La place des femmes dans la recherche scientifique

Publié par Éloïse Trouche, le 7 avril 2020   23k

La Fondation l’Oréal rappelle en 2018 que 28% des chercheurs sont des femmes. Aujourd’hui, on constate un important manque de femmes dans la science, et ce depuis toujours. Quelles sont les inégalités de genre dans la science en France et quelles sont les actions mises en place pour les révéler  ?

Inégalités : quelles sont-elles ?

François Poulain de la Barre a écrit : « Les femmes sont aussi nobles, aussi parfaites et aussi capables que les hommes. Mais cela ne peut être établi qu’en refusant deux sortes d’adversaires : le premier est la pensée vulgaire, le second est l’ensemble de presque tous les savants ». C’est d’ailleurs à cet écrivain que l’on doit la célèbre formule « l’esprit n’a pas de sexe » que Simone de Beauvoir avait mise en épigraphe du Deuxième Sexe.

Un retour historique

Les inégalités entre les hommes et les femmes dans les sciences ne datent pas d’hier. En Grèce Antique, de nombreuses femmes ont travaillé au côté de Pythagore sur l’étude de la philosophie naturelle, c’est-à-dire l’étude objective de la nature et de l’univers physique. Pourtant, tous les travaux étaient publiés sous le nom de Pythagore, il est impossible de savoir à quelle femme on peut attribuer des avancées scientifiques. Cependant, au Ier siècle av-JC, la contribution des femmes dans les recherches et les travaux est considérée avec beaucoup d'importance. A cette période, Marie La Juive, une des fondatrices de l’alchimie, créé plusieurs instruments de chimie comme le bain-marie et d’un type d’alambic. 

Au Moyen Âge, la religion et la culture empêchent l’éducation et la participation des femmes dans les sciences malgré le succès de certaines. Les femmes sont écartées du travail artisanal car elles créent de la concurrence. En 1688, une loi leur interdit d’exercer ce type d’activité artisanale. Les couvents permettent pourtant aux femmes de recevoir une éducation et elles peuvent faire des recherches scientifiques. Au XIème siècle, les premières universités ouvrent leurs portes mais l’accès est interdit aux femmes.

Au XVIIIème siècle, les femmes prennent une importance en science et qui fait des progrès. Le Siècle des Lumières a permis à certaines femmes de prendre de l’importance et de marquer l’histoire. Par exemple, Emilie du Châtelet, qui a traduit un ouvrage de Newton et a été encouragée par Voltaire pour approfondir ses connaissances en physique et en mathématiques. C’est une des premières femmes scientifiques à avoir influencé son entourage et dont on ait conservé les écrits.

Au XIXème siècle, les sciences restent un domaine dans lequel les femmes sont peu représentées, cela vient du fait qu’elles sont exclues de l'enseignement scientifique mais petit à petit, elles gagnent de la place dans les sociétés et les institutions de cette époque. A cette période, les femmes étaient également jugées incompétentes pour comprendre les travaux scientifiques. Elles ne pouvaient avoir accès aux progrès scientifiques et aux recherches qu’à travers des discussions ou des ouvrages de vulgarisation scientifique qui leur étaient spécialement destinées.

La place des femmes dans les sciences a beaucoup évolué : de nombreuses femmes ont marqué l’histoire en apportant de grandes avancées scientifiques. 

Marie Curie
Marie Curie en 1898

Marie Curie, scientifique d’origine polonaise, était cheffe de laboratoire au début des années 1900. En 1911, elle obtient un prix Nobel pour ses travaux en chimie. C’était une pionnière sur la recherche de la radioactivité. Mae C. Jeminson est la première femme astronaute afro-américaine. Avant d’entrer dans le programme spatial, elle était médecin et a travaillé en Sierra Leone et au Libéria. Il y a également Rosaland Franklin, une biologiste moléculaire qui a fait de grandes découvertes sur l’ADN, notamment sur sa structure à deux hélices. Cependant, elle n’a jamais été créditée pour sa découverte , car spoliée par Watson, Crick et Wilkins elle ne fera pas partie des nobellisés.



Les inégalités aujourd’hui

De nos jours, les inégalités concernant les femmes dans les sciences sont encore très présentes. Les femmes ont toujours du mal à trouver leur place dans ces milieux. D’après une analyse de l’Observatoire des inégalités, on comprend que dans les filières scientifiques, les femmes sont mal représentées avec seulement 38,7% de l’effectif des formations scientifiques de l’université. De plus, on observe que lors de la première année de PACES, plus de femmes sont inscrites, réussissent et n’ont pas peur de la compétition. Bien que l’on puisse observer certaines hausses de la part des femmes dans ces formations, on peut se demander pourquoi elles sont si mal représentées au sein des formations. Est-ce dû aux nombreux stéréotypes transmis dès la naissance et pendant l’enfance ? En effet, les compétences et les qualités ne sont pas valorisées de la même manière selon que l’on soit une fille ou un garçon. Cela induit que les filles ont plus de difficultés à choisir des filières scientifiques qui sont plus caractérisées comme “masculine”. Aussi, la représentativité des femmes en tant qu’enseignantes dans ces domaines est aussi peu élevée ce qui n’encourage pas les filles à aller dans un secteur où elles ne seront que très peu mises en avant. 

