Covid-19 : De quoi demain pourrait-être fait ?

Publié par Emmanuel Laisné, le 26 mars 2020   3.9k

Comme beaucoup d’entre vous, je dispose depuis quelques jours d’un peu plus de temps qu’à l’accoutumée pour bricoler, réparer, lire, télétravailler ou simplement laisser le temps s’écouler.

Au milieu de tout cela, je me suis tout de même attaché à lire une étude réalisée par l’équipe de Neil Ferguson - Imperial College, Londres - concernant les scénarios de propagation du COVID-19 au Royaume-Uni ainsi qu’aux Etats-Unis. Cette étude, mise en avant par un article en ligne du journal Le Monde datant du 17 mars 2020, aurait selon le même article été présentée à l’exécutif français par le Conseil scientifique chargé de le guider dans la gestion de la crise sanitaire actuelle le 12 mars. Ce qui a été présenté est d’ailleurs plutôt la grille de lecture émise par ce conseil scientifique, que l’on pourra sans peine retrouver ici1.

Pour les non anglophones, voici un décryptage de l’étude menée par l’équipe du Pr Ferguson.

Préambule

Avant toute chose, je tiens à préciser que je ne suis ni spécialiste de la santé, ni médecin, ni épidémiologiste et bien qu’ayant une formation en sciences et communication scientifique, je ne suis pas infaillible. N’hésitez pas à me faire part d’un désaccord dans les commentaires.

Par un décryptage, j’espère réussir à dégager le raisonnement et les hypothèses de l’étude, y ajouter des éclaircissements facilitant la compréhension par des non spécialistes, pour rendre lisible ses conclusions et ses limites, tout en essayant d’apporter des éléments de contexte limitant le recours à mon interprétation personnelle.

Concernant l’étude :

  • elle porte sur la simulation de la propagation du virus COVID-19 et de son impact en nombre de personnes contaminées, hospitalisées, décédées au fil du temps.
  • elle détaille l’effet de mesures dites non pharmaceutiques que pourraient prendre les gouvernements pour limiter la propagation du virus.
  • elle s’intéresse avant tout au cas du Royaume Uni et des Etats Unis mais serait selon ses auteurs transposable à des pays au développement économique comparable.
  • Comme toute étude scientifique, elle repose sur l’analyse de faits mais aussi sur l’émission d’hypothèses et étant donné l’apparition récente du COVID-19 n’est pas infaillible, ce dont elle convient largement.

Deux stratégies pour lutter contre une épidémie

Qu’il s’agisse du COVID-19 ou d’autres types de virus, il existe bien entendu des variétés de mesures qui peuvent être mises en place pour lutter contre leur propagation mais au final leur application relève de deux choix stratégiques, de deux contextes, de deux objectifs principaux :

  • L’endiguement ou le but est de limiter le nombre de cas voire à supprimer totalement la transmission entre humains en s’assurant, qu’en moyenne, une personne infectée contamine à son tour moins d’une personne. Cela nécessite des actions maintenues dans le temps même par intermittence jusqu’à que le virus ne circule plus ou jusqu’à élaboration d’un vaccin.
  • L’atténuation dont l’objectif n’est pas d’interrompre complètement la transmission du virus, mais principalement de réduire son impact sur la santé en concentrant par exemple les efforts (médications, prise charge des patients, vaccination) sur des populations fragiles et présentant des risques de complication. Dans ce scénario, on s’attend à ce qu’une personne contaminée transmette le virus à plus d’une personne en moyenne et qu’au  fil du temps une partie de la population développe une immunité qui bénéficiera à tous avec une décroissance du nombre de cas au fil du temps. C’est la stratégie adoptée face à la la grippe saisonnière.

Chaque mesure prise individuellement ne relève ni de l’une ou de l’autre de ces deux stratégies. Combinées les unes aux autres elles permettront de réduire le taux de transmission de personne à personne - on le retrouve souvent noté R dans les publications et même R0 lorsqu’il s’agit du taux de transmission en l’absence de mesure prise. Si une personne contaminée contamine à son tour moins d’une personne (R<1) nous sommes face à une stratégie de suppression à l’inverse si elle en contamine plus d’une (R>1) il s’agit d’une stratégie d’atténuation.

