Communauté

Mémoires du Futur

Colloque Corps et Prothèse - étape 2 Grenoble

Publié par Jean Claude Serres, le 27 janvier 2018   3.7k

Corps et prothèses : vécus, usages, contextes

Colloque itinérant faisant une halte à Grenoble ce vendredi 26.

Une journée consacrée à la plongée dans l’univers des prothèses réparatrices réelles ou virtuelles croisant d’autres chemins depuis le Neurocercle, aux séminaires des Arts de l’attention et bien sûr celui de l’atelier Arts-Science.

Notes et commentaires personnels 

Sensori-motricité, intersensorialités et réalité virtuelle

Coordinations sensori-motrices et réorganisations corticales dans la réintégration du corps

Patrick Pajon : vers un nouvel « umwelt » techno sensoriel  

Chaque espèce du vivant vit dans un monde spécifique et donné dont la représentation ou « réalité » (son « umwelt ») est construit par ses capacités perceptives. La tique se représente le monde avec trois réverbères : capacité olfactive (sueur), chaleur et perforabilité de la peau. Elle se laisse tomber, se déplace sur la peau, la perce, pond ses œufs et meurt.

L’espèce humaine vit aussi dans un monde spécifique dont la représentation ou « réalité » (son « umwelt ») est construite par ses capacités perceptives. La différence avec les autres espèces est qu’elle est capable de faire évoluer, de transformer ses capacités perceptives grâce à ses techniques et ses cultures. La représentation du monde n’est pas un donné commun à l’espèce mais multiple propre à chaque culture, voire à chaque individu, évoluant au cours des âges sociétaux comme au cours de la vie de chaque personne. Télescopes, Microscopes, IRM et aussi Théâtre, Cinéma, Livres, Internet, Jeux et Réalité Virtuelle transforment au quotidien la perception de la réalité pour chacun.

Pour Augustin Besque, ( « l’écounème » ou le « monde habité » ) chacun de nous possède deux corps, le corps animal et le corps médial : le réel et le réel augmenté (la noosphère).

Le milieu naturel, technique et culturel nous transforme autant que nous le transformons.

Cette transformation mutuelle ou technogénèse a été particulièrement étudiée par Katherine Hayles dans le cadre de notre rapport au numérique et aux écrans. Les technosciences font émerger un nouvel humain (câblage spécifique du cerveau - synaptogénèse - plasticité cérébrale) développant chez les jeunes et surtout les très jeunes une hyper attention de connexion à plus faible capacité de focalisation cognitive.

Le cerveau devient capable de piloter en réalité virtuelle une main à six doigt ou manipuler des objets avec trois bras et de les ressentir comme faisant partie de son corps.

Prothèse, Orthèse, Exothèse… ???? 

Marie Agnès Cathiard - les coordinations sensori-motrice : un augment clé pour la perception active

Ancienne jeune infirmière, elle découvre la douleur fantôme d’une personne amputée. Loin d’accepter la posture du corps médical « s’il souffre c’est qu’il refuse son amputation », elle écoute ce témoignage et de fil en aiguille découvre la thérapie du miroir, en fait son sujet de mémoire, avant de devenir Dr en psychologie cognitive et en science du langage.

Elle introduit la première partie du colloque : comment faire face à l’amputation et aux douleurs du membre fantôme associées.

Il y a un doute dans la pertinence de l’expression : prothèse piloté par la pensée : il faut distinguer les circuits corticaux frontal et pariétal (énergie intentionnelle, but, trajectoire / énergie motrice) : le quel des deux agit ?

Michel Guerraz - Amputation segment virtuel et réorganisation corticale

Par excitation  du cortex pariétal (domaine de l’intention) le patient ressent que son corps a bougé et de fait ce n’est pas le cas. Par excitation  du cortex frontal (domaine de la motricité), alors le corps bouge et le patient n’en a pas conscience.

L’importance des douleurs fantômes croit en fonction de l’âge de la personne au moment de l’amputation et du volume d’expérience vécu de ce membre (ex doigt de musicien).

Le traitement par miroir (Ramachandran ) n’est pas sans risque : Réveil ou intensification des douleurs, peut contrarier le deuil déjà effectué de la perte du membre.

Le système nerveux central se reconfigure, comme les autres parties du système nerveux. Dans le cerveau la zone non utilisée du membre fantôme est reconquise par une zone proche dédiée à une fonction différente  (par plasticité cérébrale et non par recyclage neuronal ). Cette réorganisation induit les douleurs fantômes. Pour lutter contre cela il faut empêcher la  réorganisation corticale. Cela est aussi important dans l’immobilisation temporaire d’un membre : il faut faire de la kiné musculaire et fonctionnelle sur le membre. Il faut aussi effectuer de la « kiné cérébrale » pour ne pas atrophier la zone concernée.