Certaines études, notamment celle de l’Observatoire des inégalités, confirment que si les femmes sont présentes mais elles le sont dans une moindre proportion que les hommes, qui dominent. Globalement, les hommes sont plus souvent invités par les journaux, on retrouve plus d’articles publiés par des hommes que par des femmes et celles-ci sont également beaucoup moins citées que les hommes. L’étude menée par des chercheurs de l’Université de Melbourne montre que les stéréotypes sont toujours présents. En effet, ils observent que les femmes sont plus présentes dans les domaines scientifiques liés au soin comme la médecine par exemple, alors que les hommes le sont plutôt dans les domaines comme la robotique, les mathématiques ou encore la physique des hautes énergies. Sur 115 disciplines scientifiques, 85 d’entre elles sont majoritairement dominées par les hommes. D’après le CERN (Laboratoire européen pour la physique des particules), les femmes représentent seulement 20% sur l’ensemble de leur personnel ce qui reste très peu.

L’enquête OMéGARS - menée avec la collaboration de l’association Femmes & Sciences, le CNRS Occitanie ouest et de deux universités de Toulouse - consiste à étudier le point de vue d’hommes scientifiques sur la carrière des femmes. On observe que les opinions divergent. La grande majorité de ces hommes trouve des raisons pour expliquer l’inégalité, comme par exemple le fait de leur entrée tardive sur le marché du travail. D’autre, peu nombreux, soutiennent que ces inégalités sont visibles et estiment que les systèmes de recrutement sont plus favorables aux profils des hommes et donc discriminants. Enfin, certains hommes nient le problème et disent même que les mesures prônées portent préjudice aux hommes. Plusieurs solutions sont proposées par le projet afin de réduire les inégalités, notamment une sensibilisation et une éducation permettant de donner l’envie aux jeunes filles de se diriger vers les sciences. Ce projet propose aussi de permettre un accompagnement pour les femmes afin de lutter contre leur autocensure. 

Donna Strickland recevant son prix Nobel le 2 octobre 2018.

Le 2 octobre 2018, la physicienne Donna Strickland est la troisième femme en 116 ans à remporter un prix Nobel en physique, cela peut représenter une avancée mais prouve une nouvelle fois que les femmes subissent encore et toujours des inégalités dans ce secteur.


L’effet Matilda : une représentation des inégalités

On peut également observer ces inégalités à travers ce qu’on appelle “l’effet Matilda”. C’est le fait de minimiser, voire de nier complètement l’implication des femmes dans une grande découverte scientifique. L’historienne des sciences Margaret Rossiter l’a théorisé et lui a donné ce nom après s’être rendue compte que beaucoup de femmes étaient évincées de gros projet scientifiques menés par des hommes et ayant reçu des prix Nobel quelques années plus tard. Voici quelques exemples.

La physicienne Mileva Einstein a travaillé toute sa vie avec son mari Albert Einstein mais lui seul a reçu tous les prix et encore aujourd’hui son implication est soumise à des débats. Une autre physicienne, Lise Meitner a travaillé sur le “projet uranium” et a découvert le principe de la fission nucléaire. Ce sont seulement ses deux collègues hommes qui recevront le prix Nobel de la chimie en 1944. La chimiste Rosalind Franklin, détermina la structure de l’ADN en hélice qui a révolutionné la médecine, mais encore une fois, ce sont ses collègues masculins qui recevront le prix Nobel de médecine en 1962. Enfin, Jocelyn Bell est astrophysicienne et découvre les pulsars (source de rayonnement électromagnétique, se manifestant par des émissions brèves à intervalles réguliers). La découverte est publiée sous le nom de son patron masculin qui obtient le prix Nobel de physique en 1974. 

Ce ne sont que quelques exemples mais si l’on continue de chercher, on se rendra probablement compte que d’autres découvertes sont dues à des femmes alors que des hommes s’en attribuent le mérite. 

On en parle !

Association : femme & sciences

L’association “femmes & sciences” a été créée en 2000 par Huguette Delavault et plusieurs autres femmes scientifiques, dont Claudine Hermann, la première femme nommée professeure à l’Ecole Polytechnique. Le premier partenaire de l’association était “l’association femmes et mathématiques”. La présidente est actuellement Nadine Halberstadt.

Cette association a plusieurs buts. Elle vise à la fois à améliorer l’image de la femme dans les sciences mais aussi l’image qu’a le monde des sciences sur ces dernières. Elle essaie de rétablir la vérité sur les clichés développés par la société sur la femme dans le milieu scientifique. Elle a aussi pour but de renforcer le statut des femmes dans les carrières scientifiques et de les faire accéder à un réseau professionnel féminin.

