Les arbovirus, ou les virus transmissibles par les moustiques

Publié par Mathilde Chasseriaud, le 30 mars 2017   5.6k

Vous connaissiez les virus transmissibles par voie aérienne comme le virus de la grippe, qui vous cloue au lit pratiquement chaque hiver, les virus transmissibles par voie sexuelle tel que le VIH mais connaissiez-vous les arbovirus ?

Ne vous fiez pas à la construction du terme ; un arbovirus n’a absolument rien à voir avec les arbres. Ce nom vient de l’anglais, de l’expression « arthropod-borne viruse », qui a été tronquée pour former le terme « arbovirus ». En français, « arthropod-borne viruse » signifie littéralement « un virus né des arthropodes ». Plus développé, cela décrit un « virus transmis par des arthropodes, des animaux invertébrés, et suceurs de sang ». Et parmi les animaux invertébrés concernés, on trouve les moustiques.

Nous allons donc nous intéresser aux virus transmis par les moustiques.

L'instinct maternel

Il faut tout d'abord rétablir une vérité : seule la femelle moustique pique, pas le mâle. Mais pourquoi nous pique t-elle ?

Notre sang est constitué de cellules (les globules blancs, globules rouges et les plaquettes) et de plasma, la partie « liquide » du sang, qui contient de l’eau mais aussi des protéines, des hormones et des sels minéraux.

En nous piquant, la femelle moustique va prélever ces composants, pour ses œufs, qui auront besoin de ces substances pour se développer.

Une prise de sang qui démange

Lorsqu’une femelle moustique nous pique, c’est donc dans le but de prélever notre sang. Cependant, lorsque la femelle va aspirer le sang par sa trompe, il ne faut pas que celui-ci la bouche en coagulant. Pour éviter cela, le moustique va injecter un jet de salive en même temps qu’il pompe le sang.

Et c’est celle salive qui est à l’origine des démangeaisons que l’on ressent lorsqu’un moustique nous a piqué. La salive injectée provoque une réaction immunitaire, puisqu’un élément étranger a pénétré notre organisme. Cela va engendrer la libération d’une molécule (l’histamine), et c’est cette molécule qui va nous donner envie de nous gratter avec plus ou moins de frénésie selon chacun.

Un échange donnant-donnant particulier

Intéressons-nous à comment est-ce qu'un moustique peut nous transmettre un virus. Prenons par exemple Victor. Il revient d’un petit voyage en Asie. Mais à son retour, il se met à souffrir de douleurs articulaires, musculaires, de maux de tête et de fièvre. Il ne le sait pas encore mais il a contracté l’infection à virus chikungunya.

Si un moustique pique Victor, il va prélever son sang, donc les globules blancs, les globules rouges, les protéines, les sels minéraux mais aussi les virus chikungunya ! Ces virus vont ensuite se retrouver dans l’estomac du moustique. Dans la majorité des cas, ces virus seront détruits lors de la digestion.

Si les virus ne sont pas détruits, ils vont se multiplier dans l’estomac du moustique, circuler dans l’organisme du moustique et se retrouver dans presque tous ses organes, dont les glandes salivaires, d’où je rappelle est produite la salive que nous injecte le moustique lorsqu’il nous pique.

Schéma d'un moustique piquant un sujet infecté (Hors-série n°19, La Recherche, LES EPIDEMIES, p.48)

Lorsque que la femelle moustique, après avoir piqué Victor, piquera une personne saine et plantera sa trompe pour prélever le sang, la salive qu’elle injectera contiendra des virus qui se répandront dans le vaisseau sanguin et ensuite dans toute la circulation sanguine et nos organes. Cette autre personne sera alors à son tour infectée par le virus chikungunya.

Schéma d'un moustique piquant un sujet sain (Hors-série n°19, La Recherche, LES EPIDEMIES, p.48)

Si l’on additionne le nombre de personnes piquées par cette femelle et toutes les autres personnes piquées par des moustiques vecteurs de ce virus, nous arrivons très rapidement à une épidémie de chikungunya voire même une pandémie si la maladie est déclarée sur plusieurs continents.

De la dengue à Zika

Il existe plusieurs arbovirus.

Il y a tout d’abord la dengue, aussi dénommée « grippe tropicale », pouvant prendre 2 formes, soit classique (aboutissant à une guérison) soit une forme plus sévère, dite « hémorragique », pouvant, elle, aboutir au décès du patient.

