Comment expliquer le phénomène du déni de grossesse ?

Publié par Zoé Ruffier, le 28 mars 2022   34k

        D'après une étude menée en 2017 par l'Association Française de Promotion de la Santé Scolaire et Universitaire, le déni* de grossesse est un trouble qui toucherait entre 1 500 et 3 000 femmes chaque année en France. Les dénis partiels au-delà de 5 mois concerneraient plus de 1 600 femmes chaque année et 330 femmes accoucheraient sans avoir jamais su qu'elles étaient enceintes.

I/ Définition du déni de grossesse

        Le déni de grossesse, d’après la psychothérapeute Hélène Romano spécialisée dans la prise en charge des blessés psychiques, désigne le fait de porter la vie, de manière inconsciente, de ne pas être dans la transparence psychique* et de ne pas ressentir la grossesse physiquement. On parle de déni de grossesse lorsque la femme apprend qu’elle est enceinte à partir de la quatorzième semaine d’aménorrhée*. Il existe deux différents type de déni : le déni partiel et le déni total. 

    Certaines continuent de prendre une contraception orale, d’où les saignements réguliers. Pour beaucoup de femmes, elles ne sentent pas le fœtus se mouvoir. "Pour les psychiatres, le déni de grossesse traduit une souffrance psychologique. Cette pathologie méconnue fait parfois la une des médias à l’occasion de cas dramatiques d’infanticides*".

Petit point historique : Au XIXème siècle en Bretagne, les femmes dissimulaient leur grossesse  car celle-ci était non désirée ou imprévue. Les femmes adaptaient leur comportement, elles utilisaient des anciens vêtements pour montrer qu’elles avaient toujours leur règle et pratiquaient des méthodes peu orthodoxes* pour provoquer une fausse-couche. En cas d’infanticide, le corps du bébé était donné comme nourriture aux porcs, jusqu’à ce que les os disparaissent. Charmant, n’est-ce pas ?

Quelques chiffres  

Étude de Pierrone sur la découverte de la grossesse de la femme lors d'un déni.

Les différents type de déni (partiel - total)


        D’après Karine Denza psychothérapeute à Aix-en-Provence “Le déni est dit partiel lorsqu’il est levé avant le terme de la grossesse et total lorsque la femme apprend au moment de son accouchement qu’elle est enceinte". Selon une étude en France, le déni de grossesse concerne 1 cas sur 450 ou 500 naissances.

Lexique : 

* Déni : Refus de reconnaître quelque chose, un droit. 

* Transparence psychique : Les perceptions et les émotions deviennent anormalement plus sensibles. C’est-à-dire qu’il y aura une réaction exagérée lors d'événements quotidiens comme préparer à manger par exemple.

* Aménorrhée : absence de règles chez une femme en âge d’être réglée.

* Infanticide : Meurtre d’un enfant. 

* Orthodoxe : Conforme à la doctrine d’une religion. 

II / Comment expliquer le déni de grossesse ?

        Lorsque la personne fait un déni de grossesse, elle a quand même ses règles et peut avoir un test de grossesse négatif. Cela peut s’expliquer par la psyché de la personne qui n’envisage pas du tout d'être enceinte.

          a) Qu’est-ce qui provoque un déni de grossesse ? 

        Le déni de grossesse est un symptôme considéré comme un signe d’une profonde souffrance pour les femmes.

         Depuis 1984, le déni de grossesse est considéré comme un trouble de la gestation psychique. Cela a un impact sur le psychisme de la femme puisque la mère n’a pas l’instinct maternel qui se développe. C’est pourquoi le psychisme ne prend pas conscience de la grossesse et celle-ci sera comme “bloquée” physiquement. 

