Décrypter les signaux venus du ciel

Publié par Emilie Neveu, le 13 octobre 2014   3.2k

Rencontre avec Michel Gay, qui a tenu une conférence sur les satellites d'observation de la Terre pour la modélisation du climat, lors du Forum du CNRS le 11 octobre dernier. Nous avons parlé ensemble des défis que nous lancent les satellites du haut de leur orbite.

Echosciences Grenoble : Vous êtes ingénieur de recherche au CNRS et vous travaillez au sein du laboratoire "Grenoble, Image, Parole, Signal, Automatique" (GIPSA-Lab). Quel est le rapport avec le climat ?

Michel Gay : Le climat dont nous dépendons pour vivre est un phénomène complexe. Pour le comprendre et le prévoir, il faut étudier l’atmosphère, mais aussi l’océan, la végétation et la cryosphère (glace-banquise-neige). Ainsi que toutes les interactions entre ces différents milieux, par exemple les précipitations, l’évaporation des gaz ou la fonte des glaciers. Pour en savoir plus sur ces phénomènes, plusieurs outils sont utilisés, dont les satellites. Depuis le lancement en 1957 de Spoutnik, premier satellite scientifique, 6842 autres satellites ont été lancés. Aujourd'hui, il y en a environ 2500 qui sont actifs dans l'espace dont une soixantaine pour l'observation scientifique de la Terre. Les satellites sont capables d’un nombre impressionnant de mesures différentes avec des précisions incroyables. A 800 km de hauteur, ils peuvent par exemple déterminer la hauteur de l’eau des océans au centimètre près ! Parce qu’ils permettent une couverture globale de la Terre, des endroits inaccessibles sont facilement observables avec une fréquence de 90 minutes à quelques jours selon les satellites. Ils sont devenus indispensables dans la compréhension du climat.

Les données qu’ils nous transmettent sont des signaux « cryptés » qui nécessitent des traitements pour en extraire des informations sur le comportement physique du milieu observé. C’est là que j’interviens. Mon travail consiste à traiter et à interpréter ces signaux collectés par les satellites pour développer des nouveaux traitements qui serviront aux études climatiques [ndlr : voir la page du chercheur].

Il ne suffit donc pas de lire directement les données ?

Non ! C’est plus compliqué. Prenons un premier exemple : la mesure des déplacements d’un objet géophysique tel que les glaciers. Nous utilisons des images provenant de satellites radars. En fait, il s’agit d’ondes électromagnétiques que le satellite émet et qui sont réfléchies par la surface. La première difficulté est d’obtenir un signal utile. Les séries d’images multi-temporelles que nous obtenons ne permettent pas de calculer les déplacement des glaces directement car la position du satellite avec le sol change légèrement au cours du temps et donc d'une image à l'autre. Nous développons des méthodes qui permettent de repositionner les différentes images l’une par rapport à l’autre très précisément. Le déplacement d'un glacier peut alors être mesuré en analysant les différences de position des glaces entre les différentes images. Nous validons ensuite nos résultats en les comparant à d'autres mesures, des données GPS, locales et précises. Le traitement complexe des signaux que nous avons mis en place permet un calcul du déplacement des glaces très précis, au centimètre près.

Nous avons parlé de glace, mais si nous nous intéressons à la neige alors les questions et les solutions sont complètement différentes. Le manteau neigeux est un milieu complexe, constitué d’une vingtaine de couches possédant des tailles et formes de grains différentes.

Lorsque la température de la neige est inférieure à 0 °C, les cristaux de neige fraîche évoluent vers des formes granuleuses, arrondies ou au contraire anguleuses, dont le diamètre varie généralement entre 0,2 et 2 mm. Lors de la fonte, la température de la neige est de 0 °C et l'eau liquide, alors présente dans la neige, transforme les grains de neige en gros grains arrondis. Ici, les petits grains sont bien soudés entre eux, formant des couches compactes, faciles à découper. C'est la neige idéale pour fabriquer un igloo. Plus d’infos ici.

