependant, malgré les bonnes propriétés de l’ITO, celui-ci présente plusieurs inconvénients qui ont motivé la recherche de nouvelles électrodes transparentes. Parmi ceux-ci, on trouve la technique utilisée pour déposer le matériau (la pulvérisation cathodique, une méthode coûteuse car elle fonctionne sous vide poussé), la distribution inhomogène de l’indium dans la croûte terrestre (rendant son approvisionnement et son prix très volatils), ainsi que sa fragilité et sa faible transparence dans la région proche infrarouge du spectre (ce qui le rend inadapté aux applications flexibles et à celles nécessitant une transparence dans l’infrarouge, comme la vision nocturne). Cela a donc conduit à la recherche de nouvelles électrodes transparentes. Et parmi les candidats les plus prometteurs figurent les électrodes à base de nanofils métalliques.

Passer à l’échelle nanométrique permet d’obtenir des électrodes transparentes même en utilisant un métal. Si l’on prend l’argent par exemple — le meilleur conducteur électrique — il suffit de déposer suffisamment de nanofils d’argent de manière aléatoire sur un substrat transparent, de sorte qu’une percolation électrique soit assurée (c’est-à-dire que les électrons puissent circuler de fil en fil) d’un bord du substrat à l’autre, tout en conservant suffisamment d’espaces entre les fils pour maintenir la transparence. Il suffit d’imaginer un Mikado miniaturisé composé de baguettes métalliques ! La densité massique surfacique minimale nécessaire pour assurer la percolation électrique est appelée la densité critique. Ajouter davantage de fils améliorera la conductivité, mais au détriment de la transparence, jusqu’à ce que celle-ci soit complètement perdue et que les propriétés électriques du réseau aléatoire de nanofils — tel qu’il est appelé — se rapprochent de celles d’un morceau d’argent massif. En plus d’avoir la meilleure conductivité, il s’avère qu’il est relativement facile de synthétiser des nanofils d’argent.

Bâtonnets de Mikado dispersés aléatoirement sur une surface. La flèche noire indique un chemin de percolation possible allant d’un bord à l’autre. Les trous entre les bâtonnets permettent de voir à travers.

Triomphes et tragédies des électrodes transparentes à nanofils métalliques

L'utilisation de réseaux de nanofils métalliques permet d'avoir des électrodes transparentes et flexibles grâce à la ductilité des métaux, surmontant l'une des limitations de l'ITO, dans un monde où l'électronique flexible devient de plus en plus populaire (par exemple, les téléphones portables pliables). De plus, les réseaux sont transparents dans le proche infrarouge (IR), contrairement à l'ITO. L'absorption de l'ITO dans l'IR est due à la présence d'électrons libres dans la bande de conduction de l'oxyde, qui recouvre complètement le substrat. Avec les nanofils métalliques, une grande partie du substrat n'est pas recouverte et donc le rayonnement IR peut passer librement (à condition que le substrat soit transparent à l'IR, ce qui est le cas pour la plupart des verres et plastiques). En ce qui concerne les deux autres inconvénients de l'ITO, les réseaux de nanofils métalliques peuvent être facilement déposés en utilisant des approches peu coûteuses et évolutives, et bien que l'argent ne soit pas ce que l'on appellerait un élément bon marché, il y a beaucoup moins d'argent utilisé dans une électrode à nanofils d'argent que d'indium présent dans un revêtement ITO. En utilisant des approches expérimentales et de simulation, le Professeur Bellet a étudié en détail les propriétés physiques des nanofils d'argent, évaluant l'impact des dimensions des fils, la manière dont ils sont produits, et l'approche utilisée pour fabriquer le réseau, entre autres, sur les propriétés finales des réseaux.

Mais comme pour tout dans la vie, les réseaux de nanofils métalliques ont aussi quelques inconvénients. Le principal est un manque de stabilité par rapport à l'ITO. En effet, les nanofils métalliques sont sujets à des instabilités chimiques, électriques et thermiques, ce qui limite leur application dans les dispositifs. Une façon dont les nanofils métalliques peuvent devenir plus stables est de les recouvrir d'un revêtement très mince et conforme d'un oxyde stable, ce qui donne une électrode nanocomposite métal-oxyde. C'est là que l'équipe du Dr Muñoz-Rojas entre en jeu. Ils utilisent une technique unique pour déposer les revêtements d'oxyde qui est rapide, évolutive, peu coûteuse et plus écologique que d'autres méthodes conventionnelles. La technique s'appelle Dépôt de Couches Atomiques Spatiales (SALD), et est une version plus rapide et plus écologique de l'ALD conventionnel (largement utilisé pour déposer des revêtements de haute qualité avec un contrôle précis de l'épaisseur). L'approche SALD utilisée au LMGP est basée sur une tête d'injection et fonctionne comme une imprimante (vous pouvez voir une vidéo dans ce lien) pour les matériaux fonctionnels utilisant des précurseurs gazeux (par opposition aux encres liquides dans les imprimantes courantes). Grâce à la combinaison de réseaux de nanofils d'argent avec des revêtements d'oxyde, le LMGP a acquis une meilleure compréhension des mécanismes conduisant à la défaillance des électrodes et a fabriqué des électrodes transparentes hautement stables capables de supporter des environnements corrosifs, des hautes tensions et des températures supérieures à 300 °C.

À gauche : Une électrode transparente réalisée en déposant un réseau de nanofils d’argent sur un substrat flexible. Au centre : Images par Microscopie électronique à balayage (MEB) du réseau à différents grossissements. À droite : Images MEB d’un réseau recouvert d’une couche d’oxyde (la coupe transversale dans l’encadré montre le noyau en argent et l’enveloppe en oxyde)

Mais malgré ce succès, il reste encore des défis à relever si les électrodes transparentes à nanofils métalliques doivent être mises en œuvre industriellement. Ceux-ci incluent la conception de protocoles moins coûteux et plus écologiques pour synthétiser des nanofils d'argent ou le développement de nanofils moins coûteux en cuivre ou en d'autres métaux. Le LMGP collabore avec d'autres laboratoires et entreprises dans ce but. Cette approche multidisciplinaire (physique, chimie, ingénierie) contribuera à élargir la panoplie d'applications de ces fascinantes électrodes transparentes.

Projets soutenant cette activité :

Professeur Bellet : ANR (MEANING, PANASSE), EU M-Era-NetET (INSTEAD), Region (Eternity…), PEPR TASE-SOLSTICE, EU EJD SusMatEner.

Dr Muñoz-Rojas : ANR (DESPATCH, ALD4MEM, REACTIVE), EU FET OPEN (SPRINT), Marie Curie Integration Grant (CHEMABEL), Carnot Energies du Futur (ALDASH), PEPR DIADEME (project FASTNANO), PEPR TASE (Projet ALD4MODULES)

Images générées en partie avec l'IA.

Article rédigé dans le cadre de la formation « Vulgarisation scientifique à l’écrit » destinée aux personnels de recherche de l’Université Grenoble Alpes et encadrée par Marion Sabourdy, Responsable éditoriale d’Echosciences Grenoble à Territoire de sciences