Quand la mémoire nous fait défaut

Publié par Mathilde Chasseriaud, le 19 janvier 2017   10k

"Vous l’avez donc compris avec les explications d’Océane : différents types de mémoires existent (voir les 60’s du Magazine des Sciences sur les types de mémoire). Toute une richesse cognitive qui peut pourtant se retrouver bouleversée gravement à cause de troubles que l’on nomme amnésies. Mais attention, les amnésies et les trous de mémoire ne sont pas la même chose. Un trou de mémoire ou un oubli est un phénomène normal, tout le monde peut oublier quelque chose (l’endroit où on a rangé ses clés, d’acheter du pain au supermarché..). En revanche, les amnésies sont des pertes de mémoire pathologiques, différentes d’un simple oubli, et elles vont concerner certaines étapes du processus de mémorisation.


Q1 : Comment se passe-t-il donc ce processus de mémorisation ? Comment mémorise-t-on une information ?

Tout d’abord, il y a une étape d’encodage, qui est un peu comme une étape de conversion. Dans le cerveau, les informations sont traitées et transmises sous forme d’influx nerveux. La date de la prise de la Bastille et le prénom de votre belle-mère vont donc être convertis en un signal électrique neuronal, pour pouvoir passer d’un neurone à un autre, afin d’arriver dans la zone appropriée du cerveau, pour le traitement de cette information, qui va y être stockée. C’est la seconde étape : le stockage.

La troisième étape consiste en la consolidation de l’information, par des réactions chimiques se déroulant au niveau des cellules nerveuses. 4 à 6h après, l’information est intégrée dans la mémoire à long terme. Vous vous souvenez ainsi que votre belle-mère s’appelle Marie et que la Bastille est tombée le 14 juillet 1789.

Une quatrième étape peut avoir lieu lorsqu’un souvenir est réactivé. C’est ce que l’on nomme la récupération. Il s’agit de la restitution d’une information déjà acquise par les processus dont je viens de parler précédemment. Ainsi, lors d’un examen, vous ferez appel à de la récupération pour vous souvenir d’une notion déjà vue lors de vos révisions comme la date de la prise de la Bastille…en espérant que l’encodage se soit bien produit !


Q2 : Depuis le début, vous dites « les amnésies », au pluriel, ça voudrait donc dire qu’il y a plusieurs amnésies ? Comme différents types d’amnésies ?

C’est exact. Il y a plusieurs types d’amnésies ainsi que d’autres troubles de la mémoire que l’on appelle des syndromes mémoriels.

Un premier type d’amnésie est l’amnésie rétrograde. La racine du mot peut aider à comprendre la pathologie : dans rétrograde, il y a « rétro », qui fait référence à quelque chose d’avant, du passé, comme quand on dit « une musique rétro » par exemple. Un sujet souffrant d’une amnésie rétrograde ne se souvient plus des souvenirs anciens acquis avant que le trouble mémoriel ne se manifeste. Il va perdre des souvenirs sur une certaine partie de sa vie passée.

Prenons un exemple. Un homme qui se réveille avec une amnésie rétrograde peut avoir perdu les 10 dernières années de sa vie. Je dis 10, mais la perte de mémoire peut s’échelonner sur quelques semaines, mois ou plusieurs années voire constituer une amnésie totale, à savoir depuis la naissance. Pour revenir à ce monsieur, s’il ne se souvient plus des 10 dernières années, il ne sera plus en mesure par exemple de reconnaître sa femme, parce que la vision, le dernier souvenir qu’il aura de sa femme sera celui d’il y a 10 ans en arrière avant l’amnésie, et non celle de maintenant. Pareil pour son physique : il aura en tête son reflet d’il y a 10 ans et ne reconnaîtra pas son reflet actuel dans un miroir.

Si vous êtes amateur de BD, dans XIII, le héros est atteint d’amnésie rétrograde. Il ne se souvient plus de qui il est ni de son passé.


Q3 : Et, par rapport aux différents types de mémoire dont nous a parlé Océane auparavant, le sujet va-t-il présenter des troubles sur un type de mémoire en particulier ou est-ce que toutes les mémoires seront atteintes ?

Une amnésie rétrograde va surtout affecter la mémoire déclarative, et plus particulièrement la mémoire épisodique. Un sujet atteint de ce type d’amnésie ne se souviendra alors plus par exemple de ses vacances à Courchevel avec ses amis l’hiver dernier. En revanche, il sera toujours capable de se souvenir de comment nouer ses lacets ou de décrire une photo de vacances puisque les mémoires sémantiques et procédurales ne seront pas affectées.

Le problème se situe précisément au niveau de la phase de récupération, lorsque le sujet cherchera à aller rechercher l’information. Elle a pourtant bien été encodée et stockée mais elle demeure inaccessible.


Q4 : Existe-t-il un autre type d’amnésie ?

