"L'érosion de la biodiversité s'est intensifiée" : rencontre avec l'enseignant chercheur Florent Figon, entre constat alarmant et optimisme
Publié par Lola Steve, le 11 juin 2025 140
Du 22 mai au 30 juin, l’Université Grenoble Alpes organise "Le mois de la biodiversité”. Au programme, de nombreuses conférences, activités et visites guidées pour sensibiliser et découvrir les actions mises en place pour la préservation de la biodiversité.
À cette occasion, nous avons rencontré Florent Figon, enseignant chercheur à l'institut d’écologie alpine et à l’INSPE de Grenoble. Il nous parle de la biodiversité et plus particulièrement de ses couleurs.
Pour réécouter l'émission " Les couleurs de la biodiversité" diffusée le 4 juin 2025 sur RCF Isère, ça se passe juste ici :
RCF Isère : Comment définit-on la biodiversité ?
Florent Figon : “La biodiversité, pour la définir de manière très simple, on pourrait dire que c'est la diversité du vivant. On a souvent tendance à dire que c'est le nombre d'espèces ou des espèces très charismatiques comme le panda ou l’ours blanc. Alors qu'en fait, c'est vraiment la diversité des formes, des individus et de leurs gènes ainsi que de leur comportement, de ce qu'ils produisent et de ce qu'ils font. C’est également des écosystèmes, donc des environnements dans lesquels ils vivent, et des interactions qu'ils peuvent avoir entre eux. C’est tout ça la biodiversité.”
Est-ce qu'on constate aujourd'hui une perte de cette biodiversité ?
“Oui, si on suit le rapport de IPBES, qui est l'équivalent du GIEC pour le climat, il nous dit qu'effectivement il y a une érosion de la biodiversité depuis au moins une centaine d'années, 150 ans, voire 200 ans, qui est due à l'activité humaine.
Vous dites que c'est dû aux activités humaines, est-ce que vous pouvez développer un peu plus ces causes ?
“Alors en fait, la biodiversité a changé au cours du temps, depuis toujours, depuis que la vie existe. Il y a eu des phases où elle a diminué et où elle a augmenté. Les espèces évoluent, changent, se transforment, de nouvelles espèces apparaissent et disparaissent. Mais on note que depuis l'activité humaine, notamment depuis la révolution industrielle et les activités très importantes qu'a l'homme sur son environnement, que cette érosion de la biodiversité s'est intensifiée, notamment en termes de vitesse, en nombre d'espèces qui ont disparu, et aussi en termes de biomasse, donc de nombre d'individus dans les populations qui changent.”
Est-ce que vous pouvez nous définir ce que c'est le changement climatique ou le réchauffement climatique ?
“Le réchauffement climatique, qui est l'un des facteurs qui contribue à l'érosion de la biodiversité, est l'augmentation de température depuis 1850, donc depuis la révolution industrielle, et qui est aujourd'hui de 1,1 degré Celsius. Cette augmentation est provoquée par les activités humaines, et notamment par la production de gaz à effet de serre comme par l'utilisation de voitures, la combustion de fossiles, d'énergie fossile, etc.”
Comment les espèces réagissent face à ces changements ?
“De différentes manières, il y en a qui ne répondent pas à ces changements de température. La principale réponse qu'on peut souvent noter, c'est des migrations. Il y a des espèces qui sont habituées à avoir des climats plutôt frais et qui vont avoir tendance à remonter au nord ou en haute altitude, quand on est dans les montagnes, pour retrouver une même température plus fraîche qu'auparavant. Il y a aussi des espèces qui sont acclimatées au climat plutôt chaud, qui vont migrer vers le nord, puisque les températures deviennent de plus en plus propices. Donc pas mal de migrations. Après, il peut y avoir des espèces dont ce qu'on appelle la phénologie, c'est-à-dire le rythme de développement, le passage par exemple chez les papillons du stade oeuf, chenilles, chrysalides, puis papillons, va se décaler dans le temps, et notamment vers les mois plus proches du printemps et de l'hiver, puisqu'il va faire de plus en plus chaud à ces périodes-là.”
