Glyphosate : vous en reprendrez bien un petit peu ?
Publié par Mathilde Chasseriaud, le 10 novembre 2016 6.6k
Le 28 juin 2016, la Commission Européenne décidait de prolonger l’utilisation du glyphosate pour 18 mois, faute d’éléments lui permettant de statuer sur les probables effets cancérigènes de ce pesticide. Cette décision donna un regain d’énergie à la polémique déjà bien ancrée aux pesticides.
Q : Cette décision avait en effet beaucoup fait parler d’elle. Mais qu’est-ce qui a fait que le glyphosate soit au centre d’une telle polémique ?
Plusieurs choses : sa nature, ses effets très controversés et surtout l’incapacité des Etats et institutions européennes à se prononcer sur la poursuite d’autorisation ou non de cet herbicide.
Q : Vous avez dit que le glyphosate est un herbicide. Peut-on en savoir plus sur sa nature et comment est-ce qu’il agit ?
Il s’agit de l’herbicide le plus vendu et utilisé au monde. Sa première commercialisation date de 1974 sous la marque Roundup, vendue par l’entreprise Monsanto mondialement connue. Depuis cette date, près de 9,4 millions de tonnes de glyphosate ont été répandues dans le monde (1).
Le glyphosate, commercialisé par Monsanto sous la marque RoundUp
Le glyphosate est une molécule de synthèse, c’est-à-dire qu’elle n’existe pas naturellement, elle a été créée, de manière artificielle. Elle est constituée de 3 atomes de carbone (en noir), 8 atomes d’hydrogène (en blanc), 1 atome d’azote (en violet), 5 atomes d’oxygène (en rouge) et 1 atome de phosphore (en bleu).
Molécule de synthèse représentant le glyphosate
Sous forme de sel la plupart du temps, il est utilisé par des entreprises, des collectivités pour désherber les abords des routes mais son utilisation majeure réside dans l’agriculture. En Allemagne, le glyphosate est utilisé dans près de 40% des surfaces cultivées.
Une fois absorbé par la plante, le glyphosate va se fixer au niveau d’une protéine, l’enzyme EPSPS qui produit des acides aminés et d’autres métabolites importants pour la plante. Les acides aminés sont les constituants des protéines. Ce sont donc des éléments importants, vitaux pour la plante (tout comme pour nous d’ailleurs). En se fixant sur cette enzyme, le glyphosate va bloquer son activité. La production d’acides aminés et donc de protéines sera diminuée jusqu’à être nulle, ce qui va entraîner des carences nutritionnelles fatales pour la plante. C’est ainsi que le glyphosate élimine les mauvaises herbes.
Il est très prisé des agriculteurs car il permet d’éliminer les herbes qui recouvrent les champs (que l’on appelle le couvert végétal) mais sans avoir recours au labourage. Christian Huyghe, directeur scientifique adjoint à l’agriculture de l’INRA (institut national de la recherche agronomique) déclare (je cite) : « Le labours systématique est accusé d’accélérer la dégradation de l’humus et de favoriser l’appauvrissement des sols. En préférant le glyphosate à une destruction mécanique, les agriculteurs cherchent à aller plus vite, avec moins de risques et pour moins cher. Ce qui est parfaitement légitime. »
Traitement d'une surface avec et sans glyphosate (La Recherche, n°515) (2)
Q : Donc si je vous suis jusque-là, le glyphosate est un herbicide qui fait son travail. Quel est donc le problème avec cette molécule ?
Imaginons une personne au travail qui soit très efficace mais présente tout le temps partout, qui touche à vos affaires et perturbe votre environnement ? Eh bien c’est un peu ça le problème avec le glyphosate. Il ne se contente pas de rester dans les champs de culture, on le retrouve absolument partout : dans nos aliments et dans nos boissons.
Une étude de l’Institut de l’environnement de Munich en février 2016 avait même détecté dans 14 des bières les plus couramment consommées en Allemagne des traces de glyphosate allant de 4 à 300 fois la limite autorisée. Et donc fatalement, si nous consommons des produits qui contiennent du glyphosate, notre organisme en absorbe également. Et c’est cela qui pose problème : un débat s’est instauré en ce qui concernerait la dangerosité du glyphosate pour notre santé, avec notamment un effet cancérigène probable.
Q : « Probable » ? Ce n’est pas sûr ?
Non, et c’est justement ce qui alimente la controverse. Les deux instances qui ont rendu des conclusions sur la dangerosité du glyphosate sont parvenues à des résultats contradictoires.