 Une greffe peut aussi réutiliser la place mais intervention à risque

Une prothèse avec retour des signaux sensitifs peut aussi réutiliser la place dans le câblage cortical

D’une manière symétrique le sportif développe ses capacités par l’entraînement physique et aussi par la visualisation mentale.

L’approche par la thérapie du miroir peut être effectuée par un vrai miroir, par une interface virtuelle, par une stimulation de la zone motrice.

Nelly Darbois - la thérapie miroir : de l’outil thérapeutique  aux neuromythes

Si la thérapie par miroir est délicate d’emploie sur les membres fantômes (ce n’est pas la panacée) la méthode est très souvent utilisée pour retrouver la mobilité d’un membre suite à un AVC induisant une lésion corticale.

 Le questionnement sur l’enjeu du référencement « neuroscience » :

  • On confond facilement cause effet avec simple corrélation : exemple la douleur fluctue dans le temps - si le traitement commence au pic de douleur il fera de l’effet (corrélation) alors que si le début est en basse douleur alors la conclusion sera toute aussi erronée (cela ne marche pas bien) - le référencement douloureux est impossible
  • On généralise trop facilement des résultats positifs sur quelques personnes, sans prendre en compte les abandons et les échecs qui disparaissent de la visibilité de l’équipe médicale.
  • On oublie trop souvent que les neurosciences devraient œuvrer en multidisciplinarité avec les autres domaines : philosophie, anthropologie, intelligence artificielle, sciences cognitives et psychologie cognitive sur trois niveaux : cognition, connexion, énaction (cf Fransco Varela)
  • Dernier biais : effet incestueux fréquents dans la recherche française (comparer Stève Masson - canada et Stanislas Dehaene à propos de la plasticité cérébrale et des injonctions éducatives - lecture etc.) - Le terme « science » pourrait devenir un abus de langage quand le chercheur travaille sur l’objet « conscience » via sa propre conscience - un système ne peut pas se définir de l’intérieur.  

L’effet MKT (Marketing) des neuroscience est un facteur aggravant : deux articles de même contenu en ayant l’un dans son titre le terme "Brain" ou "cerveau" associée à une imagerie cérébrale portera davantage que celui dépourvu de ces deux aspects vendeurs  

Anne Marsick et Bernard Chardiny (ADEPA) Témoignages de vécu.

Bernard Ch. a été amputé en ayant fixé sa date d'opération suite à une maladie + diabète. Il est devenu autre suite à l’acceptation de sa prothèse et de ses nouvelles capacités. le prothésiste et le patient forment un couple qui fonctionne ou pas, donc bien choisir et changer si besoin. Pas de douleurs fantômes (amputé à 65 ans) il bricole pour trouver des solutions pour de nouvelles activités.

Anne M a été amputé suite a un accident de voiture. Elle a du changer de travail suite à sa nouvelle condition (2011, plusieurs mois sans bouger) Avant elle était consultante à l’AFPI, nous avons travaillé ensemble dans cette association de formation professionnelle.

Le travail de miroir a fait cesser immédiatement les douleurs fantômes qui reprenaient apres. Suite à la conjonction de plusieurs traitements dont la stimulation électrique musculaire les douleurs ont disparues dans la phase alitée. Les douleurs sont réapparues dans la reprise de la position verticale. De nouveaux des traitements. Les douleurs résiduelles ont saisonnières et supportables : bizarres.

Marie Agnès Cathiard - l’intégration intersensorielle dans les illusions corporelles

Introduction de la deuxième partie : sortie du corps

la personne s’observe du dessus : « deux corps » pour un même soi  ou alors un corps et un soi qui est agit par un autre soi : deux « soi» pour un même corps. Un soi enchaîné et un soi autre, extérieur, double personnalité, etc. 

Enjeu de la synchronisation

Question lié au neurocercle : qu’est-ce que le « sentiment de soi » par rapport aux différents états de conscience  cf le code de la conscience de Stanislas Dehaene

On passe de la simulation du membre à la simulation du corps par avatar ….

