"Tuer les pestes pour sauver les cultures ? Conduire une recherche en sciences sociales dans un monde d’ingénieurs” Retour sur la séance #2 du séminaire SSC Gre MSH Alpes

Publié par Julien Dang, le 16 janvier 2023   570

Cet article est un résumé de la deuxième rencontre du séminaire “Science, société et communication” à la Maison des Sciences de l’Homme (MSH) Alpes organisé par Mikaël Chambru. Le 22 novembre 2022, nous y avons reçu Fanny Pellisier, post doctorante en sociologie et chargée d’étude au bureau des Intrants et du Biocontrôle au Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, pour une présentation intitulée “Tuer des pestes pour protéger les cultures ? Conduire une recherche en sciences sociales dans un monde d’ingénieurs". 

Lors de son intervention, Fanny Pellisier nous a expliqué le sujet de sa thèse qu’elle a soutenue en 2021 qui porte sur l’utilisation et la réglementation des pesticides en France (nom complet : Tuer les pestes pour protéger les cultures : sociohistoire de l’administration des pesticides en France). 


Tout d’abord, qu’est ce qu’un pesticide ? Fanny nous explique que c’est un terme qui prend son sens dans un contexte. Il existe beaucoup de synonymes (produit phytosanitaire, produit phytopharmaceutique, produit de protection des plantes …) dont leur emploi change la vision qu’on a d’eux. De manière générale, un pesticide est une ou plusieurs substances chimiques utilisées contre les organismes “nuisibles”, c’est-à-dire des organismes ayant des effets néfastes sur notre agriculture. Il existe différentes classes de pesticides et tout autant de réglementation, dépendant de l’organisme visé (herbicide pour les plantes envahissantes, insecticide pour les insectes dévoreurs de récoltes …).  Un pesticide est composé de substances actives couplées avec des coformulants renforçant leurs actions.
Ce sont des produits autorisés par l’Etat, utilisés pour protéger les cultures en tuant des êtres vivants. 

Sa thèse commence en 2013, en pleine controverse du plan Ecophyto 2018, voté en 2008, visant à réduire de moitié l’utilisation des pesticides d’ici 2018. Dès 2013, les chiffres n’étaient déjà pas concluants et présageaient de l’échec du plan (en 2018, on constate en France une augmentation de l’usage des pesticides de 22%).

Des questions se posent alors : comment réduire l’usage des pesticides ? Quels sont les processus sociaux qui sont mis en jeu ?

Définir et problématiser la question de recherche

Afin d’y répondre, il faut définir une question de recherche. Comment faire pour étudier l’usage des pesticides sans être acteur dans ce domaine ? Fanny Pellissier se focalise sur les transitions socio-techniques comme cadre théorique de départ. Différentes forces produisent un changement de grande ampleur et qui permettent de passer d’un état A à un état B. Quels sont les processus sociaux qui sont à l’œuvre lors de ces changements ? On se concentre ici sur l’action publique sur les pesticides, le progrès technique et le progrès social. L’action publique, c’est-à-dire le rôle de l’Etat, présente une tension entre autorisation et régulation des pesticides : il affiche l’ambition de réduire l’utilisation de produits qu’il autorise depuis longtemps. En découle donc la notion d’usage contrôlé : au nom de la nécessité, plutôt que d’interdire l’utilisation d’un produit qu’on sait dangereux, on encadre et régule son usage.

Pour comprendre comment l’Etat administre les pesticides, il faut donc s’intéresser à la dimension sociohistorique du travail de l’administration ainsi qu’aux enjeux de connaissances des problèmes d’action publique.

Les problèmes d’action publique font l’objet d’action coordonnée par une ou plusieurs autorités publiques, comme des ministères, l’Assemblée Nationale, etc.

L’action publique peut donc être instrumentalisée : en sociologie de l’action publique, on retrouve l’exemple de l’interdiction du DTT (un insecticide), une victoire historique dans la lutte contre les pesticides, d’abord aux Etats-Unis suite à des mobilisations, puis en France. Il est cependant compliqué de mettre une date sur cette interdiction sur le territoire français : le flou persiste.

En effet, au moment de l’interdiction dans les années 70, l’usage du DTT est déjà en chute libre, il ne s’agit plus d’un produit très utilisé et son brevet arrivait à expiration. 

Grâce à Ecophyto, des plans d’action ont mené à une réduction des pesticides depuis les années 90. On a également aujourd’hui une meilleure gestion des risques associés à l’utilisation des produits phytosanitaires.


Les enjeux liés à l'action publique

Pour ce travail, Fanny a réalisé une cartographie de la controverse à l’aide d’entretiens semi-directifs et d’un corpus de travaux historiographiques et de magazines professionnels. Cela lui a permis de décrire les processus sur le long terme.

De là, elle a mis en évidence les trois grands enjeux liés à l’action publique :

- la protection des cultures par les pesticides

- la gestion des dangers qu’ils engendrent 

- la volonté de réduire leurs utilisations.

Alors quels sont les résultats pour réduire les pesticides ?

Les textes européens ont de plus en plus d'impact au niveau de l'usage contrôlé et la gestion des risques des pesticides. Des tensions sur les objectifs persistent pour réduire les risques, les usages et la dépendance. La mise en problème demeure donc ambiguë et flexible. Le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire ont des missions qui sont susceptibles d'évoluer à chaque changement du gouvernement. Ces missions s'accompagnent d'une politique de contrôle autour du bien-être animal et végétal.

La direction générale de l'alimentation (DGAL) quant à elle souhaite garantir la santé du consommateur, des animaux et des végétaux avec de bonnes conditions sanitaires

Conclusion

Grâce à ce travail de doctorat de Fanny Pellissier, on peut comprendre un peu mieux l'univers des pesticides et prendre du recul sur le fonctionnement de l'administration. Elle réussit à expliquer la relation de régulation entre l’action publique, la science et la société. Dans le contexte de la transition écologique, étudier le rôles des risques en tant que technologie de gouvernement et ainsi saisir la diversité des enjeux de changement est primordial, et Fanny Pellissier nous montre comment tout cela est situé autour des différentes parties prenantes.


Article corédigé par Léa Develioglu et Julien Dang, étudiant·e·s en Master 2 Communication et Culture Scientifiques et Techniques (CCST) à l'Université Grenoble Alpes.

Vous pouvez retrouver le live tweet de Sébastien Rival sur ce lien : https://twitter.com/sebastien_...