Prix de l’énergie, une hausse inexorable ?

Publié par Encyclopédie Énergie, le 10 novembre 2021   19k

Vue de France, dans le contexte d’un débat très politisé à l’approche des élections présidentielles de 2022 et des problématiques liées au vieillissement du parc nucléaire, les fortes hausses des prix du pétrole, de l’électricité et du gaz, sont souvent mal comprises. Petit état des lieux sur ces hausses des prix, liées au contexte international, mais qui sont lourdes de conséquence localement sur le quotidien et le budget de monsieur tout le monde.

 

1. La formation des prix de l’énergie

Au-delà des coûts de production, les prix de l’énergie payés par le consommateur résultent de plusieurs évolutions.

1.1. Fossiles

Pour les énergies fossiles, les prix se forment par des mécanismes de confrontation entre offre et demande de biens physiques sur les marchés spot et forward mais aussi sur des intentions d'achat ou de vente sur les marchés futures (avec de possibles sources de spéculation, non abordées dans ce qui suit). Sans entrer dans les détails, les tarifs d’achat côté demande sont fixés via des contrats comportant une part plus ou moins importante du prix spot, qui reflète la tension existante entre production et demande en temps réel [1]. Par exemple, cette tension était très faible début 2020 avec l’arrêt de l’activité du fait du confinement et les prix ont chuté. La situation inverse existe, par exemple actuellement, lorsque qu’une forte demande rencontre une offre qui ne suit plus.

A cela s’ajoute des coûts pour transformer la ressource brute (charbon, pétrole et gaz) en ressource énergétique utilisable par le consommateur (essence, diesel) et acheminer vers les lieux de consommation. On obtient alors un coût complet de la ressource énergétique utilisée par le consommateur.

Ce prix de base est renchéri via différentes taxes qui s’appliquent sur ces énergies : l’ancienne taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP),rebaptisée TICPE pour taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques en 2017, qui est appliquée à l’essence, au diesel, au fioul domestique, entre autres ; la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) pour les clients consommant du gaz naturel à usage combustible ; la taxe intérieure de consommation sur le charbon (TICC), notamment appliquée pour les centrales électriques à charbon ainsi que la cimenterie, la sidérurgie, la carbochimie ou encore le chauffage.

 

Figure 1. La TICPE s’applique notamment aux tarifs de l’essence
https://www.niffylux.com/fr/galerie/00001887xl-pompe-a-essence-5-xl.nfx

  Enfin, le prix des énergies fossiles subit une hausse via les différentes taxes « carbone » qui pénalisent les énergies rejetant du carbone [2], lesquelles entrent dans le calcul de la TICPE. La figure 2 montre les contributions de chaque partie sur le prix des carburants et l’évolution de la TICPE prévue dans le temps. On voit ainsi que les taxes sont l’élément principal du tarif final entre la TICPE qui représente environ 75c€/L en 2021, soit environ la moitié du coût total à la pompe et la TVA de 20% appliquée sur le coût complet de la ressource + la TICPE.

 

Figure 2. Structuration des prix des carburants en France. [Source : Connaissance des énergies https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/structuration-des-prix-de-l-essence-et-du-gazole-france]

 

1.2. Électricité

  Le prix de marché de l’électricité est fixé différemment car il repose sur le coût de production de la dernière centrale appelée pour satisfaire toute la demande électrique[3] par la règle d’ordre de mérite selon laquelle les différentes centrales électriques sont appelées par coût croissant de production (figure 3). Ce n’est donc pas le coût de production moyen qui fixe le prix de l’électricité sur les marchés spot, mais le coût marginal de production, c’est-à-dire le coût permettant de satisfaire le dernier kilowattheure de demande. Souvent, cette centrale fonctionne via une source d’énergie fossile, et donc sur la ressource primaire utilisée dans cette centrale marginale. Le coût d’approvisionnement en charbon, gaz et pétrole exerce donc une grosse influence sur le prix de l’électricité.  


Figure 3. Courbe d’ordre de mérite : les centrales électriques appelées pour satisfaire la demande d’énergie à l’instant t sont classées par ordre croissant de coût de production.
[Source : Hydro 21 http://www.hydro21.org/colloque2016/presentations/ColloqueHydro2016_5-Morin.pdf]

  En Europe, du fait des nombreuses interconnexions entre les pays, cette règle s’applique à l’échelle du continent. Résultat : les tarifs en France subissent ces hausses en dépit de productions d’électricité via les énergies fossiles bien plus faibles que dans d’autres Etats. Ainsi, même si les centrales au gaz représentent moins de 10% de la production électrique en France, le prix de l’électricité subit de plein fouet l’augmentation du prix du gaz car, la majorité du temps, les centrales marginales à l’échelon européen sont des turbines à gaz.

 

2. Évolution des prix

Les tarifs de l’énergie sont en hausse en France depuis quelques années, comme le montre la figure 4 pour les tarifs réglementés de vente de l’électricité et le prix de l’électricité pour les ménages.  

Figure 4. Evolution des tarifs règlementés de vente de l’électricité en France. [Source : https://www.connaissancedesenergies.org/tribune-actualite-energies/prix-du-petrole-du-gaz-et-de-lelectricite-bienvenue-dans-les-montagnes-russes]

  En 2000, les prix de l’essence et du gazole étaient respectivement de 1€/L et 80c€/L. En dépit de quelques baisses ponctuelles liées à des crises économiques, ils augmentent continuellement depuis (figure 5), ceci étant du au prix du pétrole qui est en moyenne plus élevé qu’il y a 10-20 ans, mais aussi une part de taxes bien plus importante, comme par exemple pour le gazole en France qui voit ses taxes augmenter rapidement année après année pour rattraper l’avantage fiscal qu’il avait sur l’essence dans le passé.