         Les facteurs qui peuvent provoquer un déni de grossesse peuvent-être : l’ambivalence du désir d’enfant, le rapport au corps, des éventuels traumatismes passés ou actuels, des conflits psychiques non résolus, etc. Le déni de grossesse, selon le psychiatre Benoit Bayle, va protéger le psychisme de la femme. 

        b) La formation du ventre de la maman

         Tout d’abord, le ventre de la femme se met à gonfler lors de la prise de conscience de celle-ci, cela apparaît surtout lors d’un déni de grossesse partiel. Lorsqu’un déni de grossesse est total, la femme accouche sans savoir qu’elle accouche, c’est-à-dire qu’elle pense avoir quelque chose comme une gastro-entérite, un mal de ventre, etc. Il faut également noter que le déni de grossesse est un déni collectif. En effet, personne ne va penser qu’elle est enceinte donc cela va appuyer le psychisme de la personne. 

Explication d'un gynécologue dans l'émission "Ça commence aujourd'hui" disponible sur YouTube.

III/ Une grossesse invisible 

        a) La découverte de la grossesse

        Quand un déni de grossesse est découvert, une multitude d’examens est réalisés afin de rattraper le retard des derniers mois qui sont passés sous silence. En revanche, si un déni de grossesse n’est pas découvert, aucun suivi n’est réalisé, cela peut ainsi engendrer des conséquences à risques que ce soit pour le bébé ou pour la maman. 

         La prise en charge psychologique des mamans peut être nécessaire pour certaines, car elles peuvent ressentir une forte culpabilité due au mode de vie qu’elles ont eu durant ce déni. 

         De nombreuses causes poussent les femmes (45 %) à aller consulter leur médecin généraliste ou encore en se rendant aux urgences gynécologiques telles que des douleurs abdominales, des douleurs lombaires, des saignements intempestifs, voire des signes de prééclampsie* dans le cas les plus extrêmes. 

        La révélation du déni de grossesse entraîne un changement corporel très important quelques heures après l’annonce de la grossesse. Avant la découverte du déni, les femmes ont le ventre plat et une fois que la grossesse est découverte la femme découvre son ventre portant un bébé. 

        b) Comment se loge le bébé dans le ventre de la maman ?


Schéma de différenciation entre le logement du bébé lors d'une grossesse normale et lors d'un déni.

         Dans le ventre de la maman, le bébé se cache d’une drôle de manière. Les muscles de la future maman se tendent et se renforcent afin que son corps ne fasse aucun changement. L’utérus de la mère devient alors de plus en plus lourd et volumineux, il a également un risque que celui-ci s’incline un peu sur l’avant, c'est ce qu’on appelle une position antéversé. L’utérus utilise ainsi l’espace qui se trouve au-dessus de lui en repoussant les anses grêles et l’intestin vers le haut pour que le bébé puisse s’y glisser et se cacher tranquillement.

Lexique : 

* Prééclampsie : C'est une maladie de la grossesse qui associe une hypertension artérielle et la présence de protéines dans les urines. Elle résulte d'un dysfonctionnement du placenta.

IV/ Les répercussions du déni de grossesse 

         a) Les répercussions psychologique sur la femme 

        Lorsque la femme enceinte est dans un déni de grossesse totale, au moment de l’accouchement cela peut-être un véritable traumatisme et peut avoir des répercussions psychologiques conséquentes, c’est pourquoi la femme est prise en charge par des psychologues, pédiatre etc. On propose un séjour où l’on passe de 3 à 5 jours pour ces cas, puisque le déni de grossesse ne permet aucun voyage émotionnel de la femme autour de l’arrivée de son bébé. Si ce voyage n’a pas lieu, la femme n’a pas le temps de construire un lien avec le fœtus. Elle ne pourra pas le reconnaître comme faisant partie de la lignée familiale. De plus, il n’existe pas de préoccupation parentale. Nous pouvons parler de “prématurité psychique” comme l’indique la psychologue Sophie Marinopoulos, et donc de grossesse à risque, car la femme lors de sa grossesse ne traverse pas les trois trimestres psychiques comme une grossesse normale. 