Vous travaillez notamment sur la biodiversité alpine, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est ?
“La biodiversité alpine est un sous-ensemble de la biodiversité qui va se retrouver dans l'écosystème bien particulier qui est celui des Alpes, mais de manière plus générale, des montagnes et qui est caractérisé par un gradient d'altitude. Qui dit gradient d'altitude, dit en fait gradient de température, et puis plein d'autres paramètres qui régissent ces environnements, que ce soit les précipitations comme la neige bien sûr, à partir d'une certaine d'une certaine altitude. Et donc ces espèces-là, dans les milieux alpins, sont généralement différentes de celles de la pleine car elles vont être acclimatées à des environnements différents. Donc c'est des milieux où la biodiversité par rapport au reste de l'environnement est plus importante, parce que sur une faible surface, on va retrouver des climats très différents, quand on passe de 0 à 2000 mètres, 3000 mètres, 4000 mètres d'altitude.”
Quel type d'espèces étudiez-vous dans vos recherches ?
“Alors moi c'est principalement des insectes et principalement les papillons, notamment ce qu'on appelle les papillons de jour, qui sont des papillons aux multiples couleurs, et qui vont avoir des liens avec les changements que réalise l'homme sur son environnement comme avec le réchauffement climatique. Donc principalement des papillons colorés.”
Comment les approcher si on les rencontre dans la nature ? Quel est le comportement à avoir ?
“Il n’y a pas de comportement particulier, parce que la plupart du temps les papillons volent de manière assez rapide et efficace. Ils sont très difficiles à attraper à la main, donc nous généralement quand on doit aller les échantillonner, on y va avec nos filets à papillons. Mais sinon il faut juste les observer à distance, ou s'approcher lentement vers eux pour ne pas les effrayer, et donc pouvoir les observer dans leur habitat avec leur comportement normal.”
Dans une récente conférence, vous évoquez les couleurs de la biodiversité. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'on définit par là ?
“Tout simplement, la couleur que nous on perçoit, et que d'autres organismes perçoivent aussi, donc les couleurs entre le rouge, le bleu, le vert, le blanc, le noir, que les différents individus peuvent arborer. Ce qu'on observe, c'est qu'entre les espèces, mais aussi à l'intérieur d'une espèce, les couleurs peuvent être très différentes. Ces couleurs sont associées à des comportements ou à des environnements particuliers. Notamment l'un des exemples classiques chez les papillons ou chez les insectes, c'est le noir qui va être associé à des climats plutôt froids, parce que la couleur noire va absorber plus d'énergie lumineuse, ce qui va permettre aux papillons de se réchauffer plus vite. On peut retrouver ce type de pattern plutôt en haute altitude dans les Alpes, même si ce n'est pas toujours le cas, c'est une règle qui se vérifie quelquefois.”
Pourquoi avoir fait le choix d'étudier les couleurs de la biodiversité pour étudier les impacts du réchauffement climatique ?
“À la base, je suis plutôt spécialiste des couleurs et pas tant spécialiste du réchauffement climatique ou de l'action de l'homme, mais je me suis intéressé à comment les organismes produisent ces couleurs, parce que c'était un sujet qui me parlait et qui me plaisait. de fait Avec le réchauffement climatique, on peut s'attendre à ce que les couleurs changent chez les individus, chez les espèces. Surtout si on croise avec d'autres paramètres, d'autres facteurs que l'homme modifie dans son environnement. Par exemple, j'étudie aussi comment est ce que la pollution métallique pourrait venir influencer la couleur des espèces, parce que les pigments qui produisent certaines des couleurs ne sont pas seulement associés à la température ou au réchauffement, mais sont aussi associés à la détoxification de certains métaux. On peut s'attendre à ce que ces deux paramètres viennent interférer dans la couleur des espèces au cours du temps.”
Quelles méthodes utilisez-vous pour analyser ces couleurs ?