 


Figure 5. Evolution des prix de l’essence et du gazole en France depuis 1990
. [Source : https://france-inflation.com/prix-carburants.php]

  Suite à de fortes baisses en 2020 du fait de la crise du coronavirus que ce soit en France, en Europe ou dans le monde, le prix des énergies a fortement augmenté depuis le début d’année 2021. En France, les tarifs du gaz et l’électricité ont explosé, respectivement de +300% et +190%. La première partie de cette évolution est justifiée par le rattrapage conjoncturel lié à la chute des cours en 2020 et à la reprise rapide en 2021 de l’activité économique. Notons que cette variation rapide des prix n’est pas inédite, comme en témoigne les bouleversements des chocs et contre-chocs pétroliers sur le prix du baril de pétrole, l’impact de la crise de 2008, notamment. Le phénomène n’est d’ailleurs pas limité à ces deux seules énergies puisque pétrole et matières premières minérales et agricoles connaissent également de fortes hausses de tarifs en 2021.

Outre la rapide reprise de l’activité économique dans le monde, avec notamment une forte demande asiatique, cette évolution est également due à la décision conjointe de l’OPEP et de la Russie de maintenir une politique stricte de quotas, c’est-à-dire que la production de pétrole et de gaz reste limitée. D’autant que, en parallèle, l’offre baisse dans le monde du fait des sous investissements structurels depuis plusieurs années dans de nouveaux gisements d’énergies fossiles.

Enfin, l’impact sur les prix de la nécessaire décarbonation des systèmes énergétiques dans le contexte de la lutte contre les dérèglements climatiques commence à se manifester. La taxation carbone, dont l’augmentation a été gelée en 2018 après la crise des gilets jaunes à 44,6€/tCO2(figure 6 et 7), vont augmenter de nouveau un jour et cette tendance haussière sur les prix de l’énergie ne va probablement pas s’arrêter.

 

Figure 6. Les gilets cotre la hausse des taxes sur les carburants. [Source : https://tendancecoatesy.wordpress.com/2018/12/04/french-government-backs-down-on-fuel-tax-rise-the-solution-its-the-people-jean-luc-melenchon/]

 

3. Avenir

Même si prédire les prix de l’énergie dans le futur reste un exercice complexe dans un environnement incertain, diverses projections estiment que cette hausse des prix de l’énergie pourrait se stabiliser au premier semestre 2022. Néanmoins, le FMI estime que les tarifs ne peuvent que grimper au cours de l’hiver 2021-2022 car la demande est toujours très élevée et que l’écoulement des stocks de production prendra fin.

De plus, dans le contexte de lutte contre le changement climatique et les rejets de gaz à effet de serre (GES), les tarifications « carbone » sont des éléments clés. Les trajectoires de taxation prévues en Europe et dans le monde sont à la hausse afin d’atteindre les objectifs politiques sur les rejets de GES. En France, le gouvernement se fixe pour objectif, « pour la composante carbone intégrée aux tarifs des taxes intérieures sur la consommation des produits énergétiques […] d’atteindre une valeur de […] 100 € en 2030 » (figure 7). Ainsi les tarifs des énergies fossiles, des carburants et de l’électricité liée à la combustion de ces énergies vont subir des hausses inexorables. En effet, une hausse de 10€/tCO2 de la taxe carbone représente une hausse d’environ 3c€ sur le prix des carburants.  


Figure 7 : Valeur de la taxe carbone en France et évolution prévue – source : Fiscalité carbone, Ministère de la transition écologique, communiqué publié en septembre 2017.

 

Ces hausses continues représenteront des charges supplémentaires sur les ménages au budget contraint. Des solutions doivent alors être trouvées pour réduire cet impact des hausses de prix de l‘énergie sur le pouvoir d’achat de la population. En France, le gouvernement a répondu à court-terme par une subvention accordée à une grosse moitié de la population. Également est prévue l’augmentation du chèque énergie qui répond au besoin de protection des ménages les plus défavorisés. Ces réponses n’étant pas des solutions pérennes, des changements structurels seront nécessaires afin de garantir un approvisionnement énergétique durable et abordable. Dans ce cadre, la sobriété énergétique cherchant à réduire nos besoins, l’efficacité énergétique et la promotion d’équipements consommant moins d’électricité et d’énergie fossiles via des subventions bien ciblées, des crédits d’impôts ou encore des prêts à faible taux sont des leviers primordiaux pour que transition énergétique ne rime pas avec appauvrissement chronique.

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AUTEUR : Gabin MANTULET, co-responsable éditorial Encyclopédie Énergie

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Sources, outre Encyclopédie-Energie.org : 

Carbone 4, https://www.carbone4.com/analysis-allo-docteur-j-ai-mal-prix-des-energies-montent?mc_cid=58cc003d8d&mc_eid=00b00c1690

Connaissance des énergies, https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/structuration-des-prix-de-l-essence-et-du-gazole-france

L’Express, https://lexpansion.lexpress.fr/actualites/1/actualite-economique/comment-sont-fixes-les-prix-du-petrole_1757870.html

Revue Internationale, https://www.revue-internationale.com/2021/10/hausse-des-prix-de-lenergie-vers-une-accalmie-en-2022/


[1] Encyclopédie de l’énergie, Lire : Marchés de l’énergie : prix et régulation

[2] Encyclopédie de l’Environnement, (Lire : La fiscalité environnementale)

[3] Encyclopédie de l’énergie, (Lire : Electricité, la vente au coût marginal)