Voiture électrique : l’emballement médiatique ?

Publié par Encyclopédie Énergie, le 9 avril 2019   1.9k

Le Salon International de l’Automobile de Genève, du 7 au 17 mars 2019, vient d'être l’occasion d’un emballement médiatique sans précédent autour de la voiture électrique. Certes, les stands des grands constructeurs mondiaux ont  présenté de nombreux modèles et concepts cars et tenté de séduire une clientèle encore frileuse pour l’électromobilité : Peugeot 208, Renault KZ-E, Volvo Polestar 2, Honda Urban EV, Porsche Taycan et Macan, Audi e-tron GT, Jaguar i-Pace, Mercedes-Benz EQC, Tesla Model Y, Volkswagen I.D Crozz, I.D. Vizzion, Nissan IMs Concept, Skoda Vision iV, Seat e-born, entre autres.

Cette offre qui s'étoffe d’année en année est impressionnante,  mais les volumes demeurent plus que modestes : 2,6 millions de véhicules vendus en 2018 pour un total mondial approchant les 90 millions d’unités !

  Alors pourquoi un tel engouement médiatique pour une technologie qui n’a toujours pas fait la preuve de sa capacité à supplanter les véhicules à moteur thermique  et alors que  personne ne peut encore  tabler sur l’irréversibilité de la trajectoire de la voiture à batteries ? Ne s'agirait-il pas plus  d'un marketing « politiquement correct » – qui peut oser aujourd’hui aller contre l’électromobilité ? –  que d’une réelle volonté d’imposer aux marchés un scénario de rupture ?

Quasi-unanimes, les « experts » autoproclamés de l'industrie automobile, largement relayés par des médias avides de « scoops », estiment que l’industrie automobile devrait davantage changer dans les cinq à dix prochaines années qu'elle ne l'a fait au cours de cent dernières[1]. Les incitations environnementales – réchauffement climatique et pollution atmosphérique – tout comme les avancées technologiques - liées à l’électronique, la connectivité et à l’intelligence artificielle – poussent évidemment plus dans le sens d’une véritable révolution que dans celui de simples changements à la marge.

Mais les médias, de leur côté, vont beaucoup plus loin : ils annoncent à qui veut l’entendre que le glas de l’industrie automobile traditionnelle a sonné, que c’est la survie même des constructeurs traditionnels qui est en jeu, et même, pour les plus pessimistes, que  les jeux sont déjà faits et que, seule la Chine va rafler la mise ! Il est vrai que l’avance de la Chine dans les batteries hautes performances et ses positions sur les marchés des métaux rares lui donnent des avantages concurrentiels de taille ! 

 Il faut savoir raison garder car il faut bien se rendre à l’évidence, les ventes de véhicules thermiques restent largement dominantes et sans doute pour de nombreuses années encore !

Les voitures électriques pâtissent toujours du problème de leur autonomie limitée qui est de plus très variable selon les données climatiques et les conditions d'utilisation, notamment de conduite[2]. C’est ainsi que l'autonomie théorique d'une Renault Zoé, le modèle le plus vendu en Europe, est aujourd’hui de 300 kilomètres mais, dans la pratique, elle se ramène à 250 km en moyenne et encore, à condition d'éviter les autoroutes. C'est très insuffisant sauf à se limiter à un usage urbain ou péri-urbain. En hiver, par temps froid, l'autonomie chute, selon les chiffres du constructeur lui-même, à 150 ou 200 kilomètres.

A cette contrainte de rayon d’action s'ajoute le handicap du temps de recharge. Une Renault Zoé peut tout-à-fait se recharger sur une prise domestique installée en abri mais la durée est de plus de 24 heures sur une prise en 10 ampères. Avec une prise en 16 ampères, cette durée se réduit à 15 heures et à 7 ou 8 heures sur une prise en 32 ampères.

 Evidemment, le bilan carbone est très favorable même en prenant en compte les émissions au cours de la fabrication et du recyclage des batteries au lithium. Du moins en France grâce à l’énergie nucléaire ou hydroélectrique. Mais en Chine, le bilan est négatif du fait du recours massif à la thermoélectricité charbon.

Last but not least, les voitures électriques souffrent aussi de leurs prix élevés que ne corrigent pas vraiment les aides publiques. L’offre mondiale, en la matière, est totalement inadaptée : la plupart des modèles à autonomie raisonnable s’adressent à une clientèle très aisée, elle-même friande du « politiquement correct » parce qu'elle peut se le permettre ! Mais les acquéreurs de voitures, dans leur très grande majorité,  sont limités par leur pouvoir d’achat comme le démontre le succès des modèles low cost (moins de 10 000 euros) comme les Dacia-Renault Logan, Sandero et Duster, VW Jetta, Citroën C-Elysée, Fiat Tipo ou Tata Nano. Certains y voient une paupérisation croissante du marché automobile ! Alors comment convaincre une telle clientèle d’acheter des voitures électriques, plus chères et moins efficaces ?

A l’évidence, il est prématuré de « faire haro sur le baudet » ! Non seulement, l’industrie automobile a encore devant elle de belles années avec des millions de ventes de voitures traditionnelles mais elle est clairement en mesure de faire face aux défis technologiques, industriels et financiers que vont lui imposer les indispensables et inéluctables innovations requises pour « sauver la planète ». Mais cela se fera probablement de façon progressive et non pas à marche forcée par des diktats politiques ou administratifs[3]. En revanche, l'industrie devra se préparer à ces changements, voire les anticiper, en tout cas, les maîtriser. Dans le cas contraire, sa survie serait à terme menacée !


 Notes et références

[1] Chanaron, Jean-Jacques. Les sources d'énergie pour l'automobile du futur. Encyclopedie-energie.org. Chanaron Jean-Jacques, ed., (2018), Innovation in The New Century, Editions Campus Ouvert, Grenoble.

[2] Degrandcourt, Thomas. Accumulateurs : le futur du stockage de l'énergie. Encyclopedie-energie.org

[3] Jaccard, Mark. Canada : comment réduire les émissions de CO2 des véhicules. Encyclopedie-energie.org


Un article de Jean-Jacques CHANARON : Professeur, Président de l’Institut de Recherche Universitaire sur L’Innovation (IRUI), Grenoble.


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