La CNIL apparait être une lanceuse d'alerte plutôt qu'un contrepouvoir respecté...

Publié par Yannick Chatelain, le 17 janvier 2022   1.1k

La CNIL apparait être une lanceuse d'alerte plutôt qu'un contrepouvoir
respecté, comme le démontre la mise en place du pass sanitaire/vaccinal.

par Yannick Chatelain :  Professeur Associé Digital / IT, GEMinsights Content Manager, Grenoble École de Management (GEM)

Dans le contexte actuel et dans le respect des processus démocratiques, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la réalité ou tout du moins l’efficience des contrepouvoirs, dans la mesure où ces derniers font face à une écrasante majorité à l’Assemblée nationale.

Sénat, Conseil d’état, Conseil constitutionnel… CNIL :  contrepouvoir y es-tu contre le pass ?

La promulgation de lois se fait dans une situation inédite de crise où l’urgence pour légiférer est devenue le maître mot. L’exécutif légitime ce mode de fonctionnement par la nécessité d’anticiper et en quelque sorte de prendre de court le virus. Dans cette urgence permanente se pose la question de l’amoindrissement des contrepouvoirs. Durant la période traversée tant le Sénat, que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État doivent se montrer extrêmement réactifs sur des textes qui mériteraient – pour le moins – un temps de réflexion approprié compte tenu des enjeux qui dépassent le sanitaire et concernent régulièrement les libertés publiques.

Ainsi et pour le passe vaccinal le Sénat a été invité par l’exécutif à changer le calendrier pour que le texte soit examiné le plus rapidement possible. En ayant tenté avec son gouvernement de bouleverser le calendrier sénatorial Jean Castex disait espérer voir le texte promulgué le plus rapidement possible, initialement une mise en œuvre le 15 janvier, en intégrant les éventuels recours devant le Conseil constitutionnel. La position du Sénat étant de vouloir légiférer dans la sérénité sur un texte de loi aussi sensible, il est vraisemblable que ce délai ne pourra être tenu. Quant aux débats autour de ce projet – si tant est qu’il aboutisse – les observateurs auront noté qu’ils auront été tendus et le seront jusqu’au bout. Les remarques et correctifs que pourra faire le Sénat seront-ils pris en compte ? L’histoire le dira.

Si nos institutions sont amenées depuis plus de deux ans à se prononcer dans l’urgence, au regard de la typologie des projets de lois qui se succèdent, et qui touchent – entre autres aux données personnelles – et aux libertés publiques la CNIL se devrait – de par sa mission – être un pilier de réflexion pour le législateur. Pour rappel la mission de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) en tant qu’ autorité administrative indépendante française est de « veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et qu’elle ne porte atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’Homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques. » Autant dire qu’elle est en tout premier lieu concernée par le passe vaccinal en approche, tout comme elle l’était pour le passe sanitaire. Pour autant les faits sont là pour montrer que l’exécutif ne s’en est pas saisi à des moments cruciaux.

Ainsi en juillet 2021, faute d’avoir pu être saisie par le gouvernement du fait des délais de préparation du projet de loi la présidente de la CNIL avait toutefois – sur demande du rapporteur du texte au Sénat – pu être auditionnée par le Sénat – un « moindre mal -. Le Sénat avait ainsi pu par ce truchement bénéficier de son éclairage concernant le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire. Lors de cette audition, la présidente avait rappelé que la CNIL avait déjà émis deux avis relatifs  au passe sanitaire, le 12 mai 2021 et le 7 juin 2021 et avait déjà mis en garde et souligné la gravité de ce choix et l’extrême prudence qui devait accompagner sa mise en œuvre. Elle avait rappelé que ce passe posait certes  « des problématiques de vie privée et de protection des données à caractère personnel » mais portait plus globalement atteinte à d’autres libertés et droits fondamentaux.

Elle avait en outre rappelé lors de cette audition :

« La nécessité de prêter une attention particulière à l’effet de cliquet d’une telle mesure. Le législateur doit tenir compte du risque d’accoutumance et de banalisation de tels dispositifs attentatoires à la vie privée et de glissement, à l’avenir, et potentiellement pour d’autres considérations, vers une société où de tels contrôles seraient la norme et non l’exception. » Avec l’arrivée du passe vaccinal, et les déclarations du Premier ministre sur lesquels je reviendrai, c’est pourtant bien la banalisation de tels contrôles qui se profile, avec un risque d’aller toujours plus loin  vers un portefeuille numérique obligatoire. Si nous pouvons nous questionner sur les réelles marges de manœuvre du Sénat, du Conseil d’État, et du Conseil constitutionnel pour infléchir les lois qui se succèdent à un rythme effréné, nous pouvons également nous interroger sur le rôle actuel de la CNIL et la capacité qu’elle a à exercer sa mission.

Une CNIL active…  Mais…

Le 30 novembre 2021 par-delà ses avis précédent la CNIL, loin de rester inactive demandait ainsi – dans un quatrième avis  – « des comptes » au gouvernement, réclamant davantage de données sur son efficacité, afin d’être en mesure d’évaluer le dispositif. Nous voilà maintenant rendus au passe vaccinal… un nouveau pas en avant avec des enjeux qui demeurent les mêmes que pour le passe sanitaire. Pourtant il semble que la CNIL soit désormais condamnée par une urgence et un alarmisme régulièrement reconduit et brandi à courir derrière le législateur et alerter un exécutif qui semble souvent faire la sourde oreille, quand il ne se dispense pas de la saisir.

Une CNIL ignorée sur le pass ?

Certes, l’exécutif n’est pas tenu de saisir l’autorité susnommée. Pour autant cela n’est pas conforme aux usages et se passer de saisir cette autorité, négliger ses avis, ne peut être que préoccupant si cela devient la norme. Le dernier exemple en date montrant qu’elle ne peut actuellement assumer sa mission et être un contre-pouvoir efficient, ou tout du moins une force de proposition digne d’écoute,  est la prise de position du Premier ministre à propos du projet de loi actuellement débattu. Concernant la délimitation dans le temps du passe vaccinal Jean Castex a déclaré dans la matinale de BFM/RMC ce 6 janvier 2022 que  « ce n’est pas, à ce stade, ce qui est prévu »… Ignorant ipso facto les recommandations et demandes de garanties sur le sujet émanant de la CNIL.

Vers une CNIL… lanceuse d’alerte sur le pass ?

Une fois les lois promulguées, une fois la CNIL contournée, une fois que la CNIL lanceuse d’alerte s’est exprimée sans effet… Il demeure alors les voitures balais dévouées, pour tenter de sauver ce qui peut être sauvé : à savoir des organismes comme La quadrature du net, la ligue des droits de l’Homme et d’autres qui tentent alors par toute voix légale : Conseil d’état, Conseil constitutionnel, Défenseur des droits… d’infléchir des lois qui peuvent être jugées non proportionnées par rapport à la situation aussi dramatique soit elle, voire… anti-constitutionelle. Des organismes qui tentent sans discontinuer et avec obstination de remettre à l’endroit ce qui a été voté à l’envers et dans la précipitation, une précipitation qui est rarement bonne conseillère.

Article original publié  sur Contrepoints  le 15 janvier 2022

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