Des corps fantômes aux corps imaginés

Daniel Mestre - Immersion et présence en réalité virtuelle

Immersion et présence en réalité virtuelle. Travail essentiel sur le visuel
Passer de regarder des images à être présent dans l’image
Similaire à la perception du paysage statique  en occident par rapport à la perception dynamique du paysage en chine

La présence (le sentiment de présence ou de soi ?) est une conséquence d’une immersion réussie : sensation d’être là, illusion perceptive de non médiation, état mental dans lequel l’utilisateur se sens physiquement présent  

 C’est une réalité subjective car il est nécessaire que l’usager ait la volonté d’entrer dans ce monde virtuel pour que cela marche. Est-ce que cela marche pour tout le monde ? Peut être une analogie avec une relation de traitement par hypnose. Il faut être d’accord et seulement une partie de la population peut y avoir accès.

Etonnant, la distance de recherche avec les travaux portant sur les facultés d’attention :

  • Attention de vigilance  (alerte)
  • Attention de projet (saisie d’opportunités et de signal faible)
  • Attention de fidélisation (sécurisation croyance)
  • Attention immersive (perte de volonté et de contrôle de soi)  

La musique est un facteur d’immersion tres puissant car le cerveau n’pas de filtre protecteur et reste toujours en éveil vis-à-vis des sons. Et cela semble ignoré dans cette restitution.

Agnes Roby Brami  et Iseline Peyre - produire des gestes sonores : la sonification pour la rééducation sensori-motrice

Le rapport au son en réceptivité comme en production est propre à chaque personne, une signature individuelle en quelque sorte

L’amasie ou trouble de la réception ou la production sonore : en analogie avec aphasie ou trouble de la parole

 Il y a six facteurs de couplage sonore :

  • L’absence de son vs son
  • La hauteur
  • Le rythme
  • L’environnement nature,
  • L’environnement granulaire pizzicato
  • L’environnement continu ou mélodique harpège

Exemple d’application ( 2005 danser sur la musique produite par les geste de la danseuse Lanabel « Virus anti virus »

Deux bras un sain et un lésé produisent des musique en fonction de leur déplacement (mouvement  - vitesses) chaque bras a ses 3 capteurs

L’expérience  bras sain produit la musique bras lésé déplacé en fonction de la musique créer par bras sain et rejouée n’a pas été testée

Sabine Coquillart - Pseudo-haptics : résultats de recherche et applications

Haptic simulation du toucher

Pseudo haptic simulation du toucher via d’autres sens dont le visuel (mouvement vitesse)

Une souris haptic (boule pouvant recevoir une pression avec un très faible déplacement simule bien l’effort de résistance d’un déplacement (frottement ) ou d’un ressort écrasé représenté sur un écran 

 En guise de conclusion

Les notes et commentaires ci-dessus ne sont pas un compte rendu mais mon appropriation personnelle et mes commentaires associés. Un article de synthèse est à lire ici : De la prothèse réparatrice à la prothèse comme augment

Pour une belle suite à ce colloque et ces propos : un excellent film de Grand Corps Malade - Patients et le clip Espoir adapté

Le prochain colloque aura lieu à Lyon du 4 au 6 avril www.corps-protheses.org

Enfin ce colloque m’apporte des contributions très utiles pour l’animation des 4 étapes du séminaire itinérant que j’animerai à partir de 2018 :

  • Etape I: Comment faire face à une difficulté majeure ? Que ce soit un licenciement brutal, une situation de burn out, le surgissement d’une maladie grave ou d’un handicap, l’accompagnement à la fin de vie ou la perte d’un proche, comment réagir comment entrer dans une relation d’entraide bienveillante ?  
  • Etape II : Comment s’adapter au monde numérique et à l’intelligence artificielle ? Le numérique a déboulé dans nos vies sans aucunes préparations et a bouleversé notre rapport au temps. Sans prendre gare nous avons délocalisé une partie de plus en plus grande de nos capacités intellectuelles aux ordinateurs puis aux Smartphones.  
  • Etape III : Philosophie, Méditation ou Spiritualité pour quels usages ? Que ce soit la pratique de la méditation, du yoga, du Chi Gong, du Tai-chi et bien d’autres venant de l’extrême orient, le nombre de personnes qui s’adonnent ou cherchent leur chemin dans cette forêt de possibles soulève quelques questions : Pourquoi un tel engouement ? Comment trouver chaussure à son pied ? Comment se mettre en chemin ? Quel vocabulaire utiliser ?
  • Etape IV : Discrimination tout azimut ou peur de l’étranger ? Notre société et nos modes de vie conduisent à un accroissement de plus en plus grand des inégalités et excluant de plus en plus de personnes. La discrimination et la peur de l’autre remplacent les chemins de rencontre par des frontières de moins en moins poreuses.