Pourquoi les premiers de la classe sont-ils les cancres de l’innovation ?

Publié par Miguel Aubouy, le 14 octobre 2013   4.1k

Responsable des activités de créativité au service de l’innovation technologique du CEA, Miguel nous présente en quoi les innovateurs ne sont (presque) jamais des anciens bons élèves.

On attribue parfois à Churchill cette phrase célèbre : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, et c’est pourquoi ils réussirent ». Elle signale l’une des sagesses les plus paradoxales de la problématique de l’innovation. En ce domaine, l’intelligence, loin d’être un atout, représente une difficulté !

Lorsque Christophe Colomb part pour les Indes, le 3 août 1492, il part vers l’Ouest. D’après ses calculs, il devrait arriver à Cathay (c'est-à-dire en Chine) après quelques semaines de voyage. Mais son calcul est faux : il se trompe sur le rayon de la terre. Le voyage qu’il envisage est tout simplement impossible. C’est ainsi qu’il découvre le continent américain.

Lorsque Louis Néel cherche la phase antiferromagnétique, dans les années 1970, il ne sait pas que Lev Landau, sans doute le plus grand des physiciens de son temps, le second théoricien du siècle après Albert Einstein, a publié un article théorique qui démontre qu’un tel arrangement de la matière est instable. Louis Néel ne peut pas la trouver : il n’y a aucune chance. En vérité, Lev landau s’est trompé. La phase antiferromagnétique existe et Louis Néel la trouvera.

Il faut rapprocher la phrase de Churchill de cette autre merveille énoncée par Paul Arden : « Start being wrong, and everything becomes possible » (commence par te tromper, et tout devient possible). Il faut surtout en tirer toutes les conséquences au regard du processus d’innovation.

Ces conséquences, elles sont au nombre de trois. Je les ai formulées dans un petit livre intitulé "Soyez un numéro deux". (Il est sous-titré : "Pourquoi les premiers de la classe sont-ils les cancres de l’innovation ?"). Clairement, les conséquences que l’on peut tirer de l’analyse du processus d’innovation sont défavorables pour l’intelligence telle qu’on nous l’enseigne à l’école. Jugez-en par vous-même : il faudrait : a) choisir soi-même sa question, b) être celui par qui le scandale arrive et c) faire les choses salement.

Tout cela est gênant. C’est très embarrassant même... Lisez donc ce livre, si vous le souhaitez mais n’en parlez pas autour de vous, s’il vous plaît. Il ne faudrait pas que cela arrive aux oreilles d’un recteur, personnage respectable, s’il en est !

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>> Pour en savoir plus : Ce livre, ainsi qu’un deuxième [lire la chronique "Pourquoi sommes-nous si bien préparés à ne jamais découvrir ?"] ouvre la collection des Petits traités sur l’innovation, aux éditions nullius in verba. Depuis bientôt 10 ans, Miguel fait de la créativité appliquée à l'innovation technologique. « Pendant toutes ces années, j’ai pris beaucoup de notes, et j’ai accumulé de nombreuses lectures. Avec le recul, j’ai réalisé que ce matériau pouvait sans doute intéresser des personnes dans le cercle professionnel de l’innovation, mais aussi largement au-delà. Bref, qu’il valait peut-être la peine de le partager. Ces réflexions ont pris la forme d’une série de petits livres, dont chacun abordera un aspect de la problématique de l’innovation, de la découverte ou de la création. Évidemment, je les ai écrits à ma manière : un peu littéraire, un peu provocante. Parce que nos vies sont très chargées, je les ai faits courts ».

>> Références : « Soyez un numéro deux. Pourquoi les premiers de la classe sont-ils les cancres de l’innovation ? » aux éditions nullius in verba, 70 pages, 9.75 €

>> IllustrationsChelsea Purgahn (Flickr, licence cc), © Chris Harrison