Il est à l’heure actuelle encore tôt pour dire si nous sommes en réalité dans une stratégie d’endiguement ou d’atténuation en France. Si les mesures mises en place sont caractéristiques d'une stratégie d'endiguement, il n’est pas assuré que leur efficacité soit suffisante pour que ce soit le cas. Si l’efficacité n’était pas au rendez-vous, nous serions finalement plutôt sur une stratégie d’atténuation et en réalité, le succès de l’une ou l’autre des stratégies relève d’un autre facteur.

La capacité du système de santé comme seul juge

Atténuation ou endiguement, les deux stratégies semblent avoir leurs adeptes au sein des différents gouvernements. 

Le Royaume-Uni, les Pays-Bas entre autres ont ainsi clairement misé sur l’immunité collective et une stratégie d’atténuation en choisissant au tout début de l’épidémie de ne pas fermer les bars, restaurants et autres lieux de convivialité. Le retour en arrière de ces derniers jours du Royaume-Uni ne signifie d’ailleurs pas que le pays ait  véritablement changé de stratégie. Tout comme le confinement plus strict initié en France, n’est pas nécessairement la garantie d'aboutir à une suppression.

Par ailleurs, quelle que soit la stratégie choisie, une autre variable reliée au système de santé entre en jeu : la capacité à accueillir et à prendre en charge les malades. C’est d’ailleurs l’un des éléments souvent mis en avant dans les éléments de communication avancés pour expliquer les stratégies de lutte contre l’épidémie. Ainsi, nous avons pu voir sur le plateau de BFMTV au soir du 9 mars 2020, l’actuel ministre de la Santé français Olivier Veran dessiner à main levée un croquis pour expliquer la stratégie du gouvernement. Ce croquis, reproduit ci-après et initialement publié par le Center for Disease Control and Prevention aux Etats-Unis, met en avant l’effet des mesures qui permettrait d’étaler le nombre de cas contaminés dans le temps (courbe bleue) en restant sous les capacités maximum du système de santé (ligne pointillée) en comparaison d’un scénario dans lequel aucune mesure ne serait prise et où le nombre de malades excéderait les places au sein des hôpitaux (courbe orange). Il est important de garder à l'esprit que ce croquis est utilisé initialement pour illustrer une stratégie d'atténuation de l'épidémie.

Courbes attenuation
Illustration schématique des enjeux des mesures prises afin d’influer sur la propagation du Covid-19 dans le cadre d'une stratégie d'atténuation de l'épidémie.
Source : Center for Diseases Control and Prevention, Drew Harris

C’est donc finalement au regard du nombre de places disponibles dans les unités de soins intensifs destinées à accueillir les cas les plus graves que l’équipe du Pr Fergusson a examiné différents scénarios correspondant à différentes combinaisons de mesures. Selon qu’ils permettent de rester dans les limites raisonnables d’accueil des structures hospitalières. Que l’on soit clair, ceci n’évitera pas les morts, mais augmentera les chances de survies des personnes affectées gravement par la maladie.

Comment lutter ?

Il ne s’agit pas ici de dresser la liste des actions pouvant être mises en place, qu’elles relèvent d’une stratégie étatique ou bien d’initiatives individuelles ou collectives telles que la mobilisation de la communauté des makers pour établir des ateliers de conception de masques de protection. Il ne s’agit pas non plus de discuter la tentative d’élaboration de traitement des symptômes graves ou encore d’un vaccin.

Il s’agit de détailler les mesures étudiées par l’équipe du Pr Fergusson qui visent spécifiquement à ralentir la propagation du virus par la limitation du taux de transmission. On parle d’interventions non-pharmaceutiques2.