Elle regroupe plus de 300 membres et mène des actions d'envergure nationales et régionale. Ces missions passent par des conférences, des colloques, des expositions ainsi que des animations toujours sur le thème des femmes dans la science. Par exemple, en 2018, lorsque Toulouse a été élue “Cité européenne de la science”, l’association a créé un projet appelé “la science taille XX elles”. Cela consistait en une série d’exposition sur des lieux inhabituels (par exemple aux Galeries Lafayette) et avait pour but de contrer les stéréotypes existant sur les femmes dans les sciences.

Cette association a également oeuvré dans un domaine très différent : celui des jouets. En effet, les jouets de découverte scientifique sont souvent destinés aux garçons (les jaquettes des jouets présentent majoritairement des garçons qui jouent). Pour dénoncer ce cliché, l’association “femmes et sciences” a monté un projet de charte pour la mixité des jouets. Elle propose une formation pour les vendeurs de jouets (sous forme de vidéo en ligne) ainsi qu’un guide de bonne pratique pour la rédaction des catalogues de jouets. Ces derniers jouent un rôle primordial dans l’éducation des enfants et il est important que les clichés ne soient pas transmis dès le plus jeune âge.

Podcast et émissions sur France Culture :

Selon l’émission “La conversation scientifique” du 23 juin 2018, le faible nombre de femmes dans les sciences est lié aux stéréotypes qui règnent depuis plusieurs siècles. En effet, ces représentations globalisantes des femmes les empêchent indirectement de poursuivre leurs études scientifiques. Parfois, cela peut même les démotiver car elles se rendent compte qu’elles sont de moins en moins à poursuivre les cursus et celles qui restent ne trouvent pas leur place.

D’après les chiffres, il y a plus de femmes que d’hommes dans les études liées aux sciences (et plus généralement au niveau du baccalauréat) mais plus on avance dans les études, plus la tendance s’inverse. En médecine par exemple, lors de la première année de PACES, il y a plus de femmes inscrites que d’hommes car la médecine est vue comme une science d’utilité sociale (qui permet de sauver des gens). En revanche, les chiffres montrent que plus les années passent et moins elles sont nombreuses dans le cursus. Les offres d’emploi pour les femmes sont assez faibles ce qui peut être démotivant aussi.

Des disparités dans les sciences

D’après des études, au sein des sciences même, il y a des disparités. Les sciences sont divisées en deux grandes catégories : les sciences humaines et sociales (psychologie, sociologie, histoire, philosophie etc) d’une part et les sciences exactes (mathématiques, physique, biologie etc). Les femmes sont bien plus présentes dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) que dans les sciences et techniques. Il n’y a pas plus de 20% de femmes au sein des sciences et techniques. Et la situation ne semble pas s’améliorer. En effet, l’exemple de Michèle Leduc, invitée à l'émission, confirme cela. Lors d’un congrès international auquel elle a été conviée, elle était la seule femme d’un groupe de 40 scientifiques et c’est le même constat que quarante ans plus tôt, au début de sa carrière.

Un autre constat est réel : plus le cadre des sciences est théorique (la recherche, les mathématiques), moins il y a de femmes. De plus, il y a le paradoxe suivant : en France, les filles sont plus diplômées que les garçons et la durée des études des femmes est plus longue que celle des hommes. Cependant, elles obtiennent peu de postes à grandes responsabilités et si c’est le cas, elles mettent plus de temps à les obtenir que les hommes.  Il est prouvé que les femmes réussissent mieux, mais s’arrêtent plus vite à cause du phénomène de l’auto-censure. Effectivement, se battre pour sa place demande beaucoup d’énergie sans être sûre du résultat, et passé un certain laps de temps, elles n’ont plus la motivation.


Ainsi, depuis toujours les femmes sont sous représentées dans les sciences, cela était dû à un manque de liberté et de considération pour les femmes. Aujourd’hui, le statut des femmes a bien changé : elles sont plus libres et indépendantes. Cependant il reste encore un long chemin à parcourir pour atteindre une égalité parfaite. D’ailleurs, pourra-t-on l’atteindre un jour ? En tout cas, de plus en plus d’associations se développent pour lutter contre cela. Les femmes qui ont réussi à avoir de l’influence font tout leur possible pour faire entendre leur voix à ce sujet et pour se battre afin d’avancer vers l’égalité des genres dans les sciences. 

Pour aller plus loin :

Bibliographie

Liens utilisés pour la partie histoire

Liens utilisés pour la partie sur les inégalités aujourd’hui 

Liens utilisés pour l’effet Matilda

Liens utilisés pour la partie “On en parle” : tout ce qui est culturel 


Article rédigé par Noémie Arnaud, Louise Bonan--Chevry, Mathilde Terzaghi et Éloïse Trouche.


Source des images : 

Image principal : Pixabay, auteur : FotoshopTofs

Photo Marie Curie : Google Images (réutilisation et modification autorisées sans but commercial), sans auteur

Photo Donna Strickland : Radio Canada, auteur : La Presse Canadienne