Portrait d'intervenante : Laureline Denis-Venuat

Publié par Labo des histoires Auvergne-Rhône-Alpes, le 27 mars 2019   2.1k

Intervenante très active cette année pour le Labo des histoires Auvergne-Rhône-Alpes, avec pas moins de trois projets menés depuis la rentrée de septembre 2018 (Fête de la science à Pont-de-Claix, scénario de jeu vidéo à Vizille et Murder Party à Eybens) , nous sommes très heureux de vous présenter Laureline Denis-Venuat.  

Titulaire d'une licence de Lettres Modernes, d'un Master professionnel Diffusion de la Culture, et autrice d'un mémoire sur le jeu-vidéo indépendant, Laureline est passionnée par les univers fictionnels et vidéoludiques. Elle se charge du pôle « numérique et jeux vidéo » pour l'association grenobloise la Maison des Jeux en 2015, crée un site Internet dédié, signe de nombreux articles et réalise plusieurs interventions parents-enfants autour des questions liées au jeu vidéo. N'ayant jamais cessé d'écrire, elle est aujourd'hui lead scénariste, dialoguiste, scriptwriter et community manager pour Redlock Studio, jeune studio lyonnais développant actuellement le jeu Shattered - Tale of the Forgotten King.

Nous lui avons posé quelques questions sur son parcours, ses inspirations, le jeu vidéo et l’écriture…

 

Parlons un peu de ton parcours. Qu’est-ce qui t’a menée à écrire le scénario d’un jeu vidéo indépendant ?

En termes de parcours académique, j'ai suivi une scolarité difficilement plus linéaire : BAC L, Licence de Lettres Modernes, Master Pro Arts & Littérature. J'ai toujours écrit, à l'école ou à côté ; cet à-côté s'étant très vite tourné vers les écritures interactives. De forums d'écriture de jeux de rôle en jeux de rôle sur table, je me suis retrouvée, avec des amis d'adolescence, à créer des univers entiers, souvent interconnectés. Certains de ces amis sont partis en école de jeux vidéo ou ont continué d'apprendre en autodidactes, et nous avons fondé Redlock Studio en 2016. L'idée était de mettre en pixels et en lignes de code les mondes que nous inventions et faisions jouer depuis des années. Shattered est la première porte d'entrée dans le vaste univers de Redlock.

 

Quelles sont les particularités de la narration dans le jeu vidéo ?

L'interactivité, par définition. Cela mène à des moments de réflexion presque aussi longs que l'écriture : il faut tout anticiper, imaginer à quoi les joueurs peuvent penser pour palier à toutes les éventualités, se souvenir et intégrer tous les changements de comportement des personnages en fonction des actions du joueur (je me retrouve souvent avec des post-it disséminés un peu partout sur mon bureau pour ne rien oublier), etc.

C'est aussi un travail de design narratif en constante évolution où il ne faut pas hésiter à remettre en question ses premières idées, écouter les retours des autres membres de l'équipe et construire avec eux (les liens entre narration et game/level design, notamment, sont fondamentaux). Le jeu vidéo est une œuvre commune et globale, ce qui demande forcément d'apprendre à partager très vite ses premiers jets et les retravailler jusqu'à ce que la narration soit parfaitement alignée avec les autres éléments. C'est difficile parfois, mais c'est aussi toute la beauté de la chose !

 

Quelles sont tes inspirations et tes thèmes favoris ?

J'ai grandi avec la culture fantastique, SF et Fantasy, ce qui a clairement orienté mes habitudes en termes de lecture comme d'écriture. Je pense que cela se sent pas mal dans Shattered, mais j'ai également une affection particulière pour les mythologies et le concept de Mythe en général – ce qui a également donné lieu à de longues années d'étude globale des œuvres de Lovecraft. Je suis assez fascinée par les travaux de Dumézil sur les panthéons indo-européens, et plus largement par la manière dont les mythes naissent, mutent et engendrent de nouveaux contes au fil du temps. Les noms des personnages de Shattered sont très inspirés par toutes ces racines plus ou moins perdues et reconstituées. En dehors de mon travail pour Redlock, je suis très inspirée par les auteurs de « weird fantasy », China Mieville en tête. Son approche du surnaturel est à la fois merveilleuse et terriblement perturbante, organique, un peu chaotique et très humaine. C'est un matériau à histoires inépuisable pour moi.

 

Tu as déjà mené plusieurs ateliers avec le Labo des histoires, mais aussi avec d’autres structures. Comment parviens-tu à motiver les enfants et les ados à inventer leurs propres histoires ?

Quand il s'agit d'ateliers sur inscriptions, en général les participants arrivent bien motivés, parfois avec d'ores et déjà des idées bien définies de ce qu'ils veulent faire. C'est quand je suis face à un public captif, dans des collèges par exemple, que c'est un peu plus complexe à mettre en place. Ils n'ont souvent pas réellement l'habitude de créer de manière non-scolaire, d'avoir la possibilité d'imaginer ce qu'ils souhaitent et, surtout, qu'on ne juge absolument pas la valeur de leurs inventions. Lorsqu'ils comprennent qu'ils seront encouragés même s'ils veulent que leur level soit une île faite de bonbons ou que leurs ennemis soient des chiens-saucisses (histoire vraie), ils commencent à apprécier le processus et à laisser beaucoup plus libre court à leurs idées.