Malheureusement, oui. A l’opposé de l’amnésie rétrograde, on trouve l’amnésie antérograde. Autant l’amnésie rétrograde fait perdre au sujet une partie ou la totalité de ses souvenirs passés, autant l’amnésie antérograde provoque une incapacité à former de nouveaux souvenirs. La mémoire s’efface au bout de quelques minutes : les fonctions de stockage et d’encodage ne sont pas effectives et de ce fait, l’information ne peut pas arriver en mémoire à long terme. C’est un peu comme si vous vouliez aller de Grenoble à Lyon et que la seule voie pour s’y rendre était détruite : vous ne pouvez donc pas aller à Lyon. Et bien c’est pareil ici avec le trajet de l’information vers la mémoire à long terme, elle ne peut pas s’y rendre.

Dans le cas d’une amnésie antérograde, toute la mémoire déclarative est atteinte. En revanche, le sujet peut toujours apprendre à jouer d’un instrument par exemple, parce que la mémoire procédurale n’est pas touchée. Il va cependant oublier qu’il a appris à en faire. C’est un véritable cercle vicieux. Imaginez que vous vous rendiez au supermarché pour aller faire vos courses mais que vous ne vous rappelez plus pourquoi vous êtes là. Si vous êtes accompagné, la personne vous dira que c’est pour faire vos courses. Peu de temps après, vous ne vous souviendrez à nouveau plus pourquoi vous êtes là.


Q5 : Tout à l’heure, vous aviez mentionné en plus des amnésies des syndromes mémoriels ? Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s’agit ?

Les syndromes mémoriels sont des troubles qui vont présenter les cas d’amnésies dont nous avons parlé précédemment. Il en existe plusieurs mais je vais vous en présenter seulement quelques uns. C’est donc une liste non exhaustive.

Un syndrome mémoriel très connu est celui résultant de la maladie d’Alzheimer, qui occasionne des troubles sévères de la mémoire. La maladie d’Alzheimer touche ainsi tous les types de mémoire et dans ses formes les plus extrêmes, des troubles du langage apparaissent ainsi que des troubles du discours (le sujet dit des propos incohérents), il y a aussi des troubles des mouvements, de reconnaissance des visages et même aussi du comportement (le sujet est irrité, agressif et sa personnalité change drastiquement).


Q6 : Existe-t-il d’autres syndromes mémoriels que la maladie d’Alzheimer ?

Il existe également un autre syndrome qui n’est pas très connu ; il s’agit de l’ictus amnésique. C’est une amnésie à la fois rétrograde et antérograde, qui dure pendant une période de temps très courte (entre 4 et 6h en moyenne). Le sujet ne se rappellera pas ce moment car l’encodage des informations à ce moment-là n’aura pas été réalisé. Le sujet retrouvera ensuite progressivement la mémoire. L’ictus amnésique a comme particularité de ne se produire qu’une fois dans la vie du sujet. Les causes en sont encore inconnues et il n’est pas possible d’en déceler les traces avec un scanner. Le mystère reste donc entier.

En revanche, on connaît la cause d’un autre syndrome, qui est le syndrome de Korsakoff.


Q7 : Qu’est-ce que le syndrome de Korsakoff ? Par quoi est-il produit ?

Les principales causes de ce syndrome sont l’alcoolisme et une carence en vitamine B1. Dans ce cas, la mémoire de travail va être touchée, c’est-à dire que si l’on montre un objet au patient, il saura le reconnaître mais si on lui cache et qu’on lui demande ce qu’on lui a montré, il sera alors incapable de répondre. Il s’agit d’un problème d’accès à l’information, de récupération.

Une amnésie rétrograde se développe aussi entre les 2 et 5 dernières années et la mémoire déclarative est touchée. En revanche, la mémoire procédurale demeure intacte, il se souvient toujours de comment nouer ses lacets. Les principales caractéristiques de ce syndrome sont ce que le sujet n’a pas conscience de son état, il ne se plaint donc jamais de ses problèmes de mémoire. En revanche, il présente des fabulations, c’est-à-dire des faits imaginaires comme étant réels. Par exemple, si l’on demande à un patient atteint d’un syndrome de Korsakoff ce qu’il a fait hier, il répondra qu’il a fait à manger, qu’il a regardé un film, alors qu’en réalité, ça fait 15 jours qu’il est à l’hôpital. Si on lui repose la question plus tard, il racontera autre chose, avec parfois des propos incohérents (il dira qu’il aura été manger chez Citroen par exemple). Mais ce qui est vicieux, c’est que certaines fabulations comportent des évènements vécus par le patient et d’autres non. Il y a également ce que l’on appelle les fausses reconnaissances. Par exemple, le patient croit reconnaître l’infirmière qui s’occupe de lui comme une amie avec qui il a mangé au restaurant hier alors qu’il ne l’a jamais vue auparavant. C’est très complexe."


Podcast de l'émission "Quand la mémoire fait défaut"


Sources

- Cours de neurosciences cognitives - Pascal Rouillet - M1 Biologie Santé - Université Paul Sabatier Toulouse

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