La forêt au carrefour des risques

Publié par Frédéric Berger, le 7 mai 2012   3.6k

Les chutes de blocs de pierre constituent un des processus naturels d’évolution des versants d’une montagne. Mais ces blocs menacent les zones urbanisées et les très nombreuses infrastructures routières situées dans la vallée.

Pour limiter ces risques, les scientifiques de Irstea s’intéressent au rôle protecteur joué par les forêts de montagne. En étudiant la propagation des blocs rocheux, ils développent des outils robustes (modèles de simulation et méthodes de gestion) qui permettent aux forestiers de mieux optimiser le rôle protecteur des arbres.

Les chutes de pierres se produisent généralement à la fin de l’automne et au début du printemps, quand les variations thermiques sont les plus fortes. Mais la nature et la structure géologique du terrain, la pente, la quantité d’eau infiltrée dans la roche… contribuent également à la fragilité des falaises. Dans ce contexte, comment protéger efficacement les habitations et les routes situées en contrebas ? On peut installer des filets pare-pierres ou tout autre ouvrage de génie civil. Mais l’observation sur le terrain révèle que dans certains cas, les rochers sont arrêtés par les arbres et que la forêt peut constituer une alternative écologique et économique efficace au génie civil si elle est correctement gérée.

Blocs arrêtés par un groupe d'arbres

En France, environ 40 % des forêts de montagne assurent cette fonction de pare-bloc naturel en maîtrisant partiellement ou totalement la propagation des blocs. Une proportion qui devrait encore s’accroître dans les prochaines années face à l’urbanisation croissante des versants. Les scientifiques de Irstea ont développé des outils de diagnostic et des méthodes pour aider les gestionnaires à préserver les services rendus par la forêt : protectrice mais aussi récréative, productive, réservoir de biodiversité.

Trois modèles pour une gestion adaptée

Depuis 2003, les équipes de Irstea de Grenoble ont développé trois outils mathématiques de simulation Rockfor.NET, Rockfor.LINE, et participé au développement de Rockyfor3D, pour gérer la forêt et garantir son rôle de protection. Ces modèles sont alimentés par un large panel de paramètres, afin de considérer tous les cas possibles (géologie, volume de bloc, pente, types d’essence et de peuplement …).

Exemple d’impact de rocher sur un tronc

Ces modèles en 1, 2 ou 3 dimensions, permettent de disposer en quelques secondes voire quelques heures, en fonction de l’outil utilisé, du degré de protection de telle ou telle forêt sur un versant donné, de cartographier les zones dangereuses, de déterminer les types de peuplements les plus adaptés et de donner des informations cruciales comme la hauteur de passage des blocs, l’énergie et la vitesse atteinte et les déviations latérales pour un dimensionnement optimal de « l’ouvrage de protection » à réaliser.

À quoi ressemble la forêt idéale ?

Même si à diamètre égal, les feuillus absorbent en moyenne deux fois plus l’énergie du choc que les résineux, il est recommandé de mélanger les essences de manière à pérenniser le couvert forestier. Ainsi, la forêt offre une meilleure capacité de dissipation d’énergie et empêche les projectiles rocheux de dévaler vers la vallée. Par ailleurs, les taillis, parce qu’ils sont composés d’un grand nombre de tiges, offrent une plus forte probabilité de collision entre une pierre et un arbre et au final limite efficacement la propagation des projectiles. Pour garantir ce rôle de protection, le gestionnaire doit couper certains arbres pour assurer l’éclairement nécessaire au renouvellement de la forêt, permettre la germination des graines et la croissance des plus jeunes arbres. Avec une sylviculture adaptée, il est possible de développer une stratégie alternative ou complémentaire au génie civil et de maîtriser efficacement l’aléa chutes de pierres.

Le Projet MANFRED

Irstea participe au projet européen MANFRED (15 partenaires, 6 nationalités au service de la forêt alpine progression des blocs) qui vise à définir des stratégies de gestion afin d’adapter les forêts alpines aux risques liés au changement climatique en suivant deux axes majeurs : la protection et la préservation des écosystèmes forestiers et la gestion efficace des forêts, basée sur la connaissance des stratégies d’adaptation. Frédéric Berger anime le groupe de travail ”Gestion des forêts de protection vis-à-vis des risques naturels” avec pour objectif de créer une plateforme européenne de communication pour faciliter le transfert des expériences et le partage des connaissances.

>> Source : IRSTEA, INFO médias n°97, février 2011

>> Illustrations : chekobero, (Flickr, licence CC) & Manfred project