Elles sont au nombre de cinq et je reporte ici leur nom anglais pour favoriser la lecture des résultats par la suite :

  • Case isolation : isolation volontaire des personnes présentant des symptômes à la maison pendant 7 jours
  • Houseold quarantine : quarantaine volontaire de tout le foyer pendant 14 jours suite à l’apparition d’un cas symptomatique au sein du foyer
  • Social distancing > 70s : distanciation sociale des personnes au-delà de 70 ans
  • Social distancing : distanciation sociale de l’ensemble de la population
  • Closing school and universities : Fermeture des écoles et universités (25% des universités restant ouvertes)

Les deux premières relèvent d’une application volontaire par la population. Les trois suivantes sont le résultat de mesures gouvernementales mais dépendent aussi de leur application et nous en reparlerons.

On notera qu’aucune mesure de confinement n’est ici explicitement mentionnée et j’y reviendrai. Enfin, on peut s’interroger sur un vocable qui a fait son apparition dans le langage courant depuis quelques semaines : la distanciation ou l’éloignement social.

Distanciation sociale, un concept mal connu du grand public

Comme le suggèrent les demandes constantes sur le fil d’actualité du journal Le Monde sur ce que nous pouvons actuellement faire en situation de confinement où les interventions régulières des autorités politiques en forme de mise au point, la notion de distanciation sociale est dure à appréhender.

Le lexique mis en place par le gouvernement canadien pour comprendre l’épidémie de Covid-19 ou encore une publication du département de santé publique de l'hôpital du comté de Santa Clara en Californie n’éclaire que partiellement ce que recouvre cette notion. Celle-ci est décrite comme une série de mesures mises en place pour limiter la propagation d’une maladie caractérisée par : 

  • l'évitement des endroits bondés, des lieux de rassemblements 
  • l’évitement des contacts étroits
  • le maintien d'une distance d'au moins un mètre entre les personnes.

Ce terme est connu en infectiologie et peut-être moins connu du grand public et semble à l’issue de mes recherches plus documenté et commun dans le monde anglo-saxon bien que je ne puisse l’affirmer avec certitude.

Il est à géométrie variable et surtout, les mesures politiques qui peuvent permettre de le garantir, varient d’un pays à l’autre : fermeture des bars, incitation au télétravail, restriction des transports, confinement de la population, interdiction ou non du jogging …. Aucune précision n’est faite sur ces mesures précises dans l’étude conduite par le Pr Ferguson.

Est-ce grave de ne pas connaître les mesures politiques exactes dans le cadre de cette étude ? En réalité non. La propagation du virus est étudiée via un modèle mathématique qui matérialise simplement une diminution des contacts entre personnes à l’issue de l’application des mesures quelles qu’elles soient.  La distanciation sociale dont il est question, réduirait les contacts au travail, dans le cadre des loisirs mais les augmenterait à la maison en raison d’un temps de présence chez soi plus long. Tout ceci dans des proportions indiquées dans l’étude et basées sur d’autres études spécifiquement dédiés à la modélisation des contacts sociaux entre individus dans des contextes d’épidémie.

Ce qui dans ce contexte est probablement plus gênant, c’est de ne pas pouvoir réaliser de dépistage massif de la population, pour pouvoir tester les hypothèses de l’équipe du Pr Fergusson quant à la diminution réelle des contacts et des infections qui en résultent. Ceci empêche de contribuer à l’amélioration de l’étude pour mieux comprendre ce qui nous attend.

Tout ceci étant dit, qu’elles sont exactement les hypothèses sur lesquelles se fonde cette étude et que nous dit-elle ?

Quels ingrédients ?

L’élément clé de l'étude est la constitution d’un modèle de propagation de l’épidémie liée au virus COVID-19. Pour pouvoir établir ce modèle et tester l’efficacité probable des mesures mises en place, il faut une série d’ingrédients indispensables. A commencer par une connaissance de la population concernée qui comprend :

  • la répartition des personnes sur le territoire. Dans la présente étude, une répartition détaillée haute résolution des populations du Royaume-Uni et des Etats-Unis.
  • Une pyramide des âges ainsi qu’une idée de la constitution des ménages (pourcentage de personnes vivant seules ou en couple, nombre d’enfants par ménage) basée sur les données de recensement.
  • Des données sur la population scolaire (taille des classes, nombre de professeurs et personnel en contact avec les élèves)
  • Des données sur le milieu du travail : taille des entreprises, distance moyenne au lieu de travail pour pouvoir simuler les trajets probables des populations entre leur lieu de vie, de travail, l’école de leurs enfants, etc.