Pour simuler ce milieu complexe, il faut bien le comprendre et l’observer. Mais il est difficile d’obtenir des mesures précises, ne serait-ce que de la taille des grains, sans utiliser de système d’observation ne détruisant pas la neige. Les satellites radars nous permettent d'avoir des mesures de rétrodiffusion mais nous devons alors développer des outils mathématiques sophistiqués qui intègrent ces observations dans un modèle d’évolution du manteau neigeux.

Ce modèle, qui est un ensemble d’équations décrivant la physique et la mécanique du système, permet de calculer l’évolution des différentes couches de neige. Mais certains des paramètres du modèle sont peu connus et difficilement observés. L'enjeu est d'utiliser ce nous savons sur le comportement physique du manteau neigeux ainsi que ce que nous savons des interactions entre les ondes électromagnétiques et le milieu neigeux, pour lier les mesures satellites à une meilleure définition des paramètres. Cela permet d'ajuster la description du comportement théorique du manteau neigeux avec la réalité observée.

Et ensuite, nous pouvons utiliser ces résultats pour les études climatiques ?

C’est cela, oui. Nous faisons même plus ! Nos études sont très précises mais locales. Elles peuvent permettre d’améliorer la prévision des avalanches. Ou encore, EDF s’intéresse à la quantité d’équivalent eau de la neige, du névé et des glaciers. Cela leur permet de prévoir la quantité d’eau et donc d’énergie que les centrales hydrauliques vont pouvoir utiliser lors de la fonte. Les observations sont également très utiles pour les études climatiques. Il faut alors prendre en compte les différentes sources d’observations, les différents satellites, qui ont chacun leur particularité. Ainsi, dans le cas des études de déplacement des glaciers, les données disponibles ont une précision de l’ordre du mètre ou du centimètre. Alors que la plupart des satellites utilisés dans les modèles climatiques sont beaucoup moins précis car ils ont un principe de mesure différent qui les rend moins coûteux en énergie mais aussi plus sensibles à l’effet des nuages. Les mesures collectées sont alors de l’ordre d’une centaine de kilomètres. Il faut donc utiliser l’information précise et locale des glaciers pour corriger les données globales climatiques. C’est un sujet de recherche à part entière.

Il y a donc encore beaucoup à découvrir ?

Bien sûr ! Premièrement, nous avons besoin de mieux comprendre les interactions des ondes électromagnétiques avec le milieu dense stratifié qu'est la neige. Ensuite, les modèles physiques qui décrivent le comportement de la neige sont des modèles de transfert radiatif qui nécessitent encore des évolutions. Sur ces sujets, nous travaillons avec les physiciens de Météo France. Enfin intégrer les données à des modèles d’équations physiques ou à d’autre données aux échelles spatiales différentes requiert l’utilisation et le développement de méthodes mathématiques complexes.

Physique, traitement d’images, neige, maths… Mais quel métier faites-vous au juste ?

Je suis ingénieur de recherche CNRS. Il s’agit d’un poste de permanent de la fonction publique. La frontière est floue avec le métier de chercheur et cela dépend beaucoup du laboratoire et de la discipline. Je dirais que mon travail comporte un peu plus de technique. Mais, avant tout, je suis un « traiteur » d’images et des signaux qui travaille sur des applications en géophysique. Il faut donc que je touche un peu à tout : images, signaux, glaciologie, mathématiques etc.

Nous avons beaucoup parlé de glace et de neige mais l’étude du climat est plus vaste, n’est-ce-pas ?

Oui, je suis moi-même spécialiste du traitement des images d’interférométrie provenant des satellites radar qui permettent de calculer le mouvement d’objets géophysiques. Mais lors du Forum du CNRS, je présenterai les différents satellites et leurs utilités dans l’étude de l’ensemble du système climatique. Nous parlerons de l’atmosphère, des nuages, de l’océan, de la circulation thermohaline et de la cryopshère. Et tout ça grâce à des machines situées à 800km, c’est impressionnant !

Merci Michel pour cet entretien.

>> Crédits : NASA Goddard Space Flight Center (Flickr, licence cc)