Le 10 Mars 2015, le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) avait déclaré que le glyphosate était « probablement cancérigène », c’est-à-dire qu’il est plus que possible que le glyphosate ait des effets cancérigènes mais que ceux-ci ne sont pas avérés.
Or, en Octobre 2015, l’Efsa (Autorité supérieure de sécurité des aliments) avait jugé improbable que le glyphosate puisse présenter des risques cancérigènes.
Q : Mais comment des études sur le même produit peuvent-elles aboutir à des conclusions opposées ?
Tout dépend de ce qui est pris en compte par les instances. Le CIRC s’est basé sur des revues approuvées par des spécialistes et des études académiques tandis que l’Efsa a inclus dans son analyse des études réalisées par des industriels.
Cela dépend aussi des substances étudiées. Dans son rapport, l’Efsa a considéré le glyphosate seul sans adjuvant, alors que dans le commerce, les mélanges contiennent du glyphosate et des adjuvants.
Après, les deux instances étaient d’accord sur le fait que la substance n’était pas non plus totalement sans danger. Mais pour qu’une substance soit classée comme cancérigène par la Commission européenne, il faut, selon le règlement européen n°1278/2008 que 2 études expérimentales indépendantes mettent en avant une relation entre une substance et une augmentation de la fréquence des tumeurs.
Q : Mais la Commission européenne a pourtant décidé de prolonger l’autorisation pour utiliser cet herbicide. Elle a donc écouté l’Efsa plutôt que le CIRC ?
La Commission européenne fonde ses décisions sur les résultats produits par l’Efsa. C’est le règlement européen. N’étant pas parvenue à un avis tranché sur la question, la Commission avait décidé le 28 juin 2016 de prolonger l’autorisation pour 18 mois en attendant les résultats du rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) sur la dangerosité ou non du glyphosate. Les résultats seront connus en 2017.
L'Efsa juge "improbable" que le glyphosate soit cancérigène
Mais la communauté scientifique reconnaît elle-même qu’il sera difficile de prendre une décision quant au glyphosate. Si des populations développent des cancers, il faudra pouvoir les relier et les imputer au glyphosate. Or, comme le dit Jacques Benichou, qui est biostatisticien à l’Inserm, « les cancers peuvent se déclarer 10 à 20 ans après l’exposition, et après une telle période, il est difficile de reconstruite les conditions de l’exposition ».
Cette molécule étant le pesticide le plus utilisé dans le monde, toute décision concernant son interdiction sera extrêmement délicate. Pour preuve, des cancérologues et toxicologues interrogés par le journal allemand Die Ziet sur un article portant sur le glyphosate ont refusé de s’exprimer dans un cadre officiel. L’un deux avait même déclaré : « je plains la personne qui devra prendre une décision sur le glyphosate ».
Q : Au niveau des agriculteurs, est-ce que vous pensez que certains refuseront d’utiliser le glyphosate ?
Mais c’est déjà le cas. La une du numéro 1331 de Courrier International portant sur le glyphosate mentionne un producteur de lait qui a cessé de l'utiliser. Il reproche au pesticide, retrouvé en grosse quantité dans des échantillons d’urines de ses vaches, d’être à l’origine de l’intoxication chronique ayant touché son troupeau de 150 bovins. Production de lait amoindrie, perte de poids allant de 30 à 40 kilogrammes pour ses ruminants, diarrhées, ulcères : il impute tout cela au glyphosate et a donc décidé de modifier l’alimentation de son troupeau en conséquence.
C’est un cas. Après, vu que le
glyphosate est utilisé par les producteurs de maïs, cultivateurs de coton, soja
et même les céréaliers du monde entier, difficile de dire si tous vont
rejoindre le mouvement.
Il faut aussi prendre en compte ce que représente le marché global du glyphosate. D’après une étude de Transparency Market Research, en 2012, celui-ci représentait 5,4 milliards de dollars, soit environ 4,8 milliards d’euros. La part de marché du glyphosate d’ici 2019 est estimée à environ 8,8 milliards de dollars.
ll faudra donc attendre 2017 pour connaître l’avenir du glyphosate et savoir si l’Agence européenne des produits chimiques lui coupera l’herbe sous le pied ou non.
Les mauvaises herbes sont les cibles de l'herbicide RoundUp
Références
- Selon une étude d'Environmental Sciences Europe publiée en février 2016
- La Recherche n°515, Septembre 2016, « Le glyphosate en sursis », p.16-19
Sources
- Courrier International n°1331, « Glyphosate, du poison dans nos assiettes ? »
- La Recherche n°515, Septembre 2016, « Le glyphosate en sursis »
- La Commission européenne autorise le glyphosate à repartir pour dix-huit mois, Le Monde
- Le glyphosate dans les faits