Le tout en supposant que la transmission du virus survient dans quatre contextes : sur le lieu de travail, à la maison, à l’école et dans une communauté élargie (les lieux ou nous faisons nos courses, notre salle de sport favorite, la salle de cinéma, les bars ...). Dans ce dernier cas, la transmission dépend fortement de la distance entre les personnes. 

La proportion de personnes infectées dans ces différents contextes est l’un des ingrédients du modèle et est issue d’études sur la dissémination des maladies infectieuses via le contact social. En l’absence de mesures prises pour limiter la propagation, il est intéressant de noter que les maladies infectieuses se transmettent en général de la manière suivante :

  • le tiers des cas résulte de contamination à la maison par des membres de la famille
  • un autre tiers résulte des contacts à l’école ou au travail
  • le dernier tiers survient lors de nos autres activités quotidiennes

Les mesures évoquées plus tôt visent à modifier ces mécaniques de transmission.

A ceci s’ajoutent les ingrédients propres au virus :

  • La période d’incubation estimée en moyenne à 5,1 jours sur la base des données en provenance de la province de Wuhan (Chine)
  • La contagiosité des personnes infectées. Dans l’étude, la période de contagiosité, est supposée démarrer 12h avant l’apparition des premiers symptômes pour les personnes en développant et 4,6 jours après l’infection pour ceux n’en présentant pas. La contagiosité des malades est différente selon qu’ils présentent des symptômes ou pas et en partie aléatoire. L’étude fait l'hypothèse d’une contamination 1,5 fois plus probable dans le cas où une personne présente des symptômes. En moyenne, une personne infectée contaminerait une seconde personne 6,5 jours après avoir elle-même contracté le virus.
  • Le nombre de personnes infectées par une même personne (en l’absence de mesures prise pour limiter la propagation) déduite des données issues de la province de Wuhan. 2,4 personnes mais l’équipe a fait varier ce paramètre entre 2 et 2,6 personnes.
  • Des probabilités de contamination différentes en fonction des classes d’âge.
  • une immunité ou non face au virus à l’issue d’une première contamination. Dans l’étude, les individus contaminés une première fois sont supposés être immunisés à court-terme en l’absence de mutation du virus. 

Complétés par les informations sur l’identification des malades et la prise en charge en fonction de l’évolution des symptômes issue des données en provenance de Chine et d’Italie, le tout par catégorie d’âge :

  • ⅔ de malades présentant suffisamment de symptômes pour identifier d’eux même l’infection par le virus.
  • proportion de malade nécessitant une hospitalisation : 4,4% des cas au total.
  • proportion de malade nécessitant l’admission dans un service type réanimation : 30% des cas hospitalisés.
  • proportion de malades décédant du virus : 0,9% des cas.
  • le jour d’admission et le temps passé à l'hôpital afin d’évaluer la disponibilité des lits : hospitalisation survenant généralement 5 jours après l’apparition des premiers symptômes, 8 jours hospitalisé pour les cas non-critiques, 16 jours lorsque une admission en réanimation est nécessaire dont 10 dans le service de réanimation.

Et enfin il faut constituer le modèle en question permettant d’amalgamer tous ces ingrédients. Il s’agit d’une modélisation mathématique qui donne lieu à des simulations de la propagation dans le temps du virus et dans lesquels il est possible de faire varier les différents ingrédients pour explorer différentes hypothèses. On retrouvera à ce sujet un excellent article de CNRS Le journal. Concernant celui utilisé par l’équipe du Pr Ferguson, précisons :

  • qu’il est en constant développement et a ici été adapté puisqu’il faisait déjà l’objet d’une publication dans la revue Nature en 2006, ainsi que d’une présentation à l’Académie des Sciences aux Etats-Unis en 20083
  • son développement et les hypothèses réalisées sont issus à la fois des données provenant de l’étude des épidémies au fil de l’Histoire mais aussi des premières données issues de la propagation du Covid-19 en Chine et en Italie notamment. Il est ajusté pour permettre une description de l’épidémie à l’heure actuelle et dresser des scénarios futurs.

