QR code au restaurant : la manipulation de l’opinion publique

Publié par Yannick Chatelain, le 17 février 2021   2.5k

Le gouvernement va publier un nouveau décret cette semaine, prévoyant de compléter l’application « TousAntiCovid » avec un QR code. L’adhésion sera-t-elle encore une fois presque totale ?

Par Yannick Chatelain, Docteur en Administration des Affaires, professeur associé (IT/DIGITAL) chez Grenoble École de Management,  chercheur associé à la Chaire DOS, responsable de "GemInsights"

Le gouvernement va publier un nouveau décret cette semaine, prévoyant de compléter l’application « TousAntiCovid » avec un QR code.

Cela paraît rationnel, raisonnable, donne de l’espoir… et ce qui est pourtant inacceptable en termes de liberté publique obtiendra l’adhésion de l’opinion publique, celle des premiers concernés, bars, restaurants, lieux culturels… et de nombreux citoyens, non pas pour apporter leur contribution à la lutte contre la pandémie en téléchargeant cette application.

À cela rien d’étonnant. La fabrique du consentement qui va permettre une nouvelle fuite en avant d’atteintes à des libertés fondamentales n’est pas une affaire d’improvisation, mais une affaire de méthodologie.

Techniques de manipulation

Les techniques de manipulation de l’opinion publique (ou de manipulation des masses) sont l’ensemble des moyens d’influence exercés sur une population à des fins politiques, militaires ou économiques.

Les techniques sont multiples et le propos qui sera tenu ci-après sera dans cette dynamique engagée en situation de « guerre » contre le Covid, au mieux qualifiée de polémique qui n’a pas lieu d’être, au pire renvoyée dans le camp complotiste, telle la destinée de toute forme de contre-discours faisant appel à la raison dans un contexte qui ne tolère pas de voix dissonantes.

Qui dit « guerre », dit naturellement « unité nationale » face à l’ennemi, et adhésion de l’opinion publique, une guerre particulière puisque l’ennemi invisible est devenu l’autre.

Qui dit guerre dit aussi propagande et manipulation pour obtenir le consentement de l’opinion publique à ce qui peut être inacceptable, mais c’est pour son bien. Il se trouve que l’humain est ainsi fait qu’il est prévisible en termes de réactions à des stimuli, et notamment aux informations, d’autant plus si ces informations tournent en boucle.

On se souvient du premier confinement et du décompte quotidien morbide qui ne pouvait à terme qu’engendrer une psychose, quand bien même son intentionnalité eût été d’appeler à la vigilance, le champ de bataille a été ainsi posé.

L’entretien d’un état de sidération a pour effet d’inhiber la rationalité. Si je devais rappeler les éléments qui sont des piliers de la manipulation d’une opinion publique, il en est cinq :

  • Provoquer la sidération,
  • Répéter des messages,
  • Infantiliser,
  • Culpabiliser,
  • Recourir à des experts.

Le lecteur sera juge des éléments qui ont été utilisés jusqu’à ce jour par l’exécutif.  S’en sont suivi les différents épisodes que nous connaissons, depuis le premier confinement, le biopouvoir – ce pouvoir qui selon Michel Foucault a remplacé progressivement le pouvoir monarchique de donner la mort – s’exerce désormais sur la vie : la vie des corps et celle de la population – n’a eu de cesse de monter en puissance.

Il s’est matérialisé par la mise en place d’un état d’urgence sanitaire régulièrement prolongé, conférant les pleins pouvoirs à un Conseil de défense et au chef de l’État, occasionnant la multiplication de décrets restreignant les libertés individuelles au gré des informations alarmistes des experts et s’appliquant à la population sur un terrain psychologique préparé. Un terrain psychologique dominé par la peur, une peur qui s’est muée progressivement en désespoir pour nombre de concitoyens.

C’est dans ce type de configuration qu’une population – aussi soucieuse de ses libertés fondamentales soit-elle – est prête à accepter majoritairement jusqu’à l’inacceptable, puisque ne pouvant exercer son sens critique (état de sidération), ni prendre la juste mesure des restrictions qui lui sont imposées (impériosité de survie) ; des restrictions qui pourraient devenir pérennes en étant intégrées à terme dans le droit commun comme cela a déjà été le cas, avec l’État d’urgence, lorsque l’exception devient la règle au mépris des libertés !

Dans le cadre de la crise Covid que nous traversons, si nous nous appuyons sur les faits, quoi qu’on leur impose, les citoyens subissent et finissent par accepter  l’absurde comme la norme.

Ainsi, et de façon certes caricaturale des petites librairies où se côtoient quatre passionnés de littérature aux heures de pointe ont – un temps – été fermées, puisque jugées non essentielles, tandis que les transports en commun pouvaient eux s’afficher bondés.

De nombreux secteurs sont acculés, de nombreux citoyens en grande détresse. Pour illustrer mon propos : l’exécutif fait planer la menace d’un reconfinement. Ce faisant il engage une inversion des responsabilités en indexant la réussite ou non de son action sur le comportement des citoyens. Si je puis me permettre le mot, c’est de bonne guerre. En agissant ainsi l’exécutif vise trois objectifs :

  • Il se dédouane de ses propres responsabilités dans la gestion de la crise.
  • L’approche culpabilisante des individus a pour fin de détourner les sentiments de révolte contre un système qui est mis en place.
  • Sont ainsi passés sous silence tous les questionnements légitimes sur l’anticipation de la deuxième vague que nous connaissons : le quantitatif de lits est oublié, les balbutiements de la logistique de vaccination auront été bien rapidement balayés… etc.

