Le paradoxe immunologique de notre naissance - par Laura Gonzalez Tapia

Publié par Mathilde Chasseriaud, le 12 avril 2018   4.2k

- Chronique rédigée et présentée par Laura Gonzalez Tapia pour le MagDSciences -

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Le placenta : un paradoxe immunologique

Comment se fait-il que notre organisme soit capable de rejeter un organe lors d'une greffe, et que lors d'une grossesse le corps de la mère accepte pendant 9 mois un corps dont le patrimoine génétique est pour 50% étranger à elle ? C'est une question qui a occupé l'esprit pendant des années de spécialistes venant de divers champs d'étude (physiologie, virologie, biologie cellulaire...). En effet, La grossesse placentaire est un grand paradoxe immunologique.

Le mot placenta vient du latin qui veut dire « gâteau » mais aussi du grec ancien qui signifie « plat, en forme de plaque », sûrement dû à sa forme aplatie chez la femme. Cet organe si particulier se forme dès le moment de l'implantation de l’œuf dans la paroi utérine. Il va ainsi connecter l'embryon de manière physique mais aussi biologique à l'utérus.

Son rôle est vital pour l'embryon car le placenta va apporter de l'eau, de nutriments et du dioxygène dont il a besoin. Toujours grâce au placenta, l'embryon puis le fœtus pourra également évacuer le dioxyde de carbone et ses déchets métaboliques comme l'urée. Cet organe si sophistiqué va être fonctionnel dix à douze jours après la fécondation !

Le placenta va donc être le médiateur par excellence entre la mère et le fœtus afin de permettre au petit être de se développer en toute sécurité. L'évolution des mammifères placentaires, appelés également euthériens, (dont nous faisons partie ainsi que les vaches, les cochons, les lapins) cache encore bien de secrets...

Le paradoxe enfin expliqué ?

Une équipe de l'université de Yale aux Etats-Unis, a dévoilé/identifié le mécanisme des mammifères placentaires qui empêche le système immunitaire de la mère d'attaquer le fœtus pendant la grossesse.

Pendant des années d'évolution, nous, mammifères euthériens, avons développé la capacité de mettre en « pause » l'attaque inflammatoire pendant la grossesse. Pour arriver à cette percée, l'équipe s'est intéressée aux marsupiaux qui eux, contrairement aux euthériens, n'ont pas de placenta. Conséquence : leur grossesse est très courte et dure entre 15 à 20 jours. De plus, leur progéniture naît au stade de larve et doit donc finir son développement dans une poche externe. Olivier Griffith, membre de l'équipe explique : 

Les étudier, offre une occasion unique de regarder à quoi pouvait ressembler les toutes premières grossesses chez les mammifères . 

En étudiant les marsupiaux et les mammifères placentaires et surtout en les comparant, les scientifiques observent que chez les marsupiaux, la réaction inflammatoire a lieu vers la fin de la grossesse, cette réaction s'amplifiant jusqu'à la naissance. Ici, l'inflammation est un déclencheur immunitaire qui va littéralement « rejeter » les  bébés hors de la mère. À l'inverse, ce mécanisme immunologique va entraîner l'implantation de l'embryon à la parois utérine. L'étude va plus loin car lors de l'analyse et la comparaison génétique et hormonale, les marsupiaux et les mammifères placentaires partagent les mêmes molécules et les mêmes hormones impliquées dans le mécanisme immunitaire. Tout est pareil, même le type d'inflammation ! Sauf que le résultat chez l'un, c'est le rejet et chez l'autre, l'implantation.

Deux destins, une molécule

L'étude de l'expression des gènes révèle que chez les placentaires, la molécule IL17A secrétée par les globules blancs (ayant un rôle capital dans la réaction inflammatoire) est inhibée au moment de l'implantation. De plus, lors de l'analyse des cellules déciduales, il a été observé que des cellules de l'utérus vont se modifier pendant l'implantation de l’œuf et vont même empêcher le recrutement d'autres types des cellules immunitaires, les neutrophiles.
D'après Olivier Griffith :

 Il est probable que la suppression de neutrophiles soit essentielle pour l'évolution d'une grossesse prolongée

Pour l'immunologiste et spécialiste du placenta, Adrian Erlebacher, tenter de comprendre l'énigme de notre genèse est crucial afin de mieux comprendre un grand nombre de complications de la grossesse chez l'être humain.


Source 

>> Science et Vie, n°2063425, du 21.02.2018

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