Quels résultats ? 

Les résultats de l’étude tiennent en quelques courbes et quelques considérations. Rappelons qu’elle s’applique au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

Comme évoqué plus tôt, l’évolution de l’épidémie a été examinée par l’équipe du Pr Ferguson, non pas en terme de nombre de personnes touchées mais en terme de nombre de lits de soins intensifs occupés pour 100 000 personnes. C’est ce qui est représenté sur l’ensemble des courbes présentées dans l’étude et reproduites ci-après. Sur chacune des courbes, une ligne rouge horizontale est tracée. Celle-ci représente le nombre de lits en soins intensifs disponibles pour 100 000 personnes et raisonnablement un seuil qu’il ne faudrait pas dépasser4

Si nous ne faisons rien

L’équipe du Pr Ferguson conclut qu’en l’absence de mesure prise, le pic épidémique serait atteint en l’espace de 3 mois avec 81% de la population touchée au fil du temps, chaque personne contaminée contaminant en moyenne 2,4 autres personnes  Les capacités d’hospitalisation des cas graves seraient dépassées dès la 2ème semaine d’avril et au pic de l’épidémie le nombre de cas graves nécessitant une hospitalisation serait 30 fois supérieur aux capacités du système hospitalier du Royaume-Uni. 510 000 morts seraient attendus au Royaume-Uni et 2,2 millions de morts aux Etats-Unis. 

Convenant qu’il est impossible de ne pas agir, l’équipe de Neil Ferguson a étudié la combinaison des cinq mesures non-pharmaceutiques détaillées plus tôt pour élaborer des scénarios permettant d’aboutir soit à l’atténuation de l’épidémie, soit à sa suppression.

Une stratégie d’atténuation inacceptable ?

Sur la figure suivante, sont représentées différentes combinaisons permettant de se placer dans une stratégie d’atténuation de l’épidémie via l’application de mesures pendant 3 mois - bande bleue. N’est pas considérée la distanciation sociale généralisée qui est considérée comme une mesure relevant d’une stratégie de suppression de l’épidémie.

Strategie attenuation
Simulation de l’impact de l’application de différentes combinaisons de mesures non-pharmaceutiques sur le nombre de cas nécessitant une hospitalisation en soins intensifs pour 100 000 habitants dans le cadre de différentes stratégies d’atténuation de l’épidémie de COVID-19 au Royaume-Uni. En noir, le cas où aucune mesure n’est prise.Source : Neil Ferguson et al., Imperial College London


Quelles que soient les combinaisons envisagées, l’étude conclut que :

  • étant donnée la dynamique de propagation du Covid-19 aucun scénario d’atténuation ne permet d’éviter la saturation du système hospitalier au Royaume-Uni
  • La combinaison la plus efficace parmi celles étudiées consiste à isoler les malades, placer l’ensemble d’un foyer en quarantaine lorsqu’une personne infectée y est identifiée et demander aux personnes de plus de 70 ans de s’appliquer des mesures de distanciation sociale.
  • Les mesures consistant à éviter les grands rassemblements, événements dans le cadre d’une stratégie d’atténuation n’ont que peu d’effet, car le temps passé à de tels événements est court au regard de celui passé au travail, à l’école pour les enfants et le corps enseignants, dans des bars, restaurants, etc. (la courbe correspondante n’est pas montrée).
Une stratégie d'atténuation de l'épidémie ne peut que difficilement être considérée comme une option viable.

L’équipe de Neil Ferguson commente ces résultats en considérant que la stratégie d’atténuation de l’épidémie peut difficilement être considérée comme une option viable. Et la courbe que nous avons pu retrouver ça et là et mentionnée en début d’article, celle dessinée par le ministre de la Santé n’existe qu’en théorie car la capacité du système de santé n’est pas suffisante pour absorber les cas issus d’une simple atténuation de l’épidémie.