Je dirais donc que pour les motiver, cela passe par le fait de les amener à s'amuser en inventant et à avoir confiance en eux et en leur imagination. Un peu comme les adultes finalement...

 

Que recommandes-tu aux jeunes qui veulent écrire pour le jeu vidéo ?

Jouer beaucoup, lire beaucoup, écrire beaucoup. Étant donné que pour l'instant il n'existe pas d'écoles dédiées à l'écriture vidéoludique, essayer également de trouver des conférences ou des ateliers pour apprendre autant que possible de la part de professionnels du milieu. Se faire la main sur Twine, qui est un super outil pour commencer à se familiariser avec la narration en arborescence, et ne pas hésiter à se faire un book avec ses histoires (et même avec tout ce que vous aurez pu produire de littéraire) pour chercher des stages ou, plus tard, du travail. Et surtout, toujours penser que vous avez quelque chose de nouveau à apprendre !

 

Le jeu sur lequel tu travailles est produit par un studio indépendant et a fait l’objet d’une campagne de financement participatif. Cela accorde-t-il une plus grande liberté créatrice, ou au contraire plus de pression pour correspondre aux envies du public ?

Excellente question. En théorie, cela nous accorde effectivement une liberté créatrice totale puisque nous n'avons personne « au-dessus » de nous pour nous donner des directives, et nous ne suivons que nos propres idées. De plus, les contributeurs ayant fait des dons pour nous aider à développer Shattered l'ont fait après avoir lu des morceaux d'histoire, vu des vidéos et plus tard testé une Alpha du jeu etc., donc ils connaissent la direction que nous voulions prendre et nous ont fait confiance là-dessus. Là où cela amène une certaine pression effectivement, c'est que nous pouvons difficilement décider de changer complètement de cap désormais ; les gens nous ont accordé leur confiance pour le jeu Shattered et pas pour un autre. Mais c'est un bien moindre mal, surtout vu la bienveillance de notre communauté. On a vraiment beaucoup de chance : nos contributeurs ne se plaignent pas d'attendre et nous encouragent même à prendre plus de temps que prévu, nous demandent régulièrement s'ils peuvent contribuer à nouveau etc... On se sent assez bénis de ce côté-là !

 

Tu as participé également aux tests et propositions d’ajustement de scénario pour l’escape game où tu travaillais jusqu’à récemment, et tu mènes en ce moment des ateliers Murder Party avec le Labo des histoires. Y-a-t-il des contraintes spécifiques pour scénariser des parties de jeu grandeur nature ?

Comme pour le jeu vidéo, c'est l'interactivité qui vient à l'esprit en premier, bien que de manière encore plus exacerbée. Dans un jeu sur ordinateur ou console, le joueur reste limité par les capacités de son personnage et les possibilités ou impossibilités dictées par le code – certains titres ne vous permettent pas d'entrer dans l'eau ou de tomber d'un rebord, par exemple.

Dans un jeu grandeur nature comme une Murder Party, il faut bien penser que les joueurs n'ont théoriquement aucune limite, ils peuvent avoir l'idée de démonter un faux plafond pour chercher des indices, kidnapper un personnage non joueur (un comédien faisant partie de l'histoire) pour lui extorquer des indices ou encore forcer une serrure dont ils n'auraient pas trouvé la clé. C'est donc un travail d'anticipation énorme : il faut fixer des règles adéquates et s'assurer que, même si les joueurs en oublient ou outrepassent certaines, cela ne gâchera pas tout le scénario. C'est passionnant à faire, mais cela demande une bonne dose de gymnastique cérébrale !

 

En dehors de ton travail sur Shattered, aimes-tu écrire pendant ton temps libre ? As-tu d’autres projets en cours, ou bien des envies que tu souhaiterais concrétiser prochainement ?

Malheureusement, pour le moment je trouve très difficilement le temps d'écrire en dehors de Shattered. J'ai toujours un ou deux journaux qui traînent (un par pièce, c'est un minimum) au cas où une idée fulgurante arriverait, mais cela dépasse rarement ce stade-là. J'espère retrouver le temps pour cela bientôt. J'ai aussi peu le temps d'avoir d'autres projets en parallèle à part les ateliers d'écriture. Mais nous avons déjà plein d'autres projets avec Redlock pour la suite !

 

Une dernière question : quels titres conseillerais-tu pour faire découvrir le jeu vidéo aux sceptiques ?

Dans l'absolu, des jeux comme Shadow of the Colossus ou Journey ont tendance à séduire tout le monde, mais tout dépend des raisons du scepticisme. Il y autant de genres de jeux vidéo que de genres de films, si ce n'est plus, donc ce n'est pas exagéré de dire qu'il y en a pour tous les goûts. Il faut seulement avoir la curiosité de s'y aventurer. Je fournirai des listes de jeux à tous les sceptiques qui se feront connaître auprès du Labo des histoires !

 

Un grand merci à Laureline Denis-Venuat d’avoir pris le temps de répondre à nos questions !

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Les ateliers de Laureline ont tous été menés dans le cadre de la deuxième saison de Raconte-moi le Futur proposée par le Labo des histoires Auvergne-Rhône-Alpes, en partenariat avec Grenoble-Alpes-Métropole. Raconte-moi le Futur regroupe une programmation d’ateliers valorisant la rencontre entre arts et sciences, dans toute la métropole grenobloise.