“Des méthodes qui vont du relativement classique, c'est-à-dire photographier des papillons et essayer de décrire les paternes de couleurs. Ça peut aller sur des méthodes un peu plus complexes pour savoir comment est-ce qu’un papillon se réchauffe à la lumière, avec ce qu'on appelle de la thermographie, où tout simplement mesurer les infrarouges. Ça on peut le faire chez soi des fois pour le bâti, savoir où est-ce qu'il y a des ponts thermiques ou ce genre de choses. On utilise des caméras infrarouges, ce qu'on peut faire nous-mêmes.
Et puis des méthodes beaucoup plus complexes pour analyser par exemple les métaux. Utiliser des grands instruments comme le synchrotron qu'on utilise pour mesurer des petites traces dans des endroits très petits, que sont les ailes des papillons, la présence de métaux.”
Selon vous, est-ce que les changements climatiques que l'on observe actuellement sur cette biodiversité sont irréversibles ?
“Alors, irréversibles, oui et non, en fonction du temps qu'on se donne. On sait que les gaz à effet de serre peuvent rester, notamment le CO2, au moins une centaine d'années en moyenne dans l'atmosphère et qu'il y a une inertie à ce qu'on émet dans l'atmosphère. Et donc que oui, la Terre va continuer à se réchauffer même si on arrêtait maintenant, au moins sur la période d'une dizaine, cinquantaine, centaine d'années. Dans cet ordre-là, c'est irréversible. Par contre, si on arrêtait tout maintenant, dans plus d'une centaine d'années, ça reviendrait à un état un peu plus antérieur. Ce ne serait donc pas irréversible dans ce cas. On sait aussi que la biodiversité est très flexible, très dynamique. L'état qu'elle a maintenant, ce n'est pas un état qui perdurera tout le temps donc on peut aussi envisager des modifications de la biodiversité sans aucun souci.”
Comment, à notre échelle, préserver la biodiversité, plus précisément la biodiversité alpine ?
“A notre échelle, nous-mêmes, j'ai envie de dire, c'est déjà préserver l'habitat alpin. Ça, on peut le voir par exemple avec les parcs naturels, s'assurer que certains endroits sont sanctifiés, un peu protégés, etc. La problématique du réchauffement climatique, mais aussi des pollutions, dépasse simplement l'acte individuel, donc c'est plus en termes de politique, d'aménagement, d'utilisation des ressources qu'il faut réfléchir réellement. Parce que cette inertie du CO2 dans l'atmosphère nous dit que tout ce qu'on fait maintenant va avoir des impacts sur le temps long. Et donc, il faut le prendre en compte collectivement et d'un point de vue politique.”
Et bien justement, qu'aimeriez-vous voir changer ces prochaines années en ce qui concerne la préservation de la biodiversité ?
“Je pense qu'elle soit plus présente dans les médias, qu'on en parle plus, qu'on rappelle que le réchauffement climatique est effectivement un des paramètres qui joue sur son érosion, mais qu'il y en a plein d'autres. Notamment, en ce qui concerne la biodiversité terrestre et donc la biodiversité alpine, le premier facteur, c'est l'usage des sols. Et donc, il ne faut pas seulement voir la chose par la lorgnette du réchauffement climatique, qui est très importante, mais aussi le prendre dans sa complexité. Donc, comment est-ce qu'on modifie, on imperméabilise, on change la pratique de l'agriculture, etc. Tout ça, si on le met en contexte et qu'on les intègre, on peut espérer avoir des solutions plus efficaces pour le futur.”
Pour les prochaines années, vous êtes plutôt optimiste pour l'avenir de la biodiversité ?
“Alors, pour l'avenir de la biodiversité, oui, il n'y a pas de problème, la vie nous dépassera sans aucun souci. La question, c'est quel écosystème on veut avoir actuellement pour soutenir nos activités et comment profiter de tout ça et puis surtout donner un habitat et un avenir qui soit durable pour les générations futures. La biodiversité, elle s'en remettra, la vie continuera après nous, sans aucun souci. Mais quelle vie et quelle biodiversité on veut, ça, c'est une autre question.”
Pour rappel, du 22 mai au 30 juin c’est le mois de la biodiversité à l’UGA, de nombreuses activités sont organisées, retrouvez toutes les informations sur le site de l’Université Grenoble Alpes.