Une stratégie de suppression au long cours

L’équipe de Neil Ferguson a considéré différentes combinaisons de mesures permettant de s’inscrire dans une stratégie de suppression, c’est à dire d’assurer qu’une personne contaminée contamine elle-même moins d’une personne en moyenne. Les mesures sont maintenues pendant une période de 5 mois (bande bleue). De leur étude se dégagent deux combinaisons permettant d’assurer cet objectif :

  • Isolation des personnes présentant des symptômes à la maison pendant 7 jours, associée à la mise en quarantaine de l’ensemble du foyer pendant 14 jours et à des mesures de distanciation sociale. Courbe orange.
  • Fermeture des écoles et universités associée à l’isolation des personnes présentant des symptômes à la maison pendant 7 jours et à des mesures de distanciation sociale. Courbe verte.

Nota bene : la différence entre les deux combinaisons réside dans l’application de la fermeture des écoles et université ou bien d’une quarantaine à la maison. Il est aussi possible d’appliquer les deux et l’efficacité dans le ralentissement de l’épidémie est d’autant plus grande durant la période d’application des mesures. C'est ce qui est appliqué actuellement en France.

Strategie suppression
Simulation de l’impact de l’application de différentes combinaisons de mesures non-pharmaceutiques sur le nombre de cas nécessitant une hospitalisation en soins intensifs pour 100 000 habitants dans le cadre de deux stratégies de suppression de l’épidémie de COVID-19 au Royaume-Uni. En noir, le cas où aucune mesure n’est prise. La figure du bas (B) est un zoom permettant d'examiner plus spécifiquement le dépassement potentiel des capacités du système de santé pendant le maintien des mesures.
Source : Neil Ferguson et al., Imperial College London

L’étude conclut que :

  • la combinaison fermeture des écoles, isolation des personnes infectées et distanciation sociale est la seule permettant de rester dans la limite des capacités du système de santé et que des mesures additionnelles peuvent assurer une limitation de la propagation encore plus drastique jusqu’au confinement complet qui est la stratégie la plus efficace.
  • les effets des mesures ne sont perceptibles qu’au bout de 3 semaines à minima.
  • la stratégie de suppression n’est qu’un moyen pour temporiser. Une fois les mesures prises abandonnées, l’épidémie est appelée à reprendre en l’espace de quelques mois et ce d’autant plus largement que la stratégie de suppression aura été efficace puisque celle-ci aura empêché la population de développer une immunité de groupe.
Une stratégie de suppression de l'épidémie n'est que façon de temporiser dans l'attente d'un vaccin.

De ces résultats, l’équipe de Neil Ferguson émet le commentaire suivant. La stratégie de suppression de l’épidémie bien qu’étant la seule acceptable, est une manière d’attendre l’élaboration d’un vaccin. L’équipe estime le temps d’élaboration d’un vaccin comme étant de 12 à 18 mois et que donc des mesures pourraient être maintenues a minima de manière épisodique pendant toute cette période.

S'adapter au temps long

Consciente que le maintien de mesures drastiques pendant des mois serait difficile pour la population, l’équipe de Neil Ferguson propose une stratégie consistant à appliquer sur deux ans une stratégie de suppression de l'épidémie dans laquelle la fermeture des écoles et la distanciation sociale ne sont appliquées que de manière épisodique lorsque un seuil de patients admis dans les services de soins intensifs est franchi. Les mesures d’isolation des cas et de quarantaine du foyer sont maintenues quant à elles tout au long des deux ans.

Une telle stratégie permet d’envisager des moments de respiration pour la population mais il n’en reste pas moins que dans l’éventail des cas envisagés dans l’étude, les mesures de distanciation sociales et de fermeture des écoles sont en vigueur la majorité du temps (55% du temps dans le meilleur des cas et vraisemblablement plus de deux tiers du temps).

Ajout suite au commentaire de  Panda G :

Avec l'application d'une stratégie de suppression maintenue dans le temps jusqu'à la découverte d'un vaccin, les projections de l'équipe de Neil Ferguson font état d'environ 20 000 morts sur une période de 2 ans et le bilan final pourrait se situer bien en dessous selon ses propos relayés le 25 mars sur le site New Scientist.