        De plus, au moment de l’accouchement, la femme a une perte psychique qui est traduite par la peur de mourir tellement elle ressent des douleurs (torsions abdominales). Il faut alors prendre en compte la femme d’un point de vue sanitaire, pour mettre en place les conditions nécessaires à une naissance soudaine. Les principaux risques sont d’ordre psychologique pour la femme lors d’un déni total dès l’instant de l’accouchement avec la prématurité ainsi que le décès néonatal* ou le retard de croissance intra-utérin*.

        Après l’accouchement, la femme ressent de la culpabilité. Elle se remémore son mode de vie avant l’accouchement et ne souhaite pas reconnaître la réalité des évènements ni d'accepter l’arrivée de l’enfant voire à nier totalement cette grossesse et donc à mener jusqu’au néonaticide*. Elle se sent dans un état de « tentative de survie », abandonnée par son propre corps.

        b) Les répercussions physiques sur la femme et l’enfant

        Un déni de grossesse, par conséquent sans suivi médical adapté, peut engendrer une grossesse à risque aussi bien pour la mère que pour le fœtus. Cela peut engendrer des répercussions physiques sur la femme et sur l’enfant sur le domaine médical et psychologique, allant d’une normalité à une pathologie gravissime. Aucun suivi médical n’a été réalisé, ce qui signifie qu’aucun examen n’est à jour. Contrairement à une grossesse normale où on surveille l’état de santé de la mère et du fœtus, cela montre qu’aucune information concernant l’enfant n’est connue.

        En revanche, selon la psychiatre du CHU de Grenoble Annie Poizat, les femmes sont peu demandeuses de suivi. Elle dit que “ce n’est pas le déni qui va être le motif de la demande, mais cela va être autre chose, par exemple une fragilité quelconque”.

        c) Les conséquences sur l’enfant

        Il faut savoir qu’un bébé né d’un déni de grossesse n’a pas de retard sur sa croissance. Mais le déni de grossesse peut exposer l’enfant à des complications telles que l’augmentation du risque de prématurité chez l’enfant, un faible poids à la naissance qui est souvent inférieur à 2,5kg, un retard de croissance intra-utérin qui s’est normalisé à l’âge de 9 mois. Mais également le taux de mortalité périnatale* atteint les 5 %. On peut aussi constater un retard de développement psychomoteur pour 20 % des bébés à l'âge de 9 mois, augmentant jusqu’à 30 % à 24 mois, en général, c’est un retard de langage qui est constaté. 

Lexique : 

* Décès néonatal : Décès d'enfants âgés de moins de 28 jours.

* Croissance intra-utérine : Anomalie dynamique de la croissance du fœtus. Il se traduit par un fœtus de taille insuffisante pour l'âge gestationnel

* Néonaticide : Meurtre d’un nouveau-né depuis moins d’un jour.  

* Périnatale : Ensemble des processus liés à la naissance, depuis la contraception jusqu'aux premiers mois de la vie du nourrisson, en passant par le désir d'enfant, le diagnostic anténatal, la grossesse, l'interruption volontaire de grossesse, l'accouchement ou l'allaitement.

V/ Conclusion

        Comme nous l’avons vu, le déni de grossesse est un phénomène qui touche un bon nombre de femmes, celui-ci peut-être de deux manières (partiel ou total). Il joue un rôle sur le psyché de la maman ce qui empêche le ventre de se développer. Quand le déni est dévoilé, il est important d’aller consulter un professionnel. 

Si vous voulez en savoir plus, nous vous mettons à disposition des ressources afin de comprendre ce phénomène.


 En savoir plus sur le thème du déni de grossesse : 

  • Livre : Le double déni de grossesse de Karine Denza 
  • Podcast : “Ça commence Aujourd’hui : Elles ont découvert leur grossesse en accouchant Disponible sur Spotify
  • Fiction : Série Skam Saison 7 Disponible sur FranceTVSlash

Bibliographie