Si la manipulation d’une opinion commence pour partie par ce type d’approche, à ceci vient s’ajouter une « dérive sémantique » qui semble être passée inaperçue. Outre la « menace » récurrente d’un reconfinement, conditionné par de nombreux « si », tant comportementaux que médicaux, dans les faits, hors la circulation limitée dans le temps et dans l’espace et un laisser-passer contraignant, la rupture inédite des liens sociaux se poursuit et se conjugue avec un couvre-feu.

C’est une épreuve psychique collective qui ne peut être  vécue – selon sa situation personnelle – de façon identique. Aussi pour de nombreux citoyens isolés socialement, la situation actuelle présente tous les atours d’un confinement qui ne dit pas son nom.

Fabriquer le consentement : mode d’emploi

Dans le contexte qui a été décrit, nous apprenons par l’APM NEWS  que le gouvernement va publier un nouveau décret la semaine prochaine, prévoyant de compléter l’application TousAntiCovid avec un QR code.

« Le texte prévu ouvre ainsi la voie à l’installation de QR codes à l’entrée de certains lieux publics considérés comme à risque par les autorités. »

Que nos anciens ne disposant pas du dernier iPhone soient rassurés, le scan de QR codes ne serait pas obligatoire, les clients des lieux les plus à risque seront «  seulement » invités à se signaler sur les cahiers de rappel.

L’objectif est de permettre aux utilisateurs de « TousAntiCovid » d’y enregistrer leur présence en scannant ces codes-barres avec la caméra de leur téléphone pour être avertis par la suite s’ils ont été au contact d’une personne infectée par le coronavirus durant leur visite.

Après une première étape consistant à faire accepter l’application, en y intégrant la possibilité de remplir sa fiche de déplacement « modifiable à loisir » (sic), sans parler des tentatives de phishing SMS (smishing) liées à l’application originelle qui ont débuté en juin et se poursuivent sur la nouvelle version, la volonté de faire accepter par tout moyen cette application a trouvé un nouvel angle d’attaque imparable : alerter les Français lorsqu’ils ont croisé des malades et endiguer la propagation de l’épidémie.

Si l’intention semble louable, voilà un nouveau pas franchi dans une surveillance de masse et une collecte de Data sensibles au service d’un intérêt dit supérieur.

Notons que pour le hacker éthique Baptiste Robert, connu et reconnu sous le nom d’ « Elliot Alderson » l’application est en l’état « inutile » :

« C’est toujours la même application que nous avons en face de nous. C’est juste le nom qui a changé. Ce n’est que de la communication ! Ils ont rajouté une section « news », effectivement, et deux ou trois liens. Mais c’est du cosmétique. »
« Le contact tracing est basé sur du Bluetooth, or le Bluetooth n’est pas fait pour mesurer une distance, on aura une approximation qui va dépendre grandement de la qualité du téléphone. Cette imprécision va, de fait, déclencher de faux positifs. Avoir un système de santé qui déclenche des faux positifs, c’est gravissime. »

Qu’à cela ne tienne, cela sera imposé, avec un nouvel add on, il n’y aura donc pas lieu d’en discuter.

Ce qui est plus préoccupant c’est que peu de personnes y trouveront à redire, malgré la collecte de données extrêmement sensibles, malgré la mise en cause de la fiabilité. Y figurera-t-il des éléments et des critères pouvant mettre fin à cette surenchère de traçage ? Rien n’est moins sûr.

En outre, comme le rappelle le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, « il y a un problème sur le principe d’égalité » car « tout le monde n’a pas forcément un téléphone portable compatible et il n’est pas obligatoire d’en avoir un ».

Quand bien même le process est attentatoire à une liberté fondamentale, la libre circulation des citoyens, il ne sera pas contesté, voire – et je ne crois pas m’avancer en l’écrivant – sera même « plébiscité », et c’est là tout l’art de la manipulation qui consiste à modifier le comportement d’une cible déterminée, en transformant sa perception du réel.

L’emprise sur les secteurs sinistrés qui bénéficieront de ces mesures est à la fois psychologique et matérielle, tandis que l’emprise sur la population ayant un besoin vital de socialisation est, elle, plus psychologique.

Dans cette configuration, quand bien même les établissements directement concernés, tout comme les citoyens, seraient de fervents défenseurs des libertés publiques les plus fondamentales qui sont la force et le fondement d’une démocratie, il est prévisible que ce décret sera majoritairement plébiscité par des secteurs d’activité agonisants, des chefs d’entreprises désespérés, et une population à bout de souffle.

Une fois promulgué, ce décret qui a fuité sera probablement suivi, s’il n’est précédé de « sondages d’opinion » démontrant une adhésion massive d’une population résignée. La boucle est bouclée.

Si « la démocratie est une oppression du peuple par le peuple et pour le peuple », comme l’écrivait Oscar Wilde, il en aura vraisemblablement rapidement la démonstration, avec toutefois un bémol : dans le cas de figure qui a été évoqué, le peuple sera responsable et victime, mais bien loin d’être le coupable.

 Tout gouvernement a besoin d’effrayer sa population et une façon de le faire est d’envelopper son fonctionnement de mystère. C’est la manière traditionnelle de couvrir et de protéger le pouvoir : on le rend mystérieux et secret, au-dessus de la personne ordinaire. Sinon, pourquoi les gens l’accepteraient-ils ? 

(Noam Chomsky)

Pubication originelle de cet Article  sur Contrepoints le 15 février 2021

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