Pourquoi sommes-nous confinés ?

A la lecture de l’étude, il semble exister un paradoxe. C’est elle qui semble avoir beaucoup orienté les avis du Conseil scientifique nommé auprès du gouvernement et de l’exécutif français. Ces derniers ont décidé la mise place du confinement de l’ensemble des Français. Une mesure qui n’est pas que succinctement évoquée et qui semble aller bien au-delà de la définition de la distanciation sociale ou même des mesures d’isolement abordées dans l’étude.

Le diable se loge dans les détails et finalement, tout tient peut être au respect des mesures par la population à proprement parler.

Le respect des mesures est modélisé dans l’étude de l’équipe du Pr Fergusson. L’étude avertit d’ailleurs sur les différences culturelles pouvant exister entre différents pays quant à la propension à consentir à des mesures restreignant les libertés ou bien allant à l’encontre d’habitudes profondément ancrées.

Dans l’étude, il est ainsi considéré par exemple que :

  • 70% des personnes respectent l’isolement à la maison lorsqu’elles voient apparaître des symptômes et ce dès le jour suivant leur apparition.
  • 50% des personnes respectent la mise en quarantaine de tout le foyer lorsqu’un cas apparaît à la maison.
  • 75% des personnes âgées accepterait des mesures de distanciation sociale
  • et les mesures de distanciation sociale globale sont réputées réduire les contacts entre personnes de 75% (25% dans le cadre du travail).
Sommes nous suffisamment restés chez nous ?

Est-ce réellement le cas ? Avant le 17 mars dernier, sommes-nous suffisamment restés chez nous à l’apparition d’une toux suspecte ? Avons-nous accepté de réduire notre vis sociale à notre foyer ? Avons-nous augmenté la distance avec nos collègues ? A titre personnel, non.

Le confinement répond probablement à une application trop lâche par la population de la distanciation sociale par rapport à un objectif de suppression de l’épidémie nécessaire pour éviter la saturation du système de santé. Il pourrait aussi être lié à une application tardive de mesures pour endiguer sa propagation même si l’étude tend à prouver que ce facteur n’est pas prépondérant. Et au final, le confinement n’est que la version la plus drastique de la distanciation sociale. 

Est-il pertinent ?

L’avenir nous le dira avec peut-être des démonstrations funestes puisque tous les pays n’ont pas adopté les même stratégies. Les décisions prises en Chine de placer tous les patients en quarantaine au sein des hôpitaux, aux Pays-Bas de ne pas appliquer de distanciation sociale, au Royaume-Uni de ne déclencher la distanciation sociale que tardivement pour parier sur l’immunité collective feront école ou non.

Une étude à remettre dans son contexte

L’étude de l’équipe du Pr Ferguson éclaire la situation actuelle mais n’est pas pour autant une prédiction sûre des mois à venir. Elle esquisse des scénarios, permet d’envisager des temporalités, des modes d’actions mais doit surtout continuer d’être enrichie par l’expérience que la communauté scientifique va continuer d’engranger au cours des mois à venir. En cela, le manque de dépistage systématique en France est regrettable comme le pointe un article publié dans CNRS Le journal qui mentionne que ce choix fait “planer une grande incertitude” sur les projections.

Le même article pointe d’ailleurs du doigt le manque de modèles de propagation spécifiquement développés pour la France alors que le Royaume-Uni dispose d’un arsenal de modélisations prêtes à être adaptées comme c’est le cas dans l’étude dont il est question ici. L’équipe de Ferguson estime néanmoins que son étude permet d’éclairer la situation d’autres pays avec un niveau de développement et des infrastructures comparables telle que la France.

Et finalement que nous dit l’étude ? Elle nous dit que la situation n’est pas l’affaire de quelques semaines, elle nous dit que la situation est à prendre au sérieux, elle nous dit que des dizaines de milliers de morts sont à attendre ne serait-ce qu’au Royaume-Uni. Elle ne nous dit pas si nos systèmes de santé seront en mesure d’absorber le choc dans un contexte où les personnels soignants aussi sont contaminés, si les mesures prises seront suffisantes et suivront les projections quant bien même elles seraient pertinentes, elle ne nous annonce pas la date à laquelle tout cela sera derrière nous ...

