Pierre Comon : dans la peau d'un chercheur

Publié par Pierric Mazodier, le 16 septembre 2013   2.3k

Jeune chercheur, Pierric s'est placé dans la peau d'un journaliste scientifique le temps d'une interview avec un de ses homologues.

Quel corps de métier particulier que celui de la recherche, secteur tellement large qu'il a sa place dans tous les domaines de la société ! Pierre Comon (1), Directeur de recherche en Mathématiques appliquées au CNRS de Grenoble, nous décrit cet univers à travers son travail.

En quoi consiste votre travail ?

Il s'agit de l'activité normale d'un chercheur : avant tout, nous sommes tenus de produire régulièrement des publications et devons avoir une activité de formateur, par exemple en participant aux enseignements dans les écoles et les universités. A côté de cela, nous passons des contrats avec des organismes ou des sociétés, au niveau privé, national ou international. Souvent, plusieurs labos s'associent sur un même projet. Par exemple, l'ANR (Agence National de la Recherche) va lancer un appel d'offre auquel vont répondre trois ou quatre laboratoires – français, européens ou mondiaux, selon la nature du projet – de différents domaines, qui collaboreront pour mener à terme le projet.

Pierre Comon

Quelle est votre rôle en tant que Directeur de recherche ?

Je suis désigné par mes pairs pour cinq ans, mais je ne suis pas leur supérieur hiérarchique, celui-ci étant notre employeur, l'Etat dans le cas du CNRS. Mon rôle est d'organiser les travaux, de coordonner et faire le lien avec les équipes d'ingénieurs et de techniciens qui sont associées à nos recherches. J'ai aussi des responsabilités administratives à tenir dans des structures internes et extérieures. J'ai par exemple été directeur d'une école doctorale.

Sur quoi portent vos recherches dans le domaine des mathématiques appliquées ?

Dans mon département, nous travaillons sur la transmission des signaux et l'imagerie dans de multiples domaines : communication satellitaire (astronautique,  télécommunication terrestre), radars et sonars (aéronautique, sous-marins, domaines militaire ou d'exploration), écoute passive (espionnage, guerre industrielle), sismologie (détection, étude des sols), glaciologie (études, prévisions), machine learning (auto-programmation robotique, reconnaissance vocale)… Un exemple de projet pratique est la conception d'un système de commande de fauteuil roulant par la pensée, au moyen d'électrodes. Nous en avons fait une démonstration à notre laboratoire pour le promouvoir auprès du public.

Concrètement, comment procédez-vous ?

Nous recevons des données de physiciens et nous les exploitons en trois étapes : la modélisation statistique, pour dégager les informations utiles ; un travail algébrique complexe où nous sommes souvent confrontés à l'inconnu ; l'analyse numérique des résultats afin de les mettre en rapport avec l'aspect pratique du projet. Ensuite, les ingénieurs prennent le relais.

Comment le métier a-t-il évolué au cours du temps ?

J'ai constaté deux évolutions majeures par rapport à la situation d'il y a 30 ans : la recherche s'est considérablement internationalisée, en suivant le phénomène exponentiel de la mondialisation ; par ailleurs, les fonds de recherche sont de plus en plus difficiles à obtenir, car l'intérêt et l'utilité de nos travaux doivent toujours être précisément définis et démontrés, l'efficacité étant devenue le maître mot dans tout domaine productif.

Pour finir, quelles sont les qualités essentielles d'un chercheur ?

Rigueur, remise en question et persévérance.

>> Note :

  1. Pierre COMON est directeur de recherche CNRS. Après une année au laboratoire ISL de Stanford (EU), il exerce 13 ans dans l’industrie (Thomsom/Thalés), puis rejoint l’Institut Eurécom en 1997 et le CNRS en 1998 au laboratoire I3S à Sophia Antipolis jusqu’en 2012. Il intègre l’équipe CICS à GIPSA-lab en septembre 2012. Lors de sa carrière à Nice-Sophia Antipolis, Pierre COMON a été responsable du Pôle SIS (Signal, Image et Systèmes, 100 personnes) du laboratoire I3S et directeur de l’Ecole doctorale STIC de l’université de Nice-Sophia Antipolis. Il a notamment reçu en 2006 l’Individual Technical Achievement Award de la société européenne Eurasip, et le prix Montpetit de l’Académie des sciences en 2005 ; il est Fellow de la société internationale IEEE depuis 2007. Pierre COMON est actuellement expert pour l’European Research Council Executive Agency et éditeur associé du SIAM Journal on Matrix Analysis and Applications

>> IllustrationsTom Brown (Flickr), Pierre Comon, Fred Hasselman (Flickr)