On trouve ensuite la fièvre jaune, causée par le virus amaril, qui sévit en Afrique et en Amérique du Sud. Cette infection prend tout d’abord la forme d’une simple grippe puis aboutit à des troubles hémorragiques et hépatiques avant d’occasionner le décès du patient. Actuellement, les seuls traitements sont le repos et l’administration médicamenteuse. Il existe tout de même un vaccin, obligatoire pour tout voyageur se rendant dans les régions à risque.

Un autre arbovirus qui a beaucoup fait parler de lui dans les médias est le virus Zika, présent en Asie, Afrique et Amérique du Sud. Il est responsable notamment de malformations chez le fœtus comme des microcéphalies (un crâne anormalement petit).

Autre arbovirus, évoqué avec Victor, qui revenait d’Asie : le chikungunya.

Les virus Zika, chikungunya, de la dengue et de la fièvre jaune sont transmis par des moustiques appartenant au genre Aedes. Parmi ce genre, 2 espèces de moustiques ont été souvent nommées. Vous avez peut-être entendu leur nom à la télévision ou à la radio lors de reportages : il s’agit d’Aedes aegypti et Aedes albopictus.

Ces espèces produisent des œufs ayant une particularité au niveau de la composition de leur coquille. Grâce à un composé nommé la chitine recouvrant l’œuf, celui-ci est rendu imperméable et peut ainsi résister à la sécheresse, l’empêchant de se déshydrater, et ce pendant des mois, des années. L'intensification des voyages et transports à travers le monde permettent le déplacement des œufs et donc des moustiques, favorisant ainsi les risques de développement d’épidémies.

La lutte s'organise

Différents moyens de lutte ont été mis en place. Une première stratégie consistait à utiliser des insecticides pour lutter contre les moustiques. Mais un problème de résistance à ces substances s’est rapidement posé, ajouté à celui de l’absence de développement d’autres molécules pour lutter contre les moustiques vecteurs.

Illustration anti-moustique

Que faire quand les moustiques deviennent résistants aux insecticides ?

Les scientifiques se sont tournés vers les techniques de génie génétique pour rendre les moustiques mâles stériles (1). Ainsi, il n’y aurait plus de descendance et la population de moustiques vecteurs de ces virus diminuerait. Le problème réside cependant dans les traitements assez lourds qui affaiblissent ces moustiques mâles comparé à ceux présents dans la nature.

La technique a donc été revue et les chercheurs ont voulu rendre les spermatozoïdes des moustiques mâles stériles. La femelle moustique ne pourrait alors plus produire d’œufs et donc, assurer de descendance.

Oxitec est la première entreprise de biotechnologie capable de produire des insectes génétiquement modifiés

Oxitec est la première entreprise de biotechnologie à produire des moustiques génétiquement modifiés

Une autre technique impliquait un micro-organisme du nom de Wolbachia (2). En 2009, l’équipe d’un chercheur australien avait démontré que certaines souches de cette bactérie permettaient de bloquer la propagation du virus de la dengue en influant sur la capacité de reproduction des moustiques.

Mais que ce soit des méthodes de génie génétique ou l’utilisation de bactéries pour perturber la reproduction des moustiques, il ne faut pas perdre de vue que ces techniques influent sur certaines espèces de moustiques, qui tendent à disparaître.

Cela nous amène à nous poser des questions d’ordre éthique. Bien que les résistances aux insecticides s’amplifient, pouvons-nous nous octroyer le droit de faire disparaître une ou plusieurs espèces animales ainsi ? Quelle(s) conséquence(s) la disparition d’espèces de moustiques aura-t-elle sur la biodiversité ?

Les moustiques sont eux-mêmes une source de nourriture pour d’autres espèces. S’ils disparaissent, c’est la source de nourriture d’une autre espèce qui disparaît. La gestion des populations de moustiques vecteurs de virus est donc un sujet qui concerne tout le règne animal, autant d’un point de vue biologique qu’éthique.


Notes

  1. Technique conçue vers la fin des années 1930 par les Américains Edward Knipling et Raymond Bushland
  2. Equipe de Scott O’Neill. // Publication : L.Moreira et al., Cell, 139, 1268,2009

Illustration

Visuel principal : http://www.slate.fr/story/26589/moustique-mortel-a...

Sources

  • La Recherche, Hors-série n°19, 2016, Les Epidémies, Un tueur en série nommé moustique, p.46-49
  • Institut Pasteur : Chikungunya / Fièvre jaune / Dengue / Zika
  • Biological Control Strategies for Mosquitoes Vectors of Arboviruses, Yan-Jang S.Huang, Stephen Higgs, Diana L.Vanlandingham, Insects, 2017