Pourquoi ne nous dit-elle pas tout et pourquoi cela ne signifie pas qu’il faille ne pas la prendre au sérieux ?

  • Le virus SARS-COV-2 est un virus tout nouvellement apparu. Nous manquons donc de données pour établir de manière certaine des scénarios d’évolution. Chaque ingrédient du modèle représente ainsi une hypothèse raisonnable au regard des données actuelles mais il existe des marges d’erreurs parfois énormes accentuées par des biais statistiques. 
  • Les mesures étudiées sont systémiques et globales et posent des hypothèses sur un amenuisement des contacts au sein de la population. Mais elle ne s’attache pas de manière fine à refléter le degré de respect des mesures par les populations, tout comme elle ne tiennent pas compte de l’initiative de votre primeur de limiter le contact de ses clients avec ses fruits et légumes en les servant lui-même, ne permettent pas de mesurer l’impact d’une tentative de record du nombre de schtroumpfs dans un même rassemblement à Landerneau le 7 mars dernier.
  • L’étude considère un système de santé dont le fonctionnement serait non-affecté par la fermeture des écoles et où la garde des enfants ne viendrait pas perturber la disponibilité des personnels soignants. Un système dans lequel la nécessité de protéger aussi les soignants ne viendrait pas impacter les capacités d’accueil et de traitement.

Il reste un modèle de propagation et d’estimation du nombre de cas à perfectionner. Saluons néanmoins qu’il soit pris en considération pour esquisser les mesures prises pour traverser cette crise sanitaire et qu’un conseil scientifique soit venu appuyer les politiques dans les décisions qui s’annoncent.

Pour l’heure, nous en restons pour beaucoup à scruter au jour le jour l’évolution de la situation. Scientifiques, journalistes et politiques font de même …

Notes

  1. On notera que l’article de Neil Ferguson, n’est pas cité dans le document émis par le Conseil scientifique. Cependant, il est fait référence de nombreuses fois à des communications personnelles avec Neil Ferguson. L’article de Ferguson ayant été publié le 16 mars, alors que l’avis du conseil scientifique a été émis le 12 mars, il est raisonnable de penser que ce sont les éléments de cet article qui ont été communiqués avant même sa parution. Ceci est renforcé par l’affirmation du journal Le Monde, concernant le fait que les éléments de l’article aient orienté le Conseil Scientifique.
  2. En l’absence de vaccin, les interventions non pharmaceutiques représentent l’unique moyen de lutte disponible contre la propagation du virus. Des solutions - comme celle actuellement testées au sein de l’Union Européenne - pour traiter les symptômes peuvent être développées et concourir à restreindre l’aggravation de l’état et affaiblir le taux de mortalité des patients affectés. Cependant ces solutions ne constituent pas un moyen de ralentir l’épidémie.
    Ce sont ces interventions qui furent mises en place dans certaines villes des Etats-Unis lors de l’épidémie dite de Grippe espagnole de 1918 (Grippe H1N1). Selon un article cité par l’étude et rédigé par une partie de la même équipe, ce type de mesure à permis de limiter l’émergence de cas lorsque les mesures restaient en place mais a conduit à un rebond lors de leur relâchement. Cependant, la mortalité a été moindre dans les villes les adoptant.
  3. Ceci explique la rapidité avec lesquels l’équipe a été en mesure de publier ses résultats et le fait que le Conseil scientifique se soit tourner vers Neil Ferguson pour esquisser des recommandations en l'absence d'études équivalentes en France.
  4. La capacité des services des soins intensifs est selon l’étude de 8 lits pour 100 000 personnes aux Royaume-Uni. A en croire les données publiées par le National Center for Biotechnology Information cité par l’article suivant, la France disposerait d’environ 12 lits de soins intensifs pour 100 000 habitants. Les données datent un peu (2012) mais rejoignent les derniers chiffres relayés dans la presse faisant état de plus de 7000 lits pour environ 69 